Archives de Tag: appartenance collective

Pourquoi je suis devenu un terroriste

Par défaut

Il était assis et courbé, comme une plante fanée, sur le sol froid de la désolation et cerné par les griffes aiguisées des créatures du royaume des ombres qui l’attendaient tapies tout près de lui. Sans doute n’avait-il pas imaginé qu’il se retrouverait perdu dans l’antichambre de l’enfer après sa mort glorieuse en Syrie. Du jugement dernier il pensait en retirer une juste récompense. Mais rien de tout cela n’arriva. Dans la vie comme dans la mort, il ne sert à rien de tirer des plans sur la comète.

 

Le terroriste de France

Qui es-tu toi qui approche ? Qui t’envoie vers moi ?

 

Christobal sous une forme spectrale

Je suis un simple voyageur égaré. Je suis sorti de mon corps suite à une méditation transcendantale qui a mal tourné. Pourtant, d’après un pote hindouiste cela ne comportait aucun risque…

 

Le terroriste

Que veux-tu ?

 

Christobal

Rien, je ne fais que passer avant de retrouver mon corps. Je te connais. Je pense savoir ce qui t’a mené jusqu’ici.

 

Le terroriste

Que… Comment… ? Tu prétends savoir pourquoi je suis devenu un terroriste !

 

Christobal

Oui. Tu as passé des diplômes, tu ne te débrouillais pas trop mal, engagé sur la voie d’une certaine progression sociale. Pourtant, tu ne te sentais pas complètement toi-même. Il te manquait quelque chose. Une idée a fait son chemin : c’est avec ceux de ta communauté que tu te sens le mieux. La religion vous unit et vous rend fort, elle doit vous aider à combattre l’oppression de tes frères par l’Occident à l’autre bout de la planète. Voilà ce qu’on t’a dit et qui a fait écho en toi.

 

Le terroriste

Oui.

 

Christobal

La solidarité de classe tu ne connais pas. Disons qu’elle reste, pour toi, trop vague. Et quand bien même elle faisait sens jadis en France, elle s’avère extrêmement fragile. D’autres appartenances communautaires peuvent saper son fondement et constituer autant de sources de conflits et de divisions. Pas facile de (re)fonder une classe pour soi comme dirait Marx ! La seule appartenance qui occupe le plus de place aujourd’hui est ethnico-religieuse.

 

Le terroriste

Car seuls ceux qui vénèrent Allah sont mes frères.

 

Christobal

C’est un peu court. Une sentence ne peut suffire à expliquer ou à comprendre. Il y a pour moi deux choses.

 

Le terroriste

Je t’écoute mécréant. Tu n’es peut-être pas là par hasard.

 

Christobal

Mais si… Enfin, peu importe. Je poursuis. Il y a la volonté, chez les jeunes, de combattre des « dragons » ! Cela fait le sel de la vie juvénile. Je me souviens moi-même de mon propre bouillonnement intérieur : envie de me ranger et, en même temps, de révolutionner les choses, de mener un combat, de remporter une victoire, de m’accomplir. Le voilà le besoin d’exister ! Mais il y a aussi un besoin d’appartenance et de sécurité qui se manifeste avec force et que résument ces questions : quelle est ma place ici bas (surtout si l’on ne se sent pas complètement à sa place) ? De qui suis-je proche ? Ces questions m’ont, moi aussi, tourmenté.

 

Le terroriste

 

Christobal

A Istanbul, il y a quelques années, je suis entré dans une mosquée. Pas la plus touristique. J’ai eu comme un déclic.

 

Le terroriste

Que veux-tu dire ?

 

Christobal

J’ai envié un instant les gens qui s’y trouvaient. L’ambiance était paisible, voire reposante, et apparemment chaleureuse. Un homme parlait et les autres assis en cercle l’écoutaient sagement. Ils semblaient heureux. Je voyageais seul et je me disais que cela devait être agréable de sentir que l’on avait sa place dans une communauté, que l’on pouvait être écouté et soutenu, que l‘on pouvait régulièrement évoquer, en venant en ce lieu, des choses qui transcendaient le quotidien et apportaient des réponses à des questions existentielles angoissantes. La dernière église que j’ai visitée en France ne regroupait que quelques fidèles vieillissants et chacun, figé comme un cierge, priait de son côté en répondant mécaniquement au prêtre et en jetant parfois un regard furtif à son voisin.

 

Le terroriste

Il fallait te convertir (ricanements) !

 

Christobal

La forme me séduit mais le fond ne me convainc pas ! Bref, j’ai compris là ce qu’un jeune, voire un moins jeune, pouvait, entre autre chose, trouver dans la religion musulmane.

 

Le terroriste

Tu parles pour les convertis. Pour les autres, l’Islam fait partie de leur vie depuis toujours. Quant à mes frères d’armes terroristes, tous n’ont pas réussi dans les études, certains sont des ex délinquants.

 

Christobal

Oui. Pour bon nombre de personnes la religion est affaire de tradition familiale (je dirais même d’émancipation familiale avec ce que cela comporte d’affectivité). Elle devient actuellement un étendard, certains y cherchent une forme de respectabilité à afficher par la pratique ostentatoire et ce d’autant plus qu’elle prend de l’importance au sein d’une communauté et de la société. J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : cela n’est possible que parce que l’appartenance ethnico-religieuse se construit et s’affirme au détriment d’autres appartenances collectives affaiblies.

 

Le terroriste

 

Christobal

Quant à tes frères d’armes, il faut grosso modo distinguer parmi les délinquants entre pseudo et vrais terroristes. Les premiers ont appris à aimer et aiment toujours l’argent facile, ils n’y renonceront pas pour un idéal politico-religieux. Simplement, leur détestation de la France et des autres groupes sociaux sert de prétexte à des menaces, à du zèle religieux ponctuel et à des actions violentes. Pour autant, ils ne partent pas combattre et ne sont pas prêts à mourir. Les seconds, minoritaires, constituent, en quelque sorte, une élite de rue ou, plutôt, des repentis de la vie de voyou. Intelligents et, probablement, par certains côtés sensibles, ils ont épousé la vie délinquante au détour d’un parcours chaotique plus ou moins tourmenté sans y adhérer pleinement. Une expérience vécue comme une injustice personnelle flagrante liée à ce parcours délinquant et, par la suite, une rencontre avec un prédicateur salafiste les ont amenés à se radicaliser rapidement ou par étapes. Cela étant, on ne m’enlèvera pas de l’idée que cette adhésion à un rigorisme religieux constitue une forme de rejet de certaines valeurs libertaires et consuméristes de la société « post-soixantehuitarde » (ces jeunes recherchent une discipline martiale, une autorité, un combat qui transcende leur existence…). Voilà pourquoi les classes moyennes et supérieures françaises ne peuvent, dans l’ensemble, comprendre ce phénomène.

 

Le terroriste

J’en connais de ces jeunes.

 

Christobal

Bien entendu ! Malheureusement les institutions et les personnels en charge de la population délinquante des cités manquent parfois de discernement. Il leur arrive d’être cléments avec les voyous qui recommenceront ou durciront leur conduite et de sanctionner lourdement des jeunes un peu paumés, en apparence durs mais foncièrement hésitants quant à leur avenir délinquant, donc « récupérables » si ce terme à un sens. De toute façon, les voies qui mènent à l’endoctrinement, qu’il soit rapide ou progressif, irréfléchi ou mûri, ne sont pas impénétrables… mais très certainement diverses (internet joue un rôle clef). J’estime, en revanche, que l’éventail des motivations s’avère bien plus restreint.

 

Le terroriste

 

Christobal

Enfin… (soupir), je te laisse avec tes possibles remords, dans cette terrible antichambre. Le sang sur les mains doit être lavé et chacune de nos fautes expiée.