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Billet d’humeur: tout va très bien madame la marquise !

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« Tout va très bien madame la marquise ! », comme le chantait Ray Ventura. D’après une chaine de Tv, les banques centrales des pays du G 7 auraient décidé, d’un commun accord, d’assouplir leur politique monétaire. Si cette rumeur se confirmait, car il n’y a encore rien d’officiel (l’Allemagne s’y opposerait probablement), cela signifierait que les Américains ne seront plus les seuls à faire ce qu’on appelle techniquement du quantitative easing. Ce qui revient, au fond, à de la création monétaire massive ex nihilo, puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat, avant de l’avoir dans la gorge. Aux Etats-Unis, toujours unis avec eux-mêmes, le quantitative easing découle de la volonté de la FED de racheter les bons du trésor dont les investisseurs se méfient de plus en plus et qu’ils commencent à délaisser. Cette politique monétaire permet aussi de rembourser une dette qui s’évapore d’autant plus que la monnaie s’affaiblit. Les prêteurs qui pensaient s’enrichir doivent s’en mordre les doigts… Thanksgiving a lieu bientôt je crois, au moins là-bas ils ne manqueront pas de dindes et de dindons!

Dans le club des nantis, apparemment on s’inquiète beaucoup. Trop de dettes et si peu de croissance. Laquelle d’ailleurs commence à souffrir de la dette. Un véritable cercle vicieux. En outre, s’endetter davantage pour différer les mesures douloureuses et les réformes radicales n’a servi, depuis 2007, qu’à offrir aux populations un sursis. Bien relatif d’ailleurs. En bref, ces messieurs et mesdames des sommets, et ces institutions prétendument omnipotentes ne savent plus vraiment à quel saint se vouer. Il y a, qui plus est, tant d’intérêts à préserver… Or, de vraies menaces à l’horizon se profilent. Certains prophètes de mauvais augure parleraient même de grande dépression à venir ou bien de guerre. A les en croire, un festin nous attend, rempli de réjouissances. Aussi, la solution de l’inflation volontaire, dont John Maynard Keynes disaient qu’elle euthanasie les rentiers, ne me surprendrait guère. 

Une inflation dans le genre, relativement maîtrisée, ce qui n’est, certes, pas gagnée, finalement, pour certains, ca a du bon. Ca évite aux hommes politiques des vieilles démocraties, de moins en moins capables de se réformer par elles-mêmes, de mener des politiques impopulaires  – à des populations devenues « riches », il est bien difficile d’imposer quoique ce soit – et ca permet aux Etats affaiblis de rembourser leurs dettes sans trop payer. En bref, une inflation transnationale, décrétée par les riches, ce serait sans doute le moyen suprême de les absoudre de tous leurs péchés financiers et de leur incapacité politique. Bien sûr, aucun médicament ne s’avère sans danger. Et surtout celui-là. On songe aux terribles années de la République de Weimar, en proie à une hyper inflation, au point que les familles allemandes avaient troqué les poussettes contre de viles brouettes remplies de billets sans valeur. Pour éviter de telles dérives ou un tel emballement des prix, il conviendrait sans doute de bloquer le niveau des salaires – si tant est qu’il puisse vraiment s’élever – ce qui rendrait plus amère encore la potion salvatrice. Bien sûr, on pourrait m’objecter que les rentiers et les nantis subiront comme les autres. Sauf que, malheureusement, la réduction du pouvoir d’achat se ressent toujours davantage pour qui se trouve en bas…

Je ne suis pas un mage ou un devin, le genre capable de lire le futur dans les huîtres ou les fonds de pastis. La grande crise ou la lente agonie ? Qui sait ? La brutale « fin des temps » de la domination heureuse pour nous autres Occidentaux ? Pourquoi pas ? Ou bien encore l’imprévu qui surgit de sa boite tel un diable et modifie une situation que d’aucun, en Europe ou aux Etats-Unis, croyait désespérée ? Tout est possible en théorie ! Mais si cette solution de l’inflation à grande échelle était choisie par les pays occidentaux, qui pèsent encore de tout leur poids dans la marche du monde, elle aurait, quelles qu’en soient les conséquences économiques – les meilleures et les pires – une signification historique importante. Celle d’un Occident qui profiterait là de son pouvoir déclinant pour faire porter en partie à d’autres, les prêteurs des pays émergents, le faix de ses excès. La politique monétaire américaine montre déjà la voie. Une guerre larvée, par la finance interposée, a commencé entre parties du monde, imprévisible, avec des dommages collatéraux à venir… D’ailleurs, affolés qu’ils sont par un dollar en chute libre, au rythme des caprices de la FED, et par des bons du trésor de moins en moins rentables, de moins en moins crédibles, les investisseurs se rabattent sur l’or ou les matières premières, y compris les denrées, et font monter les prix partout sur la planète. Les crises alimentaires récentes en sont les hauts-de-cœurs, dont pâtissent les populations les plus pauvres. En diversifiant leurs placements géographiques, là où le profit semble encore préservé, ces investisseurs de toute origine alimentent, de plus, des phénomènes de bulles dans les contrées lointaines en plein développement. « Gardez messieurs vos maladies ! », peut-être un jour pas si lointain, s’exclameront les dirigeants et les élites de ces pays.

Dans cette évolution mondiale récente de l’économie intriquée, personne n’a les mains vraiment propres. Chaque pays défend son intérêt au détriment des autres. La Chine, d’ailleurs, se taille la part du lion, impitoyablement. Seuls les rapports de force, les compromis font les ajustements et les équilibres précaires. Mais il faut bien le reconnaître, depuis plusieurs années, l’Occident vit au dessus de ses moyens. Il semble, d’ailleurs, si difficile d’y renoncer. Des Etats qui empruntent et des ménages aussi… c’est le monde de la surconsommation, la loi d’airain du toujours plus, alors que s’ouvre la boite de pandore de la concurrence internationale. Le système financier a d’ailleurs su en profiter largement, au point de nous mener au krach. Pourquoi s’en indigner ? L’essence du capitalisme est la recherche aveugle du profit. La faute à qui s’endette et ne peut rembourser. Les doléances actuelles, qui pointent du doigt, à tord et à raison, les banques, me rappellent une histoire. Vous en tirerez vous-même une morale.

Un scorpion indolent voulait franchir une rivière. Mais il ne savait pas nager. Il s’adressa alors à un hippopotame qui trempait là comme un bout de biscotte dans un bol de lait. « Dites moi mon cher ami, accepteriez-vous volontiers de me faire la rivière passer ? Sur votre dos musclé je viendrais me nicher, sans vous déranger plus que le souffle du vent », dit le scorpion d’une voix de fausset. « Ma foi, je suis de nature serviable et je le voudrais bien. Mais toutefois ma confiance à vous je ne puis l’accorder, car si vous me piquiez le dos, animal venimeux que vous êtes, j’en mourrais certainement », répondit le placide mammifère. « Mais si je vous piquais, très cher, moi aussi je mourrais. Vous n’avez rien à craindre », renchérit le scorpion. Convaincu par ces douces paroles, l’hippopotame accepta. Son passager sur son dos, il commença à traverser l’onde claire. Brusquement, au milieu du cours d’eau, ce dernier le piqua. Surpris et terrifié,  car le venin allait faire son effet avant que les deux animaux n’atteignent la berge boueuse, l’hippopotame s’exclama : « mais pourquoi avez-vous fait cela ? Nous allons périr tous les deux ! » Alors le scorpion lui souffla, comme une ultime sentence : « vous aviez bien raison, je ne suis qu’un scorpion venimeux. Et c’est là ma nature profonde. »

Les effets délétères des options politiques et économiques, plus ou moins réfléchies, que les élites des pays les plus riches ont choisi au nom d’une certaine vision et de l’enrichissement de certains groupes sociaux sans le dire, sont, en vérité, fort nombreux: certains salaires quasi bloqués, développement de services dont une partie ne repose sur rien de concret pour compenser une industrie perdue et ne rendent guère l’économie plus productive, Etats providence dépensiers, ménages endettés, secteur financier qui ne connaît aucune limite et préférence politique pour les classes âgées dont les habitudes et les choix pèsent plus que de raison… 

En vérité, dès la fin des années 1970, la machine à faire du profit montrait des signes de faiblesse du côté des pays avancés. La dérèglementation de la finance et l’intensification de la libéralisation des échanges permirent, la décennie suivante, de relancer en apparence un système qui commençait à s’essouffler dans sa recherche de la rentabilité. Il fallait une sortie par le haut. Le Tiers monde était là, prêt à le lui fournir. Une armée de réserve comme dirait Marx. Tandis que les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest inventaient une économie, de son industrie progressivement amputée (sauf exception), une économie qui fait pssschit – avec une « pseudo » croissance pour les Américains et une croissance molle pour les Européens – les habitudes consuméristes ne cessaient de s’étendre et les besoins des populations de croître, de plus en plus voraces. Logiquement et sans le dire vraiment, les ménages et/ou les Etats occidentaux, avec de profondes différences suivant la politique publique menée par chaque pays, commencèrent à tendre la main systématiquement. Il fallait bien recourir à la dette avec les banques privées et les marchés, puisqu’on avait banni la « terrible » inflation (par création monétaire des banques centrales et dévaluation), ce phénomène économique qui tout au long du siècle avait causé, il est vrai, bien du souci. 

Tous ces déséquilibres, jusqu’à présent, personne, ici, ne s’en plaignait vraiment, hormis parfois les ouvriers, ou ne voulait les voir, jusqu’au grand vacillement… Certes, pour certains les emplois s’envolent, comme les oiseaux migrateurs. Mais même ceux qu’on appelle chez nous les perdants de la mondialisation peuvent se consoler en achetant des produits à bas prix fabriqués en grande quantité par les ex colonisés. Ironie de l’histoire, puisque de la décolonisation à la délocalisation, il n’y a qu’un pas, ces peuples jadis dominés deviennent de redoutables prédateurs. Ils ne se cantonnent plus dans leur rôle de simples exécutants. Enrichis petit à petit, à la satisfaction de cette fraction de la bourgeoisie occidentale gavée de mondialisation (le soit-disant remède au profit déclinant), ils pourraient prendre une revanche, poussés par leurs intérêts et par l’implacable volonté que portent en eux les anciens miséreux.

Aussi, les tensions liées à nos excès et à la mondialisation vont amener à un réajustement nécessaire. Mais il n’y a en Occident pas vraiment de modèle ou d’idées neuves pour profiter de l’occasion. Où sont les grands penseurs et théoriciens impétueux capables de sentir l’époque ? Les plus lucides, les plus originaux, on les entend si peu ! La solution, je vous le dis, il ne faut pas l’attendre des aînés. Nous n’avons plus besoin de leur pensée. Au contraire, nous devrions la rejeter. Qu’on me permette alors de faire une suggestion, ou plutôt une invitation à la modestie. Les élites des pays émergents nous observent. Ils ont, dans certains domaines, un retard à rattraper. Pour autant, peut-être regardent-ils aussi les erreurs commises par leurs précieux voisins. Nous pourrions faire de même, et sans ethnocentrisme aucun, nous en inspirer volontiers. Leurs Etats providence, par exemple, vont devoir s’affermir, pour que se développe leur marché intérieur. Ils ont compris avec la crise que vers le fond nous pouvons les emmener. Quel type d’Etat social vont-ils alors créer – qui ne soit pas un terrifiant panier percé – au regard de leur tradition nationale et des luttes de classes ? Certains, parmi ces pays nouveaux riches, feront-ils mieux que leurs anciens dominateurs ? Autant de choses à voir et à utiliser, plutôt que camper sur nos certitudes et nos solutions éculées.  

Vers la fin du 17ème siècle, la croissance démographique avait trouvé ses limites. Certaines régions d’Asie et pi d’Europe, mon Dieu, devaient connaître un coup d’arrêt à leur heureux progrès. Fallait nourir le surplus de personnes en exploitant de nouvelles terres et renoncer à l’aventure industrielle. Le sieur Malthus allait encore avoir raison. Heureusement pour les Anglais d’abord, et le reste du continent Europe ensuite, l’avait dans le sol de la perfide Albion beaucoup de charbon noir, tout près des villes où fleurissaient les belles innovations. De l’énergie en quantité et à portée de main pour satisfaire une industrie naissante. L’avait enfin le nouveau monde, pour y cultiver des denrées, s’approprier des terres faute d’en avoir assez chez soi, des excédents de population se débarrasser sans famine (« allez-y voir dans nos belles colonies! »), et laisser le champ libre à la main d’œuvre des manufactures. La graine du capitalisme une fois semée, elle ne pouvait que prendre. Et c’est ainsi que nos ancêtres échappèrent à la contrainte écologique qui remit à sa place les autres bouts d’humanité en avance sur leur temps. Dans quelques décennies, une nouvelle contrainte écologique menacera le développement de toutes les sociétés. Le rêve américain pour plusieurs milliards d’êtres humains n’est pas tenable. Notre bonne vieille terre ne le supportera pas. Quelles solutions surgiront-elles alors de l’histoire capricieuse et quelles parties du monde en sortiront vainqueurs ? Mes descendants peut-être seuls le sauront. En attendant, faudrait au moins couvrir ses fesses et ménager ici, je veux dire chez nous, un avenir décent, pour que les 200 ans de l’ère industrielle, bâtis sur la souffrance, la sueur et la domination, comme un immense sacrifice, souvent non consenti, n’aient pas servi à rien.