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Pourquoi je suis devenu un terroriste

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Il était assis et courbé, comme une plante fanée, sur le sol froid de la désolation et cerné par les griffes aiguisées des créatures du royaume des ombres qui l’attendaient tapies tout près de lui. Sans doute n’avait-il pas imaginé qu’il se retrouverait perdu dans l’antichambre de l’enfer après sa mort glorieuse en Syrie. Du jugement dernier il pensait en retirer une juste récompense. Mais rien de tout cela n’arriva. Dans la vie comme dans la mort, il ne sert à rien de tirer des plans sur la comète.

 

Le terroriste de France

Qui es-tu toi qui approche ? Qui t’envoie vers moi ?

 

Christobal sous une forme spectrale

Je suis un simple voyageur égaré. Je suis sorti de mon corps suite à une méditation transcendantale qui a mal tourné. Pourtant, d’après un pote hindouiste cela ne comportait aucun risque…

 

Le terroriste

Que veux-tu ?

 

Christobal

Rien, je ne fais que passer avant de retrouver mon corps. Je te connais. Je pense savoir ce qui t’a mené jusqu’ici.

 

Le terroriste

Que… Comment… ? Tu prétends savoir pourquoi je suis devenu un terroriste !

 

Christobal

Oui. Tu as passé des diplômes, tu ne te débrouillais pas trop mal, engagé sur la voie d’une certaine progression sociale. Pourtant, tu ne te sentais pas complètement toi-même. Il te manquait quelque chose. Une idée a fait son chemin : c’est avec ceux de ta communauté que tu te sens le mieux. La religion vous unit et vous rend fort, elle doit vous aider à combattre l’oppression de tes frères par l’Occident à l’autre bout de la planète. Voilà ce qu’on t’a dit et qui a fait écho en toi.

 

Le terroriste

Oui.

 

Christobal

La solidarité de classe tu ne connais pas. Disons qu’elle reste, pour toi, trop vague. Et quand bien même elle faisait sens jadis en France, elle s’avère extrêmement fragile. D’autres appartenances communautaires peuvent saper son fondement et constituer autant de sources de conflits et de divisions. Pas facile de (re)fonder une classe pour soi comme dirait Marx ! La seule appartenance qui occupe le plus de place aujourd’hui est ethnico-religieuse.

 

Le terroriste

Car seuls ceux qui vénèrent Allah sont mes frères.

 

Christobal

C’est un peu court. Une sentence ne peut suffire à expliquer ou à comprendre. Il y a pour moi deux choses.

 

Le terroriste

Je t’écoute mécréant. Tu n’es peut-être pas là par hasard.

 

Christobal

Mais si… Enfin, peu importe. Je poursuis. Il y a la volonté, chez les jeunes, de combattre des « dragons » ! Cela fait le sel de la vie juvénile. Je me souviens moi-même de mon propre bouillonnement intérieur : envie de me ranger et, en même temps, de révolutionner les choses, de mener un combat, de remporter une victoire, de m’accomplir. Le voilà le besoin d’exister ! Mais il y a aussi un besoin d’appartenance et de sécurité qui se manifeste avec force et que résument ces questions : quelle est ma place ici bas (surtout si l’on ne se sent pas complètement à sa place) ? De qui suis-je proche ? Ces questions m’ont, moi aussi, tourmenté.

 

Le terroriste

 

Christobal

A Istanbul, il y a quelques années, je suis entré dans une mosquée. Pas la plus touristique. J’ai eu comme un déclic.

 

Le terroriste

Que veux-tu dire ?

 

Christobal

J’ai envié un instant les gens qui s’y trouvaient. L’ambiance était paisible, voire reposante, et apparemment chaleureuse. Un homme parlait et les autres assis en cercle l’écoutaient sagement. Ils semblaient heureux. Je voyageais seul et je me disais que cela devait être agréable de sentir que l’on avait sa place dans une communauté, que l’on pouvait être écouté et soutenu, que l‘on pouvait régulièrement évoquer, en venant en ce lieu, des choses qui transcendaient le quotidien et apportaient des réponses à des questions existentielles angoissantes. La dernière église que j’ai visitée en France ne regroupait que quelques fidèles vieillissants et chacun, figé comme un cierge, priait de son côté en répondant mécaniquement au prêtre et en jetant parfois un regard furtif à son voisin.

 

Le terroriste

Il fallait te convertir (ricanements) !

 

Christobal

La forme me séduit mais le fond ne me convainc pas ! Bref, j’ai compris là ce qu’un jeune, voire un moins jeune, pouvait, entre autre chose, trouver dans la religion musulmane.

 

Le terroriste

Tu parles pour les convertis. Pour les autres, l’Islam fait partie de leur vie depuis toujours. Quant à mes frères d’armes terroristes, tous n’ont pas réussi dans les études, certains sont des ex délinquants.

 

Christobal

Oui. Pour bon nombre de personnes la religion est affaire de tradition familiale (je dirais même d’émancipation familiale avec ce que cela comporte d’affectivité). Elle devient actuellement un étendard, certains y cherchent une forme de respectabilité à afficher par la pratique ostentatoire et ce d’autant plus qu’elle prend de l’importance au sein d’une communauté et de la société. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : cela n’est possible que parce que l’appartenance ethnico-religieuse se construit et s’affirme au détriment d’autres appartenances collectives affaiblies.

 

Le terroriste

 

Christobal

Quant à tes frères d’armes, il faut grosso modo distinguer parmi les délinquants entre pseudo et vrais terroristes. Les premiers ont appris à aimer et aiment toujours l’argent facile, ils n’y renonceront pas pour un idéal politico-religieux. Simplement, leur détestation de la France et des autres groupes sociaux sert de prétexte à des menaces, à du zèle religieux ponctuel et à des actions violentes. Pour autant, ils ne partent pas combattre et ne sont pas prêts à mourir. Les seconds, minoritaires, constituent, en quelque sorte, une élite de rue ou, plutôt, des repentis de la vie de voyou. Intelligents et, probablement, par certains côtés sensibles, ils ont épousé la vie délinquante au détour d’un parcours chaotique plus ou moins tourmenté sans y adhérer pleinement. Une expérience vécue comme une injustice personnelle flagrante liée à ce parcours délinquant et, par la suite, une rencontre avec un prédicateur salafiste les ont amenés à se radicaliser rapidement ou par étapes. Cela étant, on ne m’enlèvera pas de l’idée que cette adhésion à un rigorisme religieux constitue une forme de rejet de certaines valeurs libertaires et consuméristes de la société « post-soixantehuitarde » (ces jeunes recherchent une discipline martiale, une autorité, un combat qui transcende leur existence…). Voilà pourquoi les classes moyennes et supérieures françaises ne peuvent, dans l’ensemble, comprendre ce phénomène.

 

Le terroriste

J’en connais de ces jeunes.

 

Christobal

Bien entendu ! Malheureusement les institutions et les personnels en charge de la population délinquante des cités manquent parfois de discernement. Il leur arrive d’être cléments avec les voyous qui recommenceront ou durciront leur conduite et de sanctionner lourdement des jeunes un peu paumés, en apparence durs mais foncièrement hésitants quant à leur avenir délinquant, donc « récupérables » si ce terme à un sens. De toute façon, les voies qui mènent à l’endoctrinement, qu’il soit rapide ou progressif, irréfléchi ou mûri, ne sont pas impénétrables… mais très certainement diverses (internet joue un rôle clef). J’estime, en revanche, que l’éventail des motivations s’avère bien plus restreint.

 

Le terroriste

 

Christobal

Enfin… (soupir), je te laisse avec tes possibles remords, dans cette terrible antichambre. Le sang sur les mains doit être lavé et chacune de nos fautes expiée.

Le coup du boomerang

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Au milieu de nulle part, dans une pièce sombre et dénudée, aussi vaste qu’un désert, deux égarés des temps modernes discutent. Un dialogue entre représentants d’une aire géographique et d’une civilisation en passe de décliner s’est engagé. Délicatement posés sur leurs fauteuils de plexiglas, comme deux moustiques sur un nénuphar, ils se font face.

L’ingénu de son plein gré :
L’époque est bizarre. On ne sait où l’on va, ni de quoi demain sera fait. En France, l’économie ne démarre pas, l’Europe est en panne, on sent monter le populisme, la pensée raciste se libère et…

Le clairvoyant sarcastique :
Ah, ah, ah, ah, ah ! Ton désarrois me réjouis ! La pensée raciste aurait-elle été muselée, et par qui, pour qu’aujourd’hui elle se libère ? Pose-toi ces questions !Quand le barrage des apparences se fissure et que la réalité tumultueuse contenue derrière t’éclabousse, tu ne trouves que de pseudo explications pour y faire face.

L’ingénu de son plein gré :
Que… Comment ?

Le clairvoyant sarcastique :
Voici ce que je pense concernant la situation économique et (géo)politique, car l’une ne va pas sans l’autre, de la France. Droite et gauche ont choisi cette Europe libérale et Droits de l’hommiste, qui multiplie les normes éthiques et juridiques, pour le plus grand bonheur de ses bureaucrates, et s’ouvre aux quatre vents de la mondialisation. La question n’est plus de savoir s’il fallait faire ainsi, mais comment en sortir ou comment y rester. En sortir serait une sorte de révolution, pour le meilleur et pour le pire. Y rester signifie de s’aligner sur l’Allemagne et les pays du nord qui, pour le moment, ne s’en tirent pas trop mal. Las, on ne peut garder un État providence dispendieux et une économie tournée vers le libéralisme anglo-saxon tout à la fois. Or, pour rester dans l’Europe, nos dirigeants, depuis plusieurs années, essaient de ménager la chèvre et le choux ; ils gagnent du temps et naviguent à vue.

L’ingénu de son plein gré :
Je connais ce genre d’analyse. Que proposes-tu ?

Le clairvoyant sarcastique :
On a besoin d’un projet. A gauche, les dirigeants devraient se demander quelle place la France peut-elle avoir dans la mondialisation et à quel prix. Si l’on part du principe que seul le dynamisme économique peut fondamentalement résoudre nos problèmes, quelles sont les conditions pour l’obtenir ? Quels sacrifices seraient-ils nécessaires et quelles contributions chaque classe sociale devrait-elle y apporter ? Il faudrait tout discuter, sans tabou. Par exemple, des thématiques comme le recours ou non au protectionnisme, aujourd’hui honni en Europe et pratiqué en douce par certains. Ou bien le rôle effectif de l’État providence, qui ne représente plus seulement un filet de sécurité nécessaire, mais est devenu une machine à distribuer du fric, de manière discutable et inéquitable, à tel point que des millions de personnes (en tant que clients ou professionnels du secteur social/public) vivent de cet argent et s’habituent à réclamer pour tout et n’importe quoi. De fait, la société française n’a jamais été, par certains aspects, si encline à materner et à démotiver. Ou bien encore le bien fondé de notre alignement économique et militaire sur les options américaines. Hollande s’avère plus pro américain que Sarkozy, faut le faire !

L’ingénu de son plein gré :

Tu préfères sans doute qu’on suive la Chine et la Russie qui violent les Droits de l’Homme ?

Le clairvoyant sarcastique :
Tu m’agaces avec tes Droits de l’Homme. Aujourd’hui, gauche et extrême gauche sont de zélés va-t-en-guerre, au nom des Droits de l’Homme cela va s’en dire… Vive les bombes humanitaires !
Toi et tes petits amis bien-pensants méprisez les régimes politiques des Brics, que vous jugez sur des critères moraux petits bourgeois, alors que vous vous proclamez les champions de l’ouverture sur les autres cultures. Je ne les idéalise certes pas. Mais je me garde bien de les juger hâtivement, aussi durs soient-ils. En outre, nous assistons à un juste retour de bâton.

L’ingénu de son plein gré :
Que veux-tu dire ?

Le clairvoyant sarcastique :

Notre domination séculaire prend fin et nos guerres humanitaires sont plus que contestées par le reste du monde. Elles nous reviennent en pleine figure sous la forme d’un terrorisme puissant qu’elles ont exacerbé. D’autre part, nous critiquons la Chine pour son régime autoritaire et son capitalisme débridé qui nous concurrence directement, même si certains de nos fleurons industriels en tirent profit. Or, le combat d’une partie des élites chinoises pour concilier développement économique, prospérité, écologie et harmonie sociale – laquelle est la meilleure garantie de survie pour le parti – constitue notre seule chance pour l’avenir. Si ces élites ne se laissent pas déborder ou corrompre par l’argent, elles pourraient proposer un modèle de capitalisme étatique moins prédateur et moins destructeur à l’échelle mondiale que celui qui a prévalu jusqu’à présent. Malheureusement, cela n’est pas gagné.

L’ingénu de son plein gré :

Pourquoi serait-elle notre seule chance ?

Le clairvoyant sarcastique :

Parce que l’Europe faiblit, parce qu’elle n’a plus tout à fait son destin en main contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire.Parce que la majeure partie de nos élites n’a rien à proposer de novateur et ne pense qu’à se planquer (je veux dire à planquer ses enfants et son argent). Parce que nous sommes, pour le moment, encore incapables d’admettre que les Brics feront plus que nous imiter, qu’ils cherchent à tâtons un modèle, une voie et se sont déjà partiellement émancipés de nos idéologies. En Chine, par exemple, certains intellectuels, politiciens, cherchent une inspiration dans la tradition millénaire tout en restant ouvert sur ce que l’Occident a pu apporter de positif en termes de pensée et de modes de vie. Il s’agit là d’une réelle volonté d’émancipation, sur fond de nationalisme, d’autant que cette partie de l’intelligentsia s’efforce de ne pas reproduire nos erreurs. Ces penseurs et hommes ou femmes d’action pourraient très bien inventer une voie dont nous serions susceptibles de nous inspirer pour rompre avec nos raisonnements éculés. En bref, je crois que la solution viendra de l’extérieur ou par l’extérieur. De toute façon, nous n’avons guère le choix, car nous ne dicterons plus notre loi aux autres mais subirons plutôt la leur. Il vaudrait mieux pour nous que les futurs puissances ne suivent pas le modèle de gouvernance mondiale américain. Demande aux peuples du tiers monde ce qu’ils pensent de celui-ci !

L’ingénu de son plein gré :

Décliniste ! Et notre potentiel, notre jeunesse, notre…


Le clairvoyant sarcastique :

En Allemagne, la génération de Sebastian Haffner1, parce qu’elle a vécu une période historiquement intéressante et très difficile – celle de la défaite de 14-18, de la révolution spartakiste avortée, de l’hyperinflation, de la montée du nazisme – comprenait les meilleurs et les pires individus. Des êtres forgés au feu d’événements qui ne pouvaient que les rendre plus sages, plus courageux, plus responsables ou… plus cyniques et plus couards. On sait ce qu’il advint : les meilleurs ne purent empêcher l’avènement du désastre. Le potentiel ne suffit pas. Un pétard peut rester mouillé !

L’ingénu de son plein gré :
Mais des gens vont bouger, vont empêcher le délitement s’il a lieu.

Le clairvoyant sarcastique :

Oui, ceux qui tiennent à leur rente de situation et puis ceux qui n’ont pas grand chose ! C’est possible. Entre les corporatismes, les couches sociales fortunées avares de leurs privilèges et les couches sociales qui vivent de l’État providence ou grâce à lui, il y a de quoi déclencher des émeutes. Mais es-tu sûr que cela débouchera sur quelque chose de positif ou que cela empêchera la glissade ? L’absence de réel projet politique et d’élites capables de le concevoir et prêtes à assumer un rôle historique, à faire accepter des sacrifices -auxquels elles se soumettront aussi – pour esquisser une sortie du marasme laisse un immense vide que comblent les pseudo querelles sur des problèmes sociétaux (mariage homo, parité, etc.) et les prémisses de luttes communautaristes.

L’ingénu de son plein gré :

De luttes communautaristes ?

Le clairvoyant sarcastique :
Il ne t’a pas échappé que le Salafisme connaît un certain succès dans nos banlieues, sans qu’il faille pour autant souscrire aux exagérations d’Eric Zemmour, que l’époque est au prosélytisme religieux, que les tensions communautaires existent au delà du classique et si caricatural laïus gauchiste sur le racisme des Français à l’égard des Immigrés et sur les discriminations dont ils feraient l’objet.

L’ingénu de son plein gré :

Euh… Bon, il y a des choses qui m’inquiètent comme le succès de Dieudonné et d’Eric Zemmour. On a libéré la parole raciste et voilà le résultat. Elle se banalise.

Le clairvoyant sarcastique :
Incurable aveugle tu es, incurable tu resteras ! Au fond, cela n’a rien de surprenant. Toi et d’autres avez, modestement, participé à ce qui arrive. Votre propension à museler tout débat, à grand renfort d’idéologies convenues, à nier certains aspects de la réalité, à crier au racisme à tort et à travers et à vous détourner des vraies questions sociales – où va l’argent ? Qui gagne quoi ? Qui vit de quoi ? Qui profite de quoi ? Qui paie pour d’autres ? Etc. – ont fait beaucoup de mal. Aussi, je suis naïf de croire que vous accepterez la remise en question ! En l’occurrence, l’ingénu c’est moi !

L’ingénu de son plein gré :
Tu me juges ! Je t’interdis !

Le clairvoyant sarcastique :

Aujourd’hui les « réactionnaires » reprennent du poil de la bête dans l’opinion, le succès en librairie de Zemmour l’atteste, car trop longtemps la classe médiatico-politique de gauche, souvent aussi nantie que celle de droite faut-il le préciser, n’a su que vouer aux gémonies ceux qui pensaient différemment. Ses propres excès, comme ceux de l’Occident à l’égard du reste de la planète, lui reviennent dessus tel un boomerang. Zemmour est l’un de ces boomerangs. Journaliste très talentueux, excessif et foncièrement de droite même s’il cite Marx, il incarne une nouvelle forme de contestation de l’ordre moral socialiste dans laquelle une partie des classes populaires et de la droite traditionnelle se reconnaissent. Chaque indignation et chaque appel à la censure de ses confrères bien payés de « gôche » accroissent sa popularité. De même, chaque diatribe antiraciste renforce l’exaspération populaire sur la question de l’immigration. C’est idem, dans une certaine mesure, s’agissant de Dieudonné. Comique doué, drôle, qui mélange Michel Audiard et Coluche, pour faire de la vulgarité crue et des expressions fleuries une arme politique à travers des sketches picaresques, il représente désormais la lutte contre le soit-disant « système » pour beaucoup de jeunes d’origine immigrée, mais pas seulement, que soudent tantôt la thématique de l’islamophobie, tantôt le passé colonial décrié, tantôt les frustrations issues d’une société de moins en moins capable d’offrir des perspectives professionnelles attrayantes et de satisfaire les caprices consuméristes, parfois irréalistes ou infantiles, qu’elle a suscités.

L’ingénu de son plein gré :
Tu le défends ! Et son antisémitisme ?

Le clairvoyant sarcastique :
Je suis conscient qu’il tient des propos antisémites. Est-ce par pure provocation ou parce que sa radicalisation l’amène à croire sincèrement que le lobby sioniste international, comme il dit, dirige le monde ? Selon moi, un peu des deux. Mais qui l’a fabriqué ? Le CRIF, la LICRA, BHL et consorts qui depuis des années exercent un chantage à l’antisémitisme et à la Shoah pour influencer la politique étrangère gouvernementale et les médias français plutôt pro-palestiniens. Quant aux hommes politiques, leur pusillanimité ne les honore guère. Lâches devant ceux qui les font chanter au nom de l’antisémitisme, ils ne le sont pas moins s’agissant d’aborder sans tabou la question de l’immigration (hormis quelques exceptions à droite ; lesquelles caricaturent la réalité). De fait, on en arrive à une situation absurde : une partie des jeunes musulmans voient dans la lâcheté des édiles face au CRIF la confirmation que le lobby sioniste ou juif tient la France dans sa main, tandis qu’une partie des juifs estiment que la langue de bois politique sur l’immigration et les problèmes de délinquance en banlieue prouve combien l’État a cédé et ne les protégera pas des attaques antisémites dont ils s’estiment victimes de la part de jeunes musulmans radicalisés. Aujourd’hui, toutes les élites et certaines couches sociales découvrent avec angoisse ce que j’appelle le « coup du boomerang » : le retour en pleine gueule d’une réalité à laquelle elles contribuent !

L’ingénu de son plein gré :
Tu t’en réjouis n’est-ce pas ?

Le clairvoyant sarcastique :
Oui et non. Oui, car l’histoire procède souvent de la sorte : le coup du boomerang, ça na rien de nouveau ! J’attends tes jérémiades avec impatience pour m’en gausser ! Quelque part tu le mérites bien. Et non, car si cela débouche sur de la violence et des conflits durs, beaucoup vont en souffrir. Je n’aime guère l’odeur du sang, ni voir les gens dans le malheur. D’autre part, il n’y a pas grand chose de positif à attendre de tout cela pour le moment. La contestation, la révolte, passent par des simplifications alimentées par le net et les nombreuses théories du complot en vogue. A gauche: rien, si ce n’est le gauchisme révolutionnaire post soixante-huitard et les corporatismes prêts à griffer pour conserver ce qui leur reste. A droite: pas grand chose non plus, si ce n’est quelques mouvements ultras qui se réveillent. Du côté de Dieudonné, on sent bien que le dénominateur commun, la lutte contre le sionisme, même s’il a de quoi inquiéter dans certains milieux, à juste titre, ne constitue en rien un programme. Quant au FN, ses cadres frétillent surtout d’impatience à l’idée d’en croquer, comme le firent leurs homologues des autres partis avant d’accéder au pouvoir. Il aurait d’ailleurs une réelle chance d’y accéder si Sarkozy redevenait le candidat officiel de la droite aux prochaines présidentielles. Dans ce cas, l’abstentionnisme pourrait, je pense, être important, ce qui profiterait à Marine Lepen. T’imagines, mon ami, Alain Juppé est devenu pour beaucoup le candidat crédible et potentiellement un sauveur provisoire en 2017 face au FN ! Celui à qui on demandera: « Encore une minute monsieur le bourreau… »

L’ingénu de son plein gré :

Tu oublies l’essentiel. Il peut s’en passer des choses en deux ans.

1Haffner Sebastian, Histoire d’un Allemand. Souvenirs (1914-1933), Actes sud, 2003.

Journal de Christobal: à moitié beur et complètement mal-pensant

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Je me trouve dans un RER un soir de semaine de l’hiver 2011 je crois. Vraiment fourbu je suis. Pendant 2 heures j’ai lutté avec des gars plus lourds, des gars plus jeunes aussi qui voulaient bien me faire bouffer du tatami. En toute amitié bien entendu. Depuis des années je pratique des sports où la confrontation à l’autre est un art consommé. Après les sports avec des coups, je me suis mis à ceux où l’on s’attrape, où l’on se roule au sol. A un certain âge on en a marre des beignes. On veut goûter à d’autres types de blessure.

Autour de moi dans le wagon du RER y a les copains de la transpiration. Eux aussi fourbus et gais. On rit, on crie, le corps endolori et l’esprit libre. Vidés que nous sommes de tous les soucis du jour et des contrariétés. Quand le corps se relâche, l’esprit s’exalte. Ca grise autant qu’un verre d’alcool. Y a des Blacks, des Beurs et… comment dire… les autres quoi! J’aime bien ce sport, ce club de banlieue et son mélange. Comme au Rugby, des ouvriers, des employés, fonctionnaires, agents de maîtrise, voire cadres, étudiants, s’y retrouvent. Un vrai espace de mixité, pour reprendre un thème politique à la mode, qui fonctionne avec d’autres règles que la société ordinaire. Y a quelques filles aussi. Peu nombreuses, car c’est un sport de brutes. Mais courageuses et volontaires, y faut le dire.

Alors que le RER s’apprête à repartir, B. déboule dans le wagon comme une météorite. On s’esclaffe. Il a probablement effrayé des passagers. Il tape à la vitre qui sépare le conducteur du reste du wagon et le remercie avec sa voix de stentor de l’avoir attendu avant de refermer les portes. Un type bien et poli que ce B., je me dis en moi-même.

C’est une grande gueule âgée de 25 ans B. Un chambreur aussi. La déconnade ca le connaît. Un gros costaud qui ressemble à un mètre cube, avec une oreille si déformée par la lutte qu’elle tient plus du corneflake que de l’organe. Ca n’a pas l’air de le déranger, d’ailleurs, ni d’entamer son succès auprès des filles.

B., il a été videur de boite. Jusqu’à récemment. Un castagneur aux allures de nounours, ca le fatiguait de devoir cogner de temps à autre sur des abrutis alcoolisés qui ne veulent rien entendre. Alors il a arrêté. Désormais, il rend des services à son ancien boss, y fait divers trucs. Y m’en a pas dit plus.

C’est un gars qu’a voyagé aussi, B. Il a passé 2 ans entre la France et le Brésil. Y parle le portugais, se débrouille assez bien en anglais. Apparemment, il a appris comme çà, sur le tas, par les voyages. Y fait des combats pro à l’étranger. Du free fight. Un mélange de kick-boxing et de lutte pour le dire vite. Le grand truc en vogue auprès des jeunes. Les Américains et les Japonais en font des galas populaires. Ce sport est en pleine ascension. Il se diffuse comme une traînée de poudre avec internet.

« J’ai failli louper le RER à cause de ces 3 Blacks dans les vestiaires », qu’il s’exclame B.

« Pourquoi? » que je demande.

« On a discuté politique. J’ai encore refait le monde! Je les ai traumatisés. Déjà avant j’ai refroidi le Rebeu avec sa cigarette. »

On rit.

« Ce petit con arrive avec sa clope dans les vestiaires. Je l’ai repris. L’a pas bronché mais y râlait. J’ai failli le baffer. Y a que les Noirs et les Arabes qui la ramènent tout le temps. Y ont ce truc de la fierté mal placée. »

Suze, une copine antillaise de l’entraînement, lui fait remarquer avec amusement:« Comment tu parles! Et ta moitié tu l’oublies? » (B. est un métis franco-maghrébin).

« Je l’oublie pas. Mais moi j’ai pas de problème d’identité. Je suis français, né ici, j’en ai rien à foutre du Maroc! »

B. nous explique ensuite son algarade avec les 3 Blacks.

« Y arrêtaient pas de revendiquer: nous les Blacks on a souffert, etc. C’est du pipeau je leur ai dit. C’est comme les Juifs avec la Shoa. Tout ça, c’est pareil! Les mêmes prétextes! T’as pas souffert quand t’es né dans un pays où y a la sécurité sociale! »

On continue de rire.

« La fraternité noire ca existe pas. Demande aux Tutsi et aux Hutus! Faut pas déconner. Même un Black ici il hésite à louer son appartement à un autre Black de peur qu’ils le squattent à 10. Fier d’être black! Comme si c’était une performance. »

Certains, parmi nous, approuvent explicitement: « il a pas tort ». G. continue son récit:

« Y en a 1 des 3 qui me dit: c’est pas parce que t’es un combattant que tu dois te permettre de parler comme ça… Qu’est-ce que ça fait que je sois un combattant, je lui ai répondu! Où est le rapport? J’avance une idée, t’es pas d’accord, tu réponds, tu argumentes, etc. Y savait plus quoi répondre. De suite, le gars y ramène ça au rapport de force physique. Ca m’énerve. »

Il est temps pour moi de descendre pour prendre ma correspondance, car la nuit file comme la rame. La discussion a glissé sur autre chose. Les sujets ne manquent pas. Même s’ils sont, pour nous, souvent liés au sport. Je salue mes amis sportifs, dont le truculent B. Un drôle de gars que celui-ci. On le classerait facilement à droite, voire plus à droite encore. Sauf que je ne suis pas de ceux qui voient la vie en deux couleurs (politiques). Nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui aujourd’hui ne rentrent guère dans les cases des commentateurs et des pseudo porte parole. Les mêmes, d’ailleurs, qui occupent le devant de la scène médiatique. Qu’ils y restent sur cette scène, à jouer leur rôle de pitres étouffeurs de débat. Un gars comme B., et il n’est pas unique, m’a rappelé ce soir-là que la politique ca existe d’abord dans la rue où tout peut être dit. Il m’a aussi surtout rappelé combien il est agréable de ne pas toujours entendre les mêmes sons de clôche et de parler sans avoir l’impression de marcher sur des oeufs.