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En 2012-2013, la haine sera peut-être à droite

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En l’an de grâce, comme dirait l’autre, 1981 j’étais juste un mioche. Ma mère, il m’en souvient, dans l’escalier qui menait à chez nous elle discutait avec une voisine. « On va voter Mitterrand ! Y en à marre de la droite ! » Je revois encore la scène. Même un garçonnet rêveur pouvait comprendre. Je l’aimais bien, moi, François. Le reste de ma famille aussi d’ailleurs. A cette époque ma mère faisait des ménages à temps partiel (des gâches), à moins qu’elle n’eût commencé à bosser en cuisine, je ne suis plus tout à fait sûr, et mon père contribuait à produire des richesses par son travail ouvrier dans l’industrie de la récupération des métaux et des ferrailles. Aussi, quoi de plus normal que d’adhérer au discours de François et de croire à ses promesses. De cette élection, je n’ai pas gardé d’autre souvenir précis. Ce n’est que bien plus tard que j’appris à quel point elle avait été agitée. En effet, beaucoup de riches planquaient leur argent en Suisse ou ailleurs à l’étranger avec l’annonce de la victoire programmée du candidat socialiste (les économistes appellent cela pudiquement la fuite des capitaux). Certains annonçaient même l’arrivée des chars soviétiques sur la place de la concorde. Le président américain Ronald Reagan et la Dame de fer britannique, Margareth Thatcher, suivaient de près les élections françaises, avec des intentions malveillantes. En bref, de 1981 à 1983, la haine et la peur étaient à droite, et pas seulement en France.

Cette haine et cette peur je les ai vues en 2007, mais du côté de la gauche et de l’extrême gauche françaises cette fois-ci. De cette gauche et de cette extrême gauche qui ont émergé à partir de 1983 et qui règnent idéologiquement sur bien des secteurs de la vie sociale depuis cette date, à défaut de savoir briller par l’intelligence de leurs idées et de leurs discours sur le monde. Les réactions de certaines couches sociales et d’une partie du peuple dit de gauche vis-à-vis de Sarkozy furent, en 2007, disproportionnées. Des réactions souvent stupides, voire fanatiques. Entre les injures sur le net, les invitations ridicules à quitter le pays, le matraquage médiatique de la presse du service public et de certains journaux ou magazines, sans compter les « indignations » récurrentes d’artistes exaltés en manque de bonne conscience et les actes de pseudo résistance de la part de catégories professionnelles surtout préoccupées par le fait de ne devoir rendre de comptes à personne, nous avons eu là notre lot de mauvaise foi, de détestation et de bassesses (lesquelles ont, je le pense, nui à la critique de ce président si « bling-bling » et occulté les vrais problèmes).

L’histoire aujourd’hui s’accélère. Elle ne progresse pas seulement par bonds, comme une puce, elle est aussi adepte d’un seul mouvement, celui du balancier. Dans les deux prochaines années il y a fort à parier que la haine et la peur seront à droite. Déjà, les chiens de guerre ont été lâchés sur Hollande, que ses supporteurs enthousiastes voient comme un nouveau François. Le Président Sarkozy en personne a anticipé devant des journalistes sa possible défaite, alors qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat. Du jamais vu. A l’UMP, on bouillonne. Une partie de la droite voudrait bien se débarrasser de l’hôte de l’Elysée, mais elle n’a aucun champion à lui substituer. Une recomposition politique est à prévoir. La droite éclatera sans doute avec la défaite (si, bien entendu, elle perd, ce qui semble très plausible). Quand le pouvoir lui échappera et que la situation économique et sociale se dégradera, alors paraîtra de nouveau le visage de la haine, d’autant qu’il faudra prendre des mesures draconiennes pour redresser le pays. Des choix devront être faits pour savoir qui portera le fardeau des efforts à accomplir ou plutôt pour savoir comment le répartir au mieux. Or, il n’y a rien de plus dangereux qu’un bourgeois qui se sent menacé dans son confort de vie. Comme en 1936 et en 1981, le représentant de la gauche subira une forte pression destinée à le faire trébucher.

D’ailleurs, les bourgeois ne seront pas les seuls à agir afin de préserver leurs intérêts. A chaque fois que la haine et la peur se manifestent dans un camp, elles sont comme une révélation sur la nature des intérêts et des convictions profondes de ceux dont elles s’emparent. Les déclarations de principes et les arguments employés n’ont, en effet, aucune valeur. Il faut seulement les comprendre comme des justifications, des diversions et des prétextes dans la bouche de ceux qui se sentent menacés dans ce qui leur tient à cœur. Seuls comptent les réactions primaires et les réflexes de classe pour savoir ce qu’ils défendent vraiment ou ce qu’ils s’efforcent de cacher. Dans son fabuleux roman, L’éducation sentimentale, Flaubert décrit comment le père Roque, bon bourgeois provincial, assassine dans une cellule surpeuplée un insurgé agité qui lui réclame du pain. Il le tue d’un coup de fusil à travers les barreaux et répand sa cervelle sur un baquet qui sert aux prisonniers pour boire. Il faut dire que les émeutiers parisiens ont eu la mauvaise idée de dégrader son pied-à-terre rue Saint-Martin. « Les dommages causés par l’émeute à la devanture de son immeuble n’avaient pas contribué médiocrement à le rendre furieux (…) Son action de tout à l’heure [le coup de fusil] l’apaisait, comme une indemnité. » Génial Flaubert qui avait tout compris de la force des intérêts matériels.

Hollande va être confronté à un défi de taille. Des mesures de bon sens (de droite comme de gauche, et au-delà des clivages), du pragmatisme et de nouvelles règles du jeu seront nécessaires. Or, le candidat socialiste devra, s’il devient Chef de l’Etat, faire face à une droite dont une partie cherchera à prendre sa revanche, soutenue par des couches sociales qui ne veulent pas payer, bien que privilégiées, mais aussi à son électorat. Chez ce dernier, il y a des conservateurs. Car une grande partie des anti-Sarkozystes refusent également de mettre la main à la poche et rejettent toute forme d’effort. Une certaine haine à l’égard de Sarkozy trouve, d’ailleurs, son explication dans la menace qu’il a représentée pour leurs petites vies. Le « social », la Fonction publique et les subsides de l’Etat « mastodonte », ca fait vivre beaucoup de monde…

Le plus grand danger viendra cependant des plus privilégiés, profiteurs de la mondialisation et très grassement payés. Ceux-là disposent de puissants leviers et d’alliés de taille pour faire plier le probable futur Président de la République. La haine ressentie par les nantis menacés on va peut-être la voir surgir au grand jour, je vous l’annonce ! A moins qu’Hollande ne se laisse facilement circonvenir ou que son éthos de bourgeois ne prenne le pas sur la mission de nouvel espoir socialiste qu’il s’est donné et que certains lui prêtent. Dans ce cas, il rentrera dans le rang. C’est pas Zarathoustra qui parle, c’est juste Christobal.

Douche écossaise et crise grecque

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Le texte suivant a été publié sur le site du Monde des lecteurs :

http://mediateur.blog.lemonde.fr/2011/11/04/crise-grecque-le-referendum-placerait-chacun-devant-ses-responsabilites/

Christobal le reproduit avec l’autorisation de l’auteur. Après la mise au pas du Premier ministre grec par le couple « Merkozy » et l’alternance de sentiments d’euphorie et de panique sur les fameux marchés financiers ces jours-ci, il s’avère, selon Christobal, on ne peut plus pertinent. Comme quoi, une « douche écossaise » à la Grecque, ca existe! Reste un point important que n’évoque pas ce texte: celui de la question à poser pour le référendum. Peut-être le « Doit-on rester dans la zone euro? » n’a-t-il pas assez de sens. En revanche, le « Qui doit payer? » paraît plus incisif. Ca aurait de la gueule aussi une question du genre: « Êtes-vous pour ou contre la nationalisation des biens du clergé orthodoxe si ce dernier continue de refuser de payer des impôts? »  

Crise grecque: le référendum aurait mis chacun face à ses responsabilités

04 novembre 2011

Une partie des analyses actuelles se contente de dresser une sorte de procès des différents acteurs de la crise. Comme si les relations politiques et économiques internationales dépendaient d’une espèce de code de morale général planant au-dessus des nations. Or, les « ya qu’à » et les « c’est scandaleux » ne nous aident pas à comprendre ce qui se passe.

Les économistes partent du principe qu’au cœur de tout il y a les réalités économiques et qu’elles finiront par dicter leur logique. Ils oublient le politique. Les journalistes politiques, eux, voient surtout des politiciens en campagne. Ils oublient le poids des réalités économiques. Mais il y a aussi le fonctionnement des institutions, très complexe, avec sa propre inertie mais aussi sa capacité créative. Enfin, n’oublions pas les symboles et leurs effets psychologiques (l’Euro, l’Union, le couple franco-allemand, etc.).

La crise grecque nous rappelle le dernier et peut-être le plus important de ces acteurs : les peuples. En Syrie, ou en Corée du Nord, ce sont des acteurs mineurs mais pas en Europe. Ces peuples européens ont des attentes contradictoires (et pas seulement car des groupes sociaux différents s’y côtoient) : ils veulent une protection à la soviétique mais une prospérité à l’américaine, ne pas payer d’impôts mais avoir un Etat efficace, peu d’armée mais une protection contre leurs ennemis, une union européenne mais la liberté de décider sans se soucier des autres… Et enfin des dirigeants qui dirigent mais en même temps une société civile qui décide.

Tout le problème est donc de comprendre les intérêts, les points de vue, les logiques et les marges de manœuvre de ces différents acteurs. Les juger au tribunal de notre morale n’aide pas à comprendre comment les choses vont évoluer.

Papandréou, le bon élève européen ?

Si l’on prend le point de vue du Premier ministre grec, les choses sont assez claires. Son pays est au bord de l’insurrection. Le moment est historique. Il a très bien compris que la Grèce est prisonnière de l’euro. Non seulement parce que cette monnaie empêche l’économie de fonctionner à sa mesure, mais également car les dirigeants de la zone euro se soucient avant tout de sauver la monnaie. Papandréou a beau expliquer que le pays est au bord de l’effondrement, pour le couple franco-allemand l’important c’est l’euro.

Dès lors, il n’avait plus rien à perdre en tentant un référendum. L’opposition grecque refusait l’union nationale et un tour de vis d’austérité de plus plongera le pays dans le chaos. Le référendum placerait chacun devant ses responsabilités. Le peuple ne pourrait plus continuer à exiger sans regarder. Les partis qui appelleraient à l’abstention montreraient leur refus d’assumer la situation. Dans le meilleur des cas, l’Europe pourrait même être contrainte de desserrer l’étreinte financière.

Cette analyse impose que l’on abandonne les remontrances morales au sujet de l’incurie grecque. Bien sûr, le pays fonctionne selon des normes qui le rapprochent du Tiers-Monde. Mais le problème actuel du dirigeant grec est de sauver son pays. En ce sens, Papandréou s’avère peut-être l’un des meilleurs politiciens qu’ait eu la Grèce depuis longtemps. Polyglotte, diplômé des meilleures universités mondiales, rompu aux négociations internationales, ouvert et novateur (il a favorisé la discrimination positive pour les musulmans et voulu imposer des primaires dans son parti), c’est un homme d’action et de compromis. Il n’a cessé de plaider la cause de son pays dans toutes les capitales et de jouer le bon élève européen. Maintenant, il tente le tout pour le tout. Le grand bond en avant dans l’inconnu du retour à la drachme ne pourrait, de toute façon, être imposé par un homme seul ; il ne pourrait l’être que par les circonstances.

La crise, la Grèce la vit déjà…

Alors bien sûr, la colère des partenaires européens est légitime si l’on part de leur point de vue. Tout ce travail pour rien. Mais, enfin, imagine-t-on que Papandréou allait, au moment du champagne de fin de négociation, lancer sur un ton badin : « Au fait, je songe à consulter le peuple ! Comme ça pour le principe » ? On l’accuse de placer l’Europe devant une crise sans précédent. Mais on oublie que la Grèce, elle, est déjà dans cette crise et que ceux qui ont peur refusent, pour l’instant, de prendre la moindre mesure d’économie.

Alors pour saisir les dynamiques en jeu il faut bien voir que :

1) En temps de crise grave, chacun essaie de trouver la meilleure solution pour soi en laissant les efforts aux autres. Si vous, premier ministre, ne le faites pas, c’est que vous n’êtes pas à votre poste.

2) Le but des négociateurs est de faire croire aux autres « qu’il n’y a pas d’autre solution ».

3) La morale, l’image de soi, les symboles comptent moins que le résultat : éviter l’effondrement de l’entité que l’on représente.

4) Les mesures douloureuses qui modifient les structures et les avantages acquis ne se prennent que dos au mur.

Christophe Brochier, sociologue (université Paris-VIII)

Été 36, c’est pour bientôt ? (Suite)

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Avec la participation de l’auteur du blog http://jeanpeneff.eklablog.net/

 

Conversation encore une fois presque réelle entre Jean La Niaque, prophète prérévolutionnaire soupe au lait, et Petit prince (presque) naïf, d’ailleurs de moins en moins naïf plus le temps passe, dans le même chalet dénudé que la neige n’ose toujours pas toucher…

Petit prince (presque) naïf :

L’Europe serait-elle sur le point de se sortir d’un mauvais pas ? Une solution voit le jour qui pourrait nous éviter une crise majeure.

Jean La Niaque :

A ce plan pour sauver l’euro je n’y crois guère ! Reculer pour mieux sauter… ou pour mieux tomber. Assainir les comptes publics grecs et donner de l’air à la Grèce en tirant un trait sur une partie de sa dette sont des options qui vont dans le bon sens, mais le pays n’en sera pas pour autant plus compétitif, ni mieux organisé. Avec un euro fort et une économie mal ficelée, cela prendra des années pour redresser la situation. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge comme dirait… je ne sais plus qui… D’ailleurs, le premier ministre grec vient de proposer un référendum susceptible d’annihiler ce plan douloureusement négocié. Il y a un calcul politique risqué derrière… ou bien une logique terriblement réaliste (l’idée pour lui que, de toute façon, les Grecs souffriront et que la sortie de l’euro s’avère, de fait, acceptable voire à terme inévitable). L’histoire se fait aussi par des coups de tête, des coups de folie, des bras d’honneur ou par des rebondissements inattendus… Ce référendum sera peut-être le choix du peuple contre le choix des élites européennes avec tout ce que cela comporte d’imprévisible.

Petit prince (presque) naïf :

Toujours optimiste !

Jean La Niaque :

Oui. En outre, indépendamment des obligations grecques, tous les actifs toxiques n’ont pas encore été digérés par les banques et la croissance européenne s’annonce faible pour les années à venir. Enfin, l’appel aux pays émergents, en fait surtout la Chine, va jusqu’à faire bondir, à juste titre, les plus naïfs de nos politiciens. Je croyais que cette Europe, qu’on ne cesse de nous vendre et de nous imposer même quand certains peuples la rejettent par le vote, devait nous rendre forts et capables de nous affirmer dans un monde multipolaire. Or, si c’est pour accroître notre dépendance vis-à-vis des autres…

Petit prince (presque) naïf :

En effet. Tout plutôt que de sortir du carcan. Tel semble être, pour l’instant, le mot d’ordre de nos dirigeants. Il est vrai que la fin de l’euro c’est le grand bond… vers l’inconnu et vers une certaine forme de chaos. Paraît que l’idée que l’on se fait d’une chose, quand on sait qu’elle comporte une part d’échec ou de la souffrance, est souvent pire que la chose elle-même.

Jean La Niaque :

L’histoire ne s’écrit pas dans la douceur. L’accouchement sans douleur est une invention moderne. J’ai bien peur, mon ami, que celui-ci ne s’applique qu’à un domaine strictement médical…

Petit prince (presque) naïf :

Si jamais le remède proposé, ou plutôt imposé par les Allemands, ne fonctionne pas, que se passera-t-il ?

Jean La Niaque :

Désolé, bien que souvent pessimiste, je ne suis pas, malgré tout, un oracle de malheur dont la bouche transpire de bave quand il annonce, avec des mots qui tonnent, un cataclysme.

Petit prince (presque) naïf :

J’ai pas dit ca…

Jean La Niaque :

L’important c’est d’avoir des idées, alors que tant de gens sérieux en manquent… Il ne faut pas que la pensée ressemble à un désert aride, à une steppe glacée aussi vide que la Sibérie ; elle doit plutôt être comme le printemps qui fleurit… J’anticipe des événements selon moi plausibles et j’imagine des scénarios. Je peux juste te dire en quoi la situation actuelle ressemble et diffère de celle de 36.

Petit prince (presque) naïf :

Et donc ?

Jean La Niaque :

Au printemps 2012, le dégoût pour la droite culminera. Chirac élus deux fois, puis Sarkozy, cela fait long, même s’il y a eu une cohabitation et un grignotage électoral au niveau local et parlementaire. En 36 aussi le retour au pouvoir de la gauche a succédé à une longue absence. Elle n’avait pas gouverné depuis le cartel des gauches en 24. On peut donc imaginer que les attentes seront démesurées dans un contexte général d’inquiétude. De plus, Sarkozy a été un mauvais président : infantile, adolescent gâté, hargneux, trop impulsif et faible finalement. Il est probable qu’il ne passera pas le premier tour. Dans son camp on veut se débarrasser de lui, il a déçu ceux qui ne votent pas à droite habituellement mais l’ont rallié en 2007 par écœurement vis-à-vis de la bêtise de la gauche, et puis l’électorat de la « gauche morale » et une partie substantielle de la jeunesse le détestent toujours autant. On ne va pas bien loin avec trop de déçus et d’ennemis contre soi. Tu t’apercevras aussi que la mauvaise foi et la haine grandiront à droite, à l’inverse de 2007 avec la gauche.

Petit prince (presque) naïf :

Tu veux dire qu’il y a là un véritable boulevard pour Hollande ? Sans doute verra-t-on des manifestations de joie, des fêtes, comme en 36… ou en 81.

Jean La Niaque :

Oui. Mais au même moment la situation en Europe pourrait se dégrader. Si c’est le cas ou si l’Allemagne – qui reste la locomotive de l’Europe ou plutôt le « radeau de la méduse » auquel les pays voisins se raccrochent – exige des actes de sérieux concernant la gestion des comptes publics, la pression extérieure pour une politique d’austérité drastique sera insoutenable. En 36 également les aspirations du peuple, que le gouvernement fraîchement élu devait satisfaire, cadraient mal avec les contraintes de la situation internationale.

Petit prince (presque) naïf :

Ouf ! Doucement. Le contexte était différent. Des dictatures d’extrême droite encerclaient la France, et puis celle-ci avait connu une quasi-guerre civile en février 34 avec les ligues nationalistes. Rien à voir. Les Français peuvent aussi se résigner et, globalement, accepter aujourd’hui la « rigueur ».

Jean La Niaque :

Ressembler ne signifie pas être identique, mon cher… La guerre économique larvée qui s’amorce en 2012 a, en effet, quelque chose de nouveau, voire d’étrange. En revanche, une sorte d’internationale se met en place avec les indignés (bien que je déteste ce terme). Ce mouvement, que l’on connaît mal, va durer, rassembler des publics épars, prendre des formes disparates d’un pays à l’autre, que ce soit à travers les protestations ludiques, les grèves, les détournements de citernes d’essence (quand le prix montera), par exemple, ou les combats de rue… Tu rêves, mon ami, quant à l’acceptation de la « rigueur ». Qui voudrait voir rogner ses acquis dans un pays habitué à vivre sous perfusion, d’autant que les élites ne donnent pas l’exemple ! L’été 2012 va sans doute être passionnant.

Petit prince (presque) naïf :

Et au sein de la gauche les dirigeants sont-ils comparables à ceux de 36 ?

Jean La Niaque :

Il y a, aujourd’hui comme hier, des jeunes à gauche. Je veux dire des personnalités âgées de 40 à 50 ans. Mais en 36, les Auriol, Moch, Salengro, Pivert, Thorez (trop dépendant de Moscou celui-ci), par exemple, n’ont pas eu le temps d’apprendre à gérer la crise sociale et le contexte international désastreux auxquels ils étaient confrontés. Tout comme le « vieux » Blum, âgé de 65 ans, désarçonné par les événements.

Petit prince (presque) naïf :

Pas facile pour ce pauvre Blum !

Jean La Niaque :

Non, tu peux le dire. Il ne disposait pas d’économistes autour de lui et il n’avait pas anticipé l’effondrement du franc. Blum était un littéraire, donc pas formé à gérer l’économie. Il mit 2 ans à se former et quand il revint en 38, avec un plan économique et fiscal anti-riches crédible, il manqua de temps pour l’appliquer. En 39 la guerre éclatait.

Petit prince (presque) naïf :

Hollande n’est pas Blum !

Jean La Niaque :

Pour sûr ! Mais quelque chose les rapproche. Apparemment, « Guimauve le Conquérant », comme ses adversaires l’appellent, n’a pas pronostiqué un affaiblissement de la France à « l’italienne » et pourtant cela nous guette si l’on y prend garde. Une puissance qui sombre. Cela ne sera pas le tiers monde, évidemment, mais nous vivrons un déclin économique et une dégradation des conditions de vie réels. Or, Hollande semble faire des projets comme si tout allait bien et parle seulement de « rigueur » de temps à autre, pour rassurer à droite et au centre sur sa gouvernance à venir. Sous-estime-t-il vraiment la situation ou bien fait-il semblant afin de ménager la chèvre et le chou durant la campagne électorale ? Mieux vaudrait qu’il limite rapidement ses promesses. Si cela se dégrade vraiment, il aura à faire face à un danger de ruine financière ou de crise majeure. Dans ce cas, ses plans sur la comète ne serviront à rien. On verra alors de quel bois il est fait, car il devra réagir vite. On saura également s’il est entouré de gens calmes capables de naviguer dans des eaux troubles. Le sang froid, l’esprit d’initiative, le courage intellectuel voire physique, l’acceptation du conflit, l’audace, le bon sens et la remise en question seront requis.

Petit prince (presque) naïf :

Tout le contraire de ce que j’entends chez certains à gauche depuis des lustres et qui préfèrent mettre en avant le compromis systématique plutôt que le conflit, le risque zéro, l’émotion au détriment de la raison, la routine ou le statut quo contre l’incertitude du changement, la discussion prolongée plutôt que la sanction quand elle s’avère nécessaire, les bons sentiments, etc.

Jean La Niaque :

Exactement. Tous ces gens politiquement corrects, les politiciens comme les sympathisants, vont devoir changer leurs confortables manières de penser pour s’adapter à la situation. Et ca ne va pas être triste !

Cette fois-là, Petit prince (presque) naïf se sentait guilleret. Si la tempête devait arriver, il en verrait des « curés » des droits de l’Homme et des idéologues de tout poil démunis et démentis par la réalité. On se console comme on peut…

Au royaume des aveugles…

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Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois à ce qu’on dit. En vérité, il n’y en a guère, des borgnes, parmi nos chers commentateurs et nos chers « politiques ». En revanche, les aveugles…

Ils n’ont rien vu venir. Rien vu du tout ! Comme d’habitude. Désemparés à la présidentielle de 2002, persuadés que le oui à la Constitution européenne en 2005 avait une réelle chance de l’emporter, et, aujourd’hui encore, étonnés par le score de Montebourg et par la victoire écrasante de Hollande. En fait, non pas tant par la victoire elle-même, mais par l’écart de voix entre les finalistes.

Les pronostics ratés et la myopie, ca devient, chez certains, une habitude. Pas grave, puisque le ridicule n’est pas mortel. Au fond, ne pas prévoir est notre lot à tous, car la prescience n’existe pas, sinon dans la fiction. Il ne s’agit donc pas de cela. Non, nous voulons juste dénoncer le manque de bon sens politique et de lucidité parmi les soi-disant experts et politiciens de métier. A défaut de prévoir, ils auraient pu anticiper. En l’occurrence, la nuance, ici, n’a rien d’un luxe ou d’un effet de rhétorique.

Serait-ce un problème d’intellect chez ces faiseurs d’opinions et ces grands gestionnaires ? Certes pas. Il faut plutôt y voir une volonté de ne pas voir et un enfermement social et idéologique marqué. Car la primaire socialiste a révélé combien la cécité et la mauvaise foi étaient grandes. C’est à droite, tout d’abord, que la surprise fut de taille. Ce qui paraissait un gadget amusant au départ est rapidement devenu un objet inquiétant, voire une arme fatale et un sujet de déchirement au sein de l’UMP. Si maintenant il faut convier le peuple pour qu’il décide de qui doit postuler à la présidence de la République où va-t-on ! A quoi servent alors les jeux politiciens et les luttes de factions entre les militants aguerris et dociles ! Les réactions d’un Jean François Copé s’avèrent, par exemple, éloquentes. Le pauvre homme n’a plus envie de rire ou de sourire.  Le succès ne monte pas qu’à la tête des gagnants… Au PS aussi, d’ailleurs, on ne fut pas en reste. Et ce malgré un enthousiasme de façade. Dur-dur d’avoir sur les bras un bébé dont certains ne veulent plus… Car pour la gauche d’appareil quel camouflet ! L’ouverture à tout le monde c’est la grande inconnue. Le petit grain de sable qui fait crisser la mécanique politique habituelle. Marrant que cela dérange tous ces gens qui n’ont à la bouche que le mot de « démocratie » ; un terme qu’ils savent postillonner dès que l’occasion médiatique se présente…

Hollande sera-t-il, s’il gagne en 2012, un Président à la hauteur des enjeux de l’époque ? Il ne faut préjuger de rien. Il a d’ores et déjà montré qu’il était un rusé candidat. Quelle ironie que le représentant de la « gauche molle », selon Martine Aubry, ait battu à plate couture la femme d’appareil, celle qui reprochait, il n’y a pas si longtemps, à Montebourg d’avoir mis sur la sellette le « mafieux » Guérini à Marseille. Faut bien fermer les yeux sur les turpitudes de certains des édiles du PS, dès lors qu’ils apportent des voix…

Un ex secrétaire qui triomphe de l’actuelle secrétaire. Cela aussi, ca vaut son pesant d’or. On n’est pas loin de la tragédie théâtrale. L’homme Hollande, champion de la gauche provinciale, celle des petites villes et des villes moyennes, s’est imposé sans peine face à la représentante de la gauche parisienne (exception faîte de son fief lillois), de la gauche bobo/écolo, de la gauche féministe, de la gauche de son ami Delanoë. Une gauche parisienne qui méprisait Georges Frêche, le bouillant trublion du PS – dont les manières d’être et de faire s’avéraient, il est vrai, discutables, mais grand bâtisseur devant l’Eternel.  En bref, quel délice pour nous que tout cela ! Et quel message subliminal ! Que nos amis d’une certaine droite et d’une certaine gauche se réjouissent, nous allons le leur décoder. Histoire qu’ils ne se retrouvent pas à côté de la plaque, une fois encore. Ce qui ressort des résultats de cette primaire c’est bien la désaffection pour tout ce qui incarne la logique d’appareil habituelle surmédiatisée. Un exercice démocratique novateur, dans un contexte social qui se complique, attire le monde (bien qu’il faille relativiser : près de 3 millions de votants au 2ème tour constitue un vrai succès, mais non un raz-de-marée). Il n’y a pas de hasard. Ce coup d’éclat marque une certaine adhésion citoyenne à la politique, mais pas aux structures politiques consensuelles où tout est verrouillé.  Il révèle aussi l’aspiration à un changement dans le pays, que le Président Sarkozy n’a pas su provoquer. « T’as eu ta chance, mon pote ! », comme dirait l’autre. Pour le reste, on verra bien.

Eté 36, c’est pour bientôt ?

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Conversation presque réelle entre Jean La Niaque, prophète prérévolutionnaire soupe au lait, et Petit prince (presque) naïf, d’ailleurs de moins en moins naïf plus le temps passe, dans un chalet si dénudé que même la neige n’ose pas se poser sur son toit quand vient l’hiver drapé de blanc…

Jean La Niaque :

Tu as suivi la primaire du PS ? La seule bonne idée que la gauche ait eu depuis fort longtemps !

Petit prince (presque) naïf :

Ironie du sort, elle la doit indirectement à Nicolas Sarkozy qui, sans le savoir, a joué un rôle historique : celui de provoquer au sein de la gauche humiliée et en état de décomposition intellectuelle avancé un sursaut salutaire.

 Jean La Niaque :

Oui, de la défaite on apprend. Et en politique, certains cadavres ressuscitent, en plus de mettre longtemps pour disparaître… Nicolas Sarkozy aura aussi eu le mérite de susciter des réactions d’hostilité démesurées, parfois à la limite du fanatisme. Je n’en avais pas vu de telles depuis 1981 avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. A cette époque, la haine et la peur étaient à droite.

Petit prince (presque) naïf :

Que veux-tu dire ?

Jean La Niaque :

Que Nicolas Sarkozy a permis, malgré lui, de faire tomber quelques masques ! Certes, il est agaçant… et très critiquable, autant dans sa manière de faire de la politique que de gérer le pays. Mais depuis 2007, on a vu à quel point la gauche et une partie de sa clientèle électorale pouvaient faire preuve d’intolérance. En vérité, ils sont nombreux parmi ceux qui se disent de gauche à n’être tolérants qu’envers leurs idées propres, leurs intérêts et… leurs chères différences. Au-delà des aspects de sa personnalité qui déplaisent, Nicolas Sarkozy les a surtout effrayés en arrivant au pouvoir. D’où cette haine viscérale. Alors que la droite ne supporte pas qu’on la trahisse – François Mitterrand l’a appris à ses dépens – la gauche morale, elle, ne pardonne guère à ceux qui lui font peur ou égratignent son si délicat et si hypocrite sens moral. 

Petit prince (presque) naïf :

Revenons à la primaire. Il y a, certes, du positif, mais il ne faut pas, pour autant, attendre une renaissance. Le PS n’est pas encore un phœnix.

Jean La Niaque :

Certes non. La primaire va cependant faire bouger les lignes et modifier partiellement les rapports de force au sein du parti. C’est ce qu’il faut. Elle a mis en avant les « outsiders » ou, pour le dire autrement, les « jeunes lions », selon une expression chère au chantre de la « dé-mondialisation »… D’ailleurs, grâce à son score honorable, ce dernier est devenu un faiseur de roi pour le second tour. Or, dans l’histoire, ceux qui font les rois un jour, par la suite quelquefois les défont…

Petit prince (presque) naïf :

Que veux-tu dire ? Qu’Arnaud Montebourg représente l’avenir de la gauche ? Un futur leader charismatique ?

Jean La Niaque :

Je n’en sais rien. Mais dans un vote novateur comme celui-ci il ne faut pas favoriser les apparatchiks, ceux qui appartiennent aux courants dominants. L’époque n’est plus au consensus ou au compromis. Il faut de la nouveauté, des idées iconoclastes, des positions tranchées et du courage.

Petit prince (presque) naïf :

Ok, sauf que les « outsiders » restent encore minoritaires au sein du PS ! Arnaud Montebourg devra se soumettre à l’un des deux futurs candidats à la présidentielle !

Jean La Niaque :

Peu importe ! Si la situation économique, sociale et politique se dégrade en France, les « outsiders » seront peut-être parmi ceux qui saisiront l’histoire au vol, comme on attrape une balle sur un terrain de base-ball. En 1789, des bourgeois provinciaux, le plus souvent inconnus, pour certains intimidés par l’aristocratie, mais résolus à se faire entendre, pour d’autres avec des idées folles, sont devenus en quelques mois, voire en quelques semaines, des chefs de « guerre » en politique redoutables, des tribuns détonants, des hommes d’Etat consciencieux… Certains ont changé radicalement leur façon de penser. En vérité, les événements font les hommes ; ils les transcendent, les amènent à se dépasser ou les dépouillent de toute gloire et les rejettent dans les douves de l’oubli ou dans celles de l’infamie ! Or, je vois mal les apparatchiks du PS, autrement dit les représentants de la « gauche morale », ou ceux de la « gauche caviar », si tu préfères, adeptes du statu quo depuis des lustres, devenir, sous la pression des circonstances, des hommes ou des femmes d’action capables de sentir l’époque et de prendre des risques importants. Mais peut-être me trompais-je…

 Petit prince (presque) naïf :

Tu vas un peu vite en besogne avec ta vision révolutionnaire ! Nous n’en sommes pas là !

Jean La Niaque :

Si la gauche arrive au pouvoir en 2012, ce qui me paraît fort probable, on pourrait très bien connaître un scénario proche, par certains côtés, de celui que nos ancêtres ont vécu en 36.

Petit prince (presque) naïf :

C’est-à-dire ?

Jean La Niaque :

Le candidat de gauche qui aura su rallier les voix d’une partie de la droite et du centre déterminée à lâcher Nicolas Sarkozy et qui se contenterait d’un candidat respectable ou, à leurs yeux, responsable, gagnera sans doute la primaire socialiste ouverte à tous. La nouveauté de cette primaire tient à ce qu’elle ouvre la voie à une participation extra militante. En quelque sorte, il s’agit d’une mini élection présidentielle et les sympathisants de gauche ne seront pas les seuls à faire valoir leurs voix compte tenu du contexte actuel et des enjeux à venir. Cette primaire aura même des conséquences sur la droite: division, radicalisation de ceux qui n’ont rien vu arriver, etc.

Petit prince (presque) naïf :

Et donc ?

Jean La Niaque :

Si le candidat de gauche bat en 2012 l’actuel Président de la République, il risque de se retrouver face à des corporatismes et des syndicats relativement frustrés depuis 2007 et habitués à quémander. Ceux-ci pourraient exiger des moyens financiers et des renoncements concernant la politique de rigueur. Quand il s’agit de se serrer la ceinture, on préfère généralement que ce soit les autres plutôt que soi-même… Ces dernières années, les hommes politiques ont surtout appris à reculer. En outre, leur marge de manœuvre s’avère restreinte.  Aussi, cela m’étonnerait que le futur Président de gauche joue les « pères Mendès France » comme lorsque ce dernier était ministre de l’Economie nationale du Gouvernement provisoire de la République française à la fin de la 2ème guerre mondiale. Lâcher du lest, sous la pression d’une certaine base, un peu comme le fit Léon Blum en 36, alors que la France est, du fait de son endettement et de la faiblesse de sa croissance, tenue par la finance internationale et par les marchés revient à ouvrir la boite de Pandore. De même, les discours radicaux inquièteront les puissants qui se sont vautrés dans les profits ces dernières années, ont joué et ont perdu en spéculant, mais ne veulent surtout pas en assumer les conséquences financières.

Petit prince (presque) naïf :

Tu oublies que la situation peut s’améliorer si l’Allemagne accepte de payer davantage, si l’on monétise la dette en contrôlant l’inflation, etc. Et puis le futur probable Président de gauche pourrait très bien résister aux pressions de son électorat et rassurer les marchés…

Jean La Niaque :

Quel optimisme !

Petit prince (presque) naïf :

Que se passera-t-il ensuite, selon ton scénario ?

Jean La Niaque :

Sans doute verra-t-on un divorce consommé entre certaines élites, celles qui ont largement prospéré grâce à la mondialisation, et certaines couches moyennes et populaires, celles protégées par les corporatismes, dont le seul point commun était jusqu’à présent de chercher à maintenir un Etat complaisant : avec le modèle libre-échangiste actuellement en vigueur, pour les premières, et avec les dépenses publiques et sociales excessives pour les secondes. Il arrive, effectivement, que des milieux opposés se rejoignent, en dépit de leurs différences ou d’une certaine hostilité, sur l’essentiel, à savoir sur ce qui matériellement leur profite. En bref, lorsque le divorce sera prononcé pour ce mariage contre nature, la lutte des classes se durcira, les intérêts des uns et des autres entreront violemment en conflit puisque l’Etat ne pourra plus jouer son rôle de tampon. Sans compter l’agitation sociale que provoquera un certain recul du niveau de vie. Va-y-avoir du sport !  La confusion et la rancoeur accumulée offriront, qui sait, l’occasion de changer certaines choses et de faire pression sur les puissants. 

Petit prince (presque) naïf :

Et après 36, ce sera 39, comme certains le prédisent ?

Jean La Niaque :

Je n’en sais rien. Dans son texte sur le 18 Brumaire, Marx écrit que l’histoire se reproduit toujours deux fois, mais que la deuxième fois c’est une farce ! Aussi, je t’encourage à exercer tes zygomatiques pour la période à venir.

Tandis que Jean La Niaque se réjouissait de la pagaille prochaine qu’il espérait voir venir à grands pas, car pour lui, en bon marxiste, le conflit est dans l’histoire salutaire,  Petit prince (presque) naïf se disait qu’il aurait aimé vivre à une époque plus tranquille. Parfois les jeunes envient les vieux.