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Le coup du boomerang

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Au milieu de nulle part, dans une pièce sombre et dénudée, aussi vaste qu’un désert, deux égarés des temps modernes discutent. Un dialogue entre représentants d’une aire géographique et d’une civilisation en passe de décliner s’est engagé. Délicatement posés sur leurs fauteuils de plexiglas, comme deux moustiques sur un nénuphar, ils se font face.

L’ingénu de son plein gré :
L’époque est bizarre. On ne sait où l’on va, ni de quoi demain sera fait. En France, l’économie ne démarre pas, l’Europe est en panne, on sent monter le populisme, la pensée raciste se libère et…

Le clairvoyant sarcastique :
Ah, ah, ah, ah, ah ! Ton désarrois me réjouis ! La pensée raciste aurait-elle été muselée, et par qui, pour qu’aujourd’hui elle se libère ? Pose-toi ces questions !Quand le barrage des apparences se fissure et que la réalité tumultueuse contenue derrière t’éclabousse, tu ne trouves que de pseudo explications pour y faire face.

L’ingénu de son plein gré :
Que… Comment ?

Le clairvoyant sarcastique :
Voici ce que je pense concernant la situation économique et (géo)politique, car l’une ne va pas sans l’autre, de la France. Droite et gauche ont choisi cette Europe libérale et Droits de l’hommiste, qui multiplie les normes éthiques et juridiques, pour le plus grand bonheur de ses bureaucrates, et s’ouvre aux quatre vents de la mondialisation. La question n’est plus de savoir s’il fallait faire ainsi, mais comment en sortir ou comment y rester. En sortir serait une sorte de révolution, pour le meilleur et pour le pire. Y rester signifie de s’aligner sur l’Allemagne et les pays du nord qui, pour le moment, ne s’en tirent pas trop mal. Las, on ne peut garder un État providence dispendieux et une économie tournée vers le libéralisme anglo-saxon tout à la fois. Or, pour rester dans l’Europe, nos dirigeants, depuis plusieurs années, essaient de ménager la chèvre et le choux ; ils gagnent du temps et naviguent à vue.

L’ingénu de son plein gré :
Je connais ce genre d’analyse. Que proposes-tu ?

Le clairvoyant sarcastique :
On a besoin d’un projet. A gauche, les dirigeants devraient se demander quelle place la France peut-elle avoir dans la mondialisation et à quel prix. Si l’on part du principe que seul le dynamisme économique peut fondamentalement résoudre nos problèmes, quelles sont les conditions pour l’obtenir ? Quels sacrifices seraient-ils nécessaires et quelles contributions chaque classe sociale devrait-elle y apporter ? Il faudrait tout discuter, sans tabou. Par exemple, des thématiques comme le recours ou non au protectionnisme, aujourd’hui honni en Europe et pratiqué en douce par certains. Ou bien le rôle effectif de l’État providence, qui ne représente plus seulement un filet de sécurité nécessaire, mais est devenu une machine à distribuer du fric, de manière discutable et inéquitable, à tel point que des millions de personnes (en tant que clients ou professionnels du secteur social/public) vivent de cet argent et s’habituent à réclamer pour tout et n’importe quoi. De fait, la société française n’a jamais été, par certains aspects, si encline à materner et à démotiver. Ou bien encore le bien fondé de notre alignement économique et militaire sur les options américaines. Hollande s’avère plus pro américain que Sarkozy, faut le faire !

L’ingénu de son plein gré :

Tu préfères sans doute qu’on suive la Chine et la Russie qui violent les Droits de l’Homme ?

Le clairvoyant sarcastique :
Tu m’agaces avec tes Droits de l’Homme. Aujourd’hui, gauche et extrême gauche sont de zélés va-t-en-guerre, au nom des Droits de l’Homme cela va s’en dire… Vive les bombes humanitaires !
Toi et tes petits amis bien-pensants méprisez les régimes politiques des Brics, que vous jugez sur des critères moraux petits bourgeois, alors que vous vous proclamez les champions de l’ouverture sur les autres cultures. Je ne les idéalise certes pas. Mais je me garde bien de les juger hâtivement, aussi durs soient-ils. En outre, nous assistons à un juste retour de bâton.

L’ingénu de son plein gré :
Que veux-tu dire ?

Le clairvoyant sarcastique :

Notre domination séculaire prend fin et nos guerres humanitaires sont plus que contestées par le reste du monde. Elles nous reviennent en pleine figure sous la forme d’un terrorisme puissant qu’elles ont exacerbé. D’autre part, nous critiquons la Chine pour son régime autoritaire et son capitalisme débridé qui nous concurrence directement, même si certains de nos fleurons industriels en tirent profit. Or, le combat d’une partie des élites chinoises pour concilier développement économique, prospérité, écologie et harmonie sociale – laquelle est la meilleure garantie de survie pour le parti – constitue notre seule chance pour l’avenir. Si ces élites ne se laissent pas déborder ou corrompre par l’argent, elles pourraient proposer un modèle de capitalisme étatique moins prédateur et moins destructeur à l’échelle mondiale que celui qui a prévalu jusqu’à présent. Malheureusement, cela n’est pas gagné.

L’ingénu de son plein gré :

Pourquoi serait-elle notre seule chance ?

Le clairvoyant sarcastique :

Parce que l’Europe faiblit, parce qu’elle n’a plus tout à fait son destin en main contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire.Parce que la majeure partie de nos élites n’a rien à proposer de novateur et ne pense qu’à se planquer (je veux dire à planquer ses enfants et son argent). Parce que nous sommes, pour le moment, encore incapables d’admettre que les Brics feront plus que nous imiter, qu’ils cherchent à tâtons un modèle, une voie et se sont déjà partiellement émancipés de nos idéologies. En Chine, par exemple, certains intellectuels, politiciens, cherchent une inspiration dans la tradition millénaire tout en restant ouvert sur ce que l’Occident a pu apporter de positif en termes de pensée et de modes de vie. Il s’agit là d’une réelle volonté d’émancipation, sur fond de nationalisme, d’autant que cette partie de l’intelligentsia s’efforce de ne pas reproduire nos erreurs. Ces penseurs et hommes ou femmes d’action pourraient très bien inventer une voie dont nous serions susceptibles de nous inspirer pour rompre avec nos raisonnements éculés. En bref, je crois que la solution viendra de l’extérieur ou par l’extérieur. De toute façon, nous n’avons guère le choix, car nous ne dicterons plus notre loi aux autres mais subirons plutôt la leur. Il vaudrait mieux pour nous que les futurs puissances ne suivent pas le modèle de gouvernance mondiale américain. Demande aux peuples du tiers monde ce qu’ils pensent de celui-ci !

L’ingénu de son plein gré :

Décliniste ! Et notre potentiel, notre jeunesse, notre…


Le clairvoyant sarcastique :

En Allemagne, la génération de Sebastian Haffner1, parce qu’elle a vécu une période historiquement intéressante et très difficile – celle de la défaite de 14-18, de la révolution spartakiste avortée, de l’hyperinflation, de la montée du nazisme – comprenait les meilleurs et les pires individus. Des êtres forgés au feu d’événements qui ne pouvaient que les rendre plus sages, plus courageux, plus responsables ou… plus cyniques et plus couards. On sait ce qu’il advint : les meilleurs ne purent empêcher l’avènement du désastre. Le potentiel ne suffit pas. Un pétard peut rester mouillé !

L’ingénu de son plein gré :
Mais des gens vont bouger, vont empêcher le délitement s’il a lieu.

Le clairvoyant sarcastique :

Oui, ceux qui tiennent à leur rente de situation et puis ceux qui n’ont pas grand chose ! C’est possible. Entre les corporatismes, les couches sociales fortunées avares de leurs privilèges et les couches sociales qui vivent de l’État providence ou grâce à lui, il y a de quoi déclencher des émeutes. Mais es-tu sûr que cela débouchera sur quelque chose de positif ou que cela empêchera la glissade ? L’absence de réel projet politique et d’élites capables de le concevoir et prêtes à assumer un rôle historique, à faire accepter des sacrifices -auxquels elles se soumettront aussi – pour esquisser une sortie du marasme laisse un immense vide que comblent les pseudo querelles sur des problèmes sociétaux (mariage homo, parité, etc.) et les prémisses de luttes communautaristes.

L’ingénu de son plein gré :

De luttes communautaristes ?

Le clairvoyant sarcastique :
Il ne t’a pas échappé que le Salafisme connaît un certain succès dans nos banlieues, sans qu’il faille pour autant souscrire aux exagérations d’Eric Zemmour, que l’époque est au prosélytisme religieux, que les tensions communautaires existent au delà du classique et si caricatural laïus gauchiste sur le racisme des Français à l’égard des Immigrés et sur les discriminations dont ils feraient l’objet.

L’ingénu de son plein gré :

Euh… Bon, il y a des choses qui m’inquiètent comme le succès de Dieudonné et d’Eric Zemmour. On a libéré la parole raciste et voilà le résultat. Elle se banalise.

Le clairvoyant sarcastique :
Incurable aveugle tu es, incurable tu resteras ! Au fond, cela n’a rien de surprenant. Toi et d’autres avez, modestement, participé à ce qui arrive. Votre propension à museler tout débat, à grand renfort d’idéologies convenues, à nier certains aspects de la réalité, à crier au racisme à tort et à travers et à vous détourner des vraies questions sociales – où va l’argent ? Qui gagne quoi ? Qui vit de quoi ? Qui profite de quoi ? Qui paie pour d’autres ? Etc. – ont fait beaucoup de mal. Aussi, je suis naïf de croire que vous accepterez la remise en question ! En l’occurrence, l’ingénu c’est moi !

L’ingénu de son plein gré :
Tu me juges ! Je t’interdis !

Le clairvoyant sarcastique :

Aujourd’hui les « réactionnaires » reprennent du poil de la bête dans l’opinion, le succès en librairie de Zemmour l’atteste, car trop longtemps la classe médiatico-politique de gauche, souvent aussi nantie que celle de droite faut-il le préciser, n’a su que vouer aux gémonies ceux qui pensaient différemment. Ses propres excès, comme ceux de l’Occident à l’égard du reste de la planète, lui reviennent dessus tel un boomerang. Zemmour est l’un de ces boomerangs. Journaliste très talentueux, excessif et foncièrement de droite même s’il cite Marx, il incarne une nouvelle forme de contestation de l’ordre moral socialiste dans laquelle une partie des classes populaires et de la droite traditionnelle se reconnaissent. Chaque indignation et chaque appel à la censure de ses confrères bien payés de « gôche » accroissent sa popularité. De même, chaque diatribe antiraciste renforce l’exaspération populaire sur la question de l’immigration. C’est idem, dans une certaine mesure, s’agissant de Dieudonné. Comique doué, drôle, qui mélange Michel Audiard et Coluche, pour faire de la vulgarité crue et des expressions fleuries une arme politique à travers des sketches picaresques, il représente désormais la lutte contre le soit-disant « système » pour beaucoup de jeunes d’origine immigrée, mais pas seulement, que soudent tantôt la thématique de l’islamophobie, tantôt le passé colonial décrié, tantôt les frustrations issues d’une société de moins en moins capable d’offrir des perspectives professionnelles attrayantes et de satisfaire les caprices consuméristes, parfois irréalistes ou infantiles, qu’elle a suscités.

L’ingénu de son plein gré :
Tu le défends ! Et son antisémitisme ?

Le clairvoyant sarcastique :
Je suis conscient qu’il tient des propos antisémites. Est-ce par pure provocation ou parce que sa radicalisation l’amène à croire sincèrement que le lobby sioniste international, comme il dit, dirige le monde ? Selon moi, un peu des deux. Mais qui l’a fabriqué ? Le CRIF, la LICRA, BHL et consorts qui depuis des années exercent un chantage à l’antisémitisme et à la Shoah pour influencer la politique étrangère gouvernementale et les médias français plutôt pro-palestiniens. Quant aux hommes politiques, leur pusillanimité ne les honore guère. Lâches devant ceux qui les font chanter au nom de l’antisémitisme, ils ne le sont pas moins s’agissant d’aborder sans tabou la question de l’immigration (hormis quelques exceptions à droite ; lesquelles caricaturent la réalité). De fait, on en arrive à une situation absurde : une partie des jeunes musulmans voient dans la lâcheté des édiles face au CRIF la confirmation que le lobby sioniste ou juif tient la France dans sa main, tandis qu’une partie des juifs estiment que la langue de bois politique sur l’immigration et les problèmes de délinquance en banlieue prouve combien l’État a cédé et ne les protégera pas des attaques antisémites dont ils s’estiment victimes de la part de jeunes musulmans radicalisés. Aujourd’hui, toutes les élites et certaines couches sociales découvrent avec angoisse ce que j’appelle le « coup du boomerang » : le retour en pleine gueule d’une réalité à laquelle elles contribuent !

L’ingénu de son plein gré :
Tu t’en réjouis n’est-ce pas ?

Le clairvoyant sarcastique :
Oui et non. Oui, car l’histoire procède souvent de la sorte : le coup du boomerang, ça na rien de nouveau ! J’attends tes jérémiades avec impatience pour m’en gausser ! Quelque part tu le mérites bien. Et non, car si cela débouche sur de la violence et des conflits durs, beaucoup vont en souffrir. Je n’aime guère l’odeur du sang, ni voir les gens dans le malheur. D’autre part, il n’y a pas grand chose de positif à attendre de tout cela pour le moment. La contestation, la révolte, passent par des simplifications alimentées par le net et les nombreuses théories du complot en vogue. A gauche: rien, si ce n’est le gauchisme révolutionnaire post soixante-huitard et les corporatismes prêts à griffer pour conserver ce qui leur reste. A droite: pas grand chose non plus, si ce n’est quelques mouvements ultras qui se réveillent. Du côté de Dieudonné, on sent bien que le dénominateur commun, la lutte contre le sionisme, même s’il a de quoi inquiéter dans certains milieux, à juste titre, ne constitue en rien un programme. Quant au FN, ses cadres frétillent surtout d’impatience à l’idée d’en croquer, comme le firent leurs homologues des autres partis avant d’accéder au pouvoir. Il aurait d’ailleurs une réelle chance d’y accéder si Sarkozy redevenait le candidat officiel de la droite aux prochaines présidentielles. Dans ce cas, l’abstentionnisme pourrait, je pense, être important, ce qui profiterait à Marine Lepen. T’imagines, mon ami, Alain Juppé est devenu pour beaucoup le candidat crédible et potentiellement un sauveur provisoire en 2017 face au FN ! Celui à qui on demandera: « Encore une minute monsieur le bourreau… »

L’ingénu de son plein gré :

Tu oublies l’essentiel. Il peut s’en passer des choses en deux ans.

1Haffner Sebastian, Histoire d’un Allemand. Souvenirs (1914-1933), Actes sud, 2003.

Les politiques sociales à l’épreuve du Bac

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Puisque nous arrivons à la saison du Bac, monument incontournable et hautement symbolique de la méritocratie à la française, sieur Christobal s’érige pour l’occasion en ministre de l’Education Marsupiale et tire de sa poche ventrale quatre sujets de composition économique et sociale destinés à pousser plus loin le bouchon de la réflexion et de la pêche aux idées chez les jeunes futurs diplômés.

La notation sera sévère. Les recalés pourront se consoler, nous ne les blâmons pas, on ne peut pas gagner à tous les coups, et pi un examen ne reflète rien de plus qu’une performance conjoncturelle avec un petit coup de chance. Mais si toutefois ces quelques remarques de bon sens ne suffisaient pas à calmer les angoisses et le TERRIBLE sentiment d’échec, une cellule psychologique se tiendrait à leur disposition 24h/24 les jours suivants les résultats (voir numéro vert de pomme sur le site du ministère de l’Education Marsupiale).

EPREUVE ECONOMIQUE ET SOCIALE

Le candidat peut choisir entre la dissertation et le commentaire (I-phone, antisèches numériques et Wikipédia à proscrire).

Dissertation

Sujet n°1 :

-Le travail comme politique sociale.

Sujet n°2 :

-Les politiques sociales comme secteur d’activité et secteur créateur d’emplois pour les classes moyennes dans une économie à dominante tertiaire et de faible croissance.

Commentaire

Sujet n°3 :

« La bureaucratisation du travail social et la “médicalisation/psychologisation” des problèmes sociaux sont une invention récente et font aussi vivre des gens pour s’occuper d’autres gens alors que le chômage structurel progresse, l’industrie s’amenuise et l’économie devient un immense réservoir à services. Chaque mutation de l’économie dégage un excédent de main d’œuvre que la société s’efforce d’occuper à des tâches différentes des précédentes. Celui qui reçoit une prestation et une assistance a désormais une fonction (et un salaire à travers les différentes aides monétaires ou minimas sociaux), à l’instar de celui qui prodigue les soins et justifie ainsi son emploi. Difficile de dire cependant si la prestation s’avère globalement bénéfique. Nous pensons que le bilan est mitigé.»

Christobal et Randy, Le livre que nous n’avons pas encore écrit, édition Inconnue, date Inconnue.

Sujet n°4 :

Ainsi parlait Edouard, le plus grand des pithécanthropes, à ces fils : « (…) Le bonheur vous rend paresseux. Tu chercheras dans le travail, tout au contraire, une diversion à tes difficultés, avec un surcroit d’énergie. »

Lewis Roy, Pourquoi j’ai mangé mon père, Actes Sud, 1990.

Epreuve subsidiaire
Faire le lien entre les quatre sujets.

Billet d’humeur: tout va très bien madame la marquise !

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« Tout va très bien madame la marquise ! », comme le chantait Ray Ventura. D’après une chaine de Tv, les banques centrales des pays du G 7 auraient décidé, d’un commun accord, d’assouplir leur politique monétaire. Si cette rumeur se confirmait, car il n’y a encore rien d’officiel (l’Allemagne s’y opposerait probablement), cela signifierait que les Américains ne seront plus les seuls à faire ce qu’on appelle techniquement du quantitative easing. Ce qui revient, au fond, à de la création monétaire massive ex nihilo, puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat, avant de l’avoir dans la gorge. Aux Etats-Unis, toujours unis avec eux-mêmes, le quantitative easing découle de la volonté de la FED de racheter les bons du trésor dont les investisseurs se méfient de plus en plus et qu’ils commencent à délaisser. Cette politique monétaire permet aussi de rembourser une dette qui s’évapore d’autant plus que la monnaie s’affaiblit. Les prêteurs qui pensaient s’enrichir doivent s’en mordre les doigts… Thanksgiving a lieu bientôt je crois, au moins là-bas ils ne manqueront pas de dindes et de dindons!

Dans le club des nantis, apparemment on s’inquiète beaucoup. Trop de dettes et si peu de croissance. Laquelle d’ailleurs commence à souffrir de la dette. Un véritable cercle vicieux. En outre, s’endetter davantage pour différer les mesures douloureuses et les réformes radicales n’a servi, depuis 2007, qu’à offrir aux populations un sursis. Bien relatif d’ailleurs. En bref, ces messieurs et mesdames des sommets, et ces institutions prétendument omnipotentes ne savent plus vraiment à quel saint se vouer. Il y a, qui plus est, tant d’intérêts à préserver… Or, de vraies menaces à l’horizon se profilent. Certains prophètes de mauvais augure parleraient même de grande dépression à venir ou bien de guerre. A les en croire, un festin nous attend, rempli de réjouissances. Aussi, la solution de l’inflation volontaire, dont John Maynard Keynes disaient qu’elle euthanasie les rentiers, ne me surprendrait guère. 

Une inflation dans le genre, relativement maîtrisée, ce qui n’est, certes, pas gagnée, finalement, pour certains, ca a du bon. Ca évite aux hommes politiques des vieilles démocraties, de moins en moins capables de se réformer par elles-mêmes, de mener des politiques impopulaires  – à des populations devenues « riches », il est bien difficile d’imposer quoique ce soit – et ca permet aux Etats affaiblis de rembourser leurs dettes sans trop payer. En bref, une inflation transnationale, décrétée par les riches, ce serait sans doute le moyen suprême de les absoudre de tous leurs péchés financiers et de leur incapacité politique. Bien sûr, aucun médicament ne s’avère sans danger. Et surtout celui-là. On songe aux terribles années de la République de Weimar, en proie à une hyper inflation, au point que les familles allemandes avaient troqué les poussettes contre de viles brouettes remplies de billets sans valeur. Pour éviter de telles dérives ou un tel emballement des prix, il conviendrait sans doute de bloquer le niveau des salaires – si tant est qu’il puisse vraiment s’élever – ce qui rendrait plus amère encore la potion salvatrice. Bien sûr, on pourrait m’objecter que les rentiers et les nantis subiront comme les autres. Sauf que, malheureusement, la réduction du pouvoir d’achat se ressent toujours davantage pour qui se trouve en bas…

Je ne suis pas un mage ou un devin, le genre capable de lire le futur dans les huîtres ou les fonds de pastis. La grande crise ou la lente agonie ? Qui sait ? La brutale « fin des temps » de la domination heureuse pour nous autres Occidentaux ? Pourquoi pas ? Ou bien encore l’imprévu qui surgit de sa boite tel un diable et modifie une situation que d’aucun, en Europe ou aux Etats-Unis, croyait désespérée ? Tout est possible en théorie ! Mais si cette solution de l’inflation à grande échelle était choisie par les pays occidentaux, qui pèsent encore de tout leur poids dans la marche du monde, elle aurait, quelles qu’en soient les conséquences économiques – les meilleures et les pires – une signification historique importante. Celle d’un Occident qui profiterait là de son pouvoir déclinant pour faire porter en partie à d’autres, les prêteurs des pays émergents, le faix de ses excès. La politique monétaire américaine montre déjà la voie. Une guerre larvée, par la finance interposée, a commencé entre parties du monde, imprévisible, avec des dommages collatéraux à venir… D’ailleurs, affolés qu’ils sont par un dollar en chute libre, au rythme des caprices de la FED, et par des bons du trésor de moins en moins rentables, de moins en moins crédibles, les investisseurs se rabattent sur l’or ou les matières premières, y compris les denrées, et font monter les prix partout sur la planète. Les crises alimentaires récentes en sont les hauts-de-cœurs, dont pâtissent les populations les plus pauvres. En diversifiant leurs placements géographiques, là où le profit semble encore préservé, ces investisseurs de toute origine alimentent, de plus, des phénomènes de bulles dans les contrées lointaines en plein développement. « Gardez messieurs vos maladies ! », peut-être un jour pas si lointain, s’exclameront les dirigeants et les élites de ces pays.

Dans cette évolution mondiale récente de l’économie intriquée, personne n’a les mains vraiment propres. Chaque pays défend son intérêt au détriment des autres. La Chine, d’ailleurs, se taille la part du lion, impitoyablement. Seuls les rapports de force, les compromis font les ajustements et les équilibres précaires. Mais il faut bien le reconnaître, depuis plusieurs années, l’Occident vit au dessus de ses moyens. Il semble, d’ailleurs, si difficile d’y renoncer. Des Etats qui empruntent et des ménages aussi… c’est le monde de la surconsommation, la loi d’airain du toujours plus, alors que s’ouvre la boite de pandore de la concurrence internationale. Le système financier a d’ailleurs su en profiter largement, au point de nous mener au krach. Pourquoi s’en indigner ? L’essence du capitalisme est la recherche aveugle du profit. La faute à qui s’endette et ne peut rembourser. Les doléances actuelles, qui pointent du doigt, à tord et à raison, les banques, me rappellent une histoire. Vous en tirerez vous-même une morale.

Un scorpion indolent voulait franchir une rivière. Mais il ne savait pas nager. Il s’adressa alors à un hippopotame qui trempait là comme un bout de biscotte dans un bol de lait. « Dites moi mon cher ami, accepteriez-vous volontiers de me faire la rivière passer ? Sur votre dos musclé je viendrais me nicher, sans vous déranger plus que le souffle du vent », dit le scorpion d’une voix de fausset. « Ma foi, je suis de nature serviable et je le voudrais bien. Mais toutefois ma confiance à vous je ne puis l’accorder, car si vous me piquiez le dos, animal venimeux que vous êtes, j’en mourrais certainement », répondit le placide mammifère. « Mais si je vous piquais, très cher, moi aussi je mourrais. Vous n’avez rien à craindre », renchérit le scorpion. Convaincu par ces douces paroles, l’hippopotame accepta. Son passager sur son dos, il commença à traverser l’onde claire. Brusquement, au milieu du cours d’eau, ce dernier le piqua. Surpris et terrifié,  car le venin allait faire son effet avant que les deux animaux n’atteignent la berge boueuse, l’hippopotame s’exclama : « mais pourquoi avez-vous fait cela ? Nous allons périr tous les deux ! » Alors le scorpion lui souffla, comme une ultime sentence : « vous aviez bien raison, je ne suis qu’un scorpion venimeux. Et c’est là ma nature profonde. »

Les effets délétères des options politiques et économiques, plus ou moins réfléchies, que les élites des pays les plus riches ont choisi au nom d’une certaine vision et de l’enrichissement de certains groupes sociaux sans le dire, sont, en vérité, fort nombreux: certains salaires quasi bloqués, développement de services dont une partie ne repose sur rien de concret pour compenser une industrie perdue et ne rendent guère l’économie plus productive, Etats providence dépensiers, ménages endettés, secteur financier qui ne connaît aucune limite et préférence politique pour les classes âgées dont les habitudes et les choix pèsent plus que de raison… 

En vérité, dès la fin des années 1970, la machine à faire du profit montrait des signes de faiblesse du côté des pays avancés. La dérèglementation de la finance et l’intensification de la libéralisation des échanges permirent, la décennie suivante, de relancer en apparence un système qui commençait à s’essouffler dans sa recherche de la rentabilité. Il fallait une sortie par le haut. Le Tiers monde était là, prêt à le lui fournir. Une armée de réserve comme dirait Marx. Tandis que les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest inventaient une économie, de son industrie progressivement amputée (sauf exception), une économie qui fait pssschit – avec une « pseudo » croissance pour les Américains et une croissance molle pour les Européens – les habitudes consuméristes ne cessaient de s’étendre et les besoins des populations de croître, de plus en plus voraces. Logiquement et sans le dire vraiment, les ménages et/ou les Etats occidentaux, avec de profondes différences suivant la politique publique menée par chaque pays, commencèrent à tendre la main systématiquement. Il fallait bien recourir à la dette avec les banques privées et les marchés, puisqu’on avait banni la « terrible » inflation (par création monétaire des banques centrales et dévaluation), ce phénomène économique qui tout au long du siècle avait causé, il est vrai, bien du souci. 

Tous ces déséquilibres, jusqu’à présent, personne, ici, ne s’en plaignait vraiment, hormis parfois les ouvriers, ou ne voulait les voir, jusqu’au grand vacillement… Certes, pour certains les emplois s’envolent, comme les oiseaux migrateurs. Mais même ceux qu’on appelle chez nous les perdants de la mondialisation peuvent se consoler en achetant des produits à bas prix fabriqués en grande quantité par les ex colonisés. Ironie de l’histoire, puisque de la décolonisation à la délocalisation, il n’y a qu’un pas, ces peuples jadis dominés deviennent de redoutables prédateurs. Ils ne se cantonnent plus dans leur rôle de simples exécutants. Enrichis petit à petit, à la satisfaction de cette fraction de la bourgeoisie occidentale gavée de mondialisation (le soit-disant remède au profit déclinant), ils pourraient prendre une revanche, poussés par leurs intérêts et par l’implacable volonté que portent en eux les anciens miséreux.

Aussi, les tensions liées à nos excès et à la mondialisation vont amener à un réajustement nécessaire. Mais il n’y a en Occident pas vraiment de modèle ou d’idées neuves pour profiter de l’occasion. Où sont les grands penseurs et théoriciens impétueux capables de sentir l’époque ? Les plus lucides, les plus originaux, on les entend si peu ! La solution, je vous le dis, il ne faut pas l’attendre des aînés. Nous n’avons plus besoin de leur pensée. Au contraire, nous devrions la rejeter. Qu’on me permette alors de faire une suggestion, ou plutôt une invitation à la modestie. Les élites des pays émergents nous observent. Ils ont, dans certains domaines, un retard à rattraper. Pour autant, peut-être regardent-ils aussi les erreurs commises par leurs précieux voisins. Nous pourrions faire de même, et sans ethnocentrisme aucun, nous en inspirer volontiers. Leurs Etats providence, par exemple, vont devoir s’affermir, pour que se développe leur marché intérieur. Ils ont compris avec la crise que vers le fond nous pouvons les emmener. Quel type d’Etat social vont-ils alors créer – qui ne soit pas un terrifiant panier percé – au regard de leur tradition nationale et des luttes de classes ? Certains, parmi ces pays nouveaux riches, feront-ils mieux que leurs anciens dominateurs ? Autant de choses à voir et à utiliser, plutôt que camper sur nos certitudes et nos solutions éculées.  

Vers la fin du 17ème siècle, la croissance démographique avait trouvé ses limites. Certaines régions d’Asie et pi d’Europe, mon Dieu, devaient connaître un coup d’arrêt à leur heureux progrès. Fallait nourir le surplus de personnes en exploitant de nouvelles terres et renoncer à l’aventure industrielle. Le sieur Malthus allait encore avoir raison. Heureusement pour les Anglais d’abord, et le reste du continent Europe ensuite, l’avait dans le sol de la perfide Albion beaucoup de charbon noir, tout près des villes où fleurissaient les belles innovations. De l’énergie en quantité et à portée de main pour satisfaire une industrie naissante. L’avait enfin le nouveau monde, pour y cultiver des denrées, s’approprier des terres faute d’en avoir assez chez soi, des excédents de population se débarrasser sans famine (« allez-y voir dans nos belles colonies! »), et laisser le champ libre à la main d’œuvre des manufactures. La graine du capitalisme une fois semée, elle ne pouvait que prendre. Et c’est ainsi que nos ancêtres échappèrent à la contrainte écologique qui remit à sa place les autres bouts d’humanité en avance sur leur temps. Dans quelques décennies, une nouvelle contrainte écologique menacera le développement de toutes les sociétés. Le rêve américain pour plusieurs milliards d’êtres humains n’est pas tenable. Notre bonne vieille terre ne le supportera pas. Quelles solutions surgiront-elles alors de l’histoire capricieuse et quelles parties du monde en sortiront vainqueurs ? Mes descendants peut-être seuls le sauront. En attendant, faudrait au moins couvrir ses fesses et ménager ici, je veux dire chez nous, un avenir décent, pour que les 200 ans de l’ère industrielle, bâtis sur la souffrance, la sueur et la domination, comme un immense sacrifice, souvent non consenti, n’aient pas servi à rien.