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Douche écossaise et crise grecque

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Le texte suivant a été publié sur le site du Monde des lecteurs :

http://mediateur.blog.lemonde.fr/2011/11/04/crise-grecque-le-referendum-placerait-chacun-devant-ses-responsabilites/

Christobal le reproduit avec l’autorisation de l’auteur. Après la mise au pas du Premier ministre grec par le couple « Merkozy » et l’alternance de sentiments d’euphorie et de panique sur les fameux marchés financiers ces jours-ci, il s’avère, selon Christobal, on ne peut plus pertinent. Comme quoi, une « douche écossaise » à la Grecque, ca existe! Reste un point important que n’évoque pas ce texte: celui de la question à poser pour le référendum. Peut-être le « Doit-on rester dans la zone euro? » n’a-t-il pas assez de sens. En revanche, le « Qui doit payer? » paraît plus incisif. Ca aurait de la gueule aussi une question du genre: « Êtes-vous pour ou contre la nationalisation des biens du clergé orthodoxe si ce dernier continue de refuser de payer des impôts? »  

Crise grecque: le référendum aurait mis chacun face à ses responsabilités

04 novembre 2011

Une partie des analyses actuelles se contente de dresser une sorte de procès des différents acteurs de la crise. Comme si les relations politiques et économiques internationales dépendaient d’une espèce de code de morale général planant au-dessus des nations. Or, les « ya qu’à » et les « c’est scandaleux » ne nous aident pas à comprendre ce qui se passe.

Les économistes partent du principe qu’au cœur de tout il y a les réalités économiques et qu’elles finiront par dicter leur logique. Ils oublient le politique. Les journalistes politiques, eux, voient surtout des politiciens en campagne. Ils oublient le poids des réalités économiques. Mais il y a aussi le fonctionnement des institutions, très complexe, avec sa propre inertie mais aussi sa capacité créative. Enfin, n’oublions pas les symboles et leurs effets psychologiques (l’Euro, l’Union, le couple franco-allemand, etc.).

La crise grecque nous rappelle le dernier et peut-être le plus important de ces acteurs : les peuples. En Syrie, ou en Corée du Nord, ce sont des acteurs mineurs mais pas en Europe. Ces peuples européens ont des attentes contradictoires (et pas seulement car des groupes sociaux différents s’y côtoient) : ils veulent une protection à la soviétique mais une prospérité à l’américaine, ne pas payer d’impôts mais avoir un Etat efficace, peu d’armée mais une protection contre leurs ennemis, une union européenne mais la liberté de décider sans se soucier des autres… Et enfin des dirigeants qui dirigent mais en même temps une société civile qui décide.

Tout le problème est donc de comprendre les intérêts, les points de vue, les logiques et les marges de manœuvre de ces différents acteurs. Les juger au tribunal de notre morale n’aide pas à comprendre comment les choses vont évoluer.

Papandréou, le bon élève européen ?

Si l’on prend le point de vue du Premier ministre grec, les choses sont assez claires. Son pays est au bord de l’insurrection. Le moment est historique. Il a très bien compris que la Grèce est prisonnière de l’euro. Non seulement parce que cette monnaie empêche l’économie de fonctionner à sa mesure, mais également car les dirigeants de la zone euro se soucient avant tout de sauver la monnaie. Papandréou a beau expliquer que le pays est au bord de l’effondrement, pour le couple franco-allemand l’important c’est l’euro.

Dès lors, il n’avait plus rien à perdre en tentant un référendum. L’opposition grecque refusait l’union nationale et un tour de vis d’austérité de plus plongera le pays dans le chaos. Le référendum placerait chacun devant ses responsabilités. Le peuple ne pourrait plus continuer à exiger sans regarder. Les partis qui appelleraient à l’abstention montreraient leur refus d’assumer la situation. Dans le meilleur des cas, l’Europe pourrait même être contrainte de desserrer l’étreinte financière.

Cette analyse impose que l’on abandonne les remontrances morales au sujet de l’incurie grecque. Bien sûr, le pays fonctionne selon des normes qui le rapprochent du Tiers-Monde. Mais le problème actuel du dirigeant grec est de sauver son pays. En ce sens, Papandréou s’avère peut-être l’un des meilleurs politiciens qu’ait eu la Grèce depuis longtemps. Polyglotte, diplômé des meilleures universités mondiales, rompu aux négociations internationales, ouvert et novateur (il a favorisé la discrimination positive pour les musulmans et voulu imposer des primaires dans son parti), c’est un homme d’action et de compromis. Il n’a cessé de plaider la cause de son pays dans toutes les capitales et de jouer le bon élève européen. Maintenant, il tente le tout pour le tout. Le grand bond en avant dans l’inconnu du retour à la drachme ne pourrait, de toute façon, être imposé par un homme seul ; il ne pourrait l’être que par les circonstances.

La crise, la Grèce la vit déjà…

Alors bien sûr, la colère des partenaires européens est légitime si l’on part de leur point de vue. Tout ce travail pour rien. Mais, enfin, imagine-t-on que Papandréou allait, au moment du champagne de fin de négociation, lancer sur un ton badin : « Au fait, je songe à consulter le peuple ! Comme ça pour le principe » ? On l’accuse de placer l’Europe devant une crise sans précédent. Mais on oublie que la Grèce, elle, est déjà dans cette crise et que ceux qui ont peur refusent, pour l’instant, de prendre la moindre mesure d’économie.

Alors pour saisir les dynamiques en jeu il faut bien voir que :

1) En temps de crise grave, chacun essaie de trouver la meilleure solution pour soi en laissant les efforts aux autres. Si vous, premier ministre, ne le faites pas, c’est que vous n’êtes pas à votre poste.

2) Le but des négociateurs est de faire croire aux autres « qu’il n’y a pas d’autre solution ».

3) La morale, l’image de soi, les symboles comptent moins que le résultat : éviter l’effondrement de l’entité que l’on représente.

4) Les mesures douloureuses qui modifient les structures et les avantages acquis ne se prennent que dos au mur.

Christophe Brochier, sociologue (université Paris-VIII)

Été 36, c’est pour bientôt ? (Suite)

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Avec la participation de l’auteur du blog http://jeanpeneff.eklablog.net/

 

Conversation encore une fois presque réelle entre Jean La Niaque, prophète prérévolutionnaire soupe au lait, et Petit prince (presque) naïf, d’ailleurs de moins en moins naïf plus le temps passe, dans le même chalet dénudé que la neige n’ose toujours pas toucher…

Petit prince (presque) naïf :

L’Europe serait-elle sur le point de se sortir d’un mauvais pas ? Une solution voit le jour qui pourrait nous éviter une crise majeure.

Jean La Niaque :

A ce plan pour sauver l’euro je n’y crois guère ! Reculer pour mieux sauter… ou pour mieux tomber. Assainir les comptes publics grecs et donner de l’air à la Grèce en tirant un trait sur une partie de sa dette sont des options qui vont dans le bon sens, mais le pays n’en sera pas pour autant plus compétitif, ni mieux organisé. Avec un euro fort et une économie mal ficelée, cela prendra des années pour redresser la situation. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge comme dirait… je ne sais plus qui… D’ailleurs, le premier ministre grec vient de proposer un référendum susceptible d’annihiler ce plan douloureusement négocié. Il y a un calcul politique risqué derrière… ou bien une logique terriblement réaliste (l’idée pour lui que, de toute façon, les Grecs souffriront et que la sortie de l’euro s’avère, de fait, acceptable voire à terme inévitable). L’histoire se fait aussi par des coups de tête, des coups de folie, des bras d’honneur ou par des rebondissements inattendus… Ce référendum sera peut-être le choix du peuple contre le choix des élites européennes avec tout ce que cela comporte d’imprévisible.

Petit prince (presque) naïf :

Toujours optimiste !

Jean La Niaque :

Oui. En outre, indépendamment des obligations grecques, tous les actifs toxiques n’ont pas encore été digérés par les banques et la croissance européenne s’annonce faible pour les années à venir. Enfin, l’appel aux pays émergents, en fait surtout la Chine, va jusqu’à faire bondir, à juste titre, les plus naïfs de nos politiciens. Je croyais que cette Europe, qu’on ne cesse de nous vendre et de nous imposer même quand certains peuples la rejettent par le vote, devait nous rendre forts et capables de nous affirmer dans un monde multipolaire. Or, si c’est pour accroître notre dépendance vis-à-vis des autres…

Petit prince (presque) naïf :

En effet. Tout plutôt que de sortir du carcan. Tel semble être, pour l’instant, le mot d’ordre de nos dirigeants. Il est vrai que la fin de l’euro c’est le grand bond… vers l’inconnu et vers une certaine forme de chaos. Paraît que l’idée que l’on se fait d’une chose, quand on sait qu’elle comporte une part d’échec ou de la souffrance, est souvent pire que la chose elle-même.

Jean La Niaque :

L’histoire ne s’écrit pas dans la douceur. L’accouchement sans douleur est une invention moderne. J’ai bien peur, mon ami, que celui-ci ne s’applique qu’à un domaine strictement médical…

Petit prince (presque) naïf :

Si jamais le remède proposé, ou plutôt imposé par les Allemands, ne fonctionne pas, que se passera-t-il ?

Jean La Niaque :

Désolé, bien que souvent pessimiste, je ne suis pas, malgré tout, un oracle de malheur dont la bouche transpire de bave quand il annonce, avec des mots qui tonnent, un cataclysme.

Petit prince (presque) naïf :

J’ai pas dit ca…

Jean La Niaque :

L’important c’est d’avoir des idées, alors que tant de gens sérieux en manquent… Il ne faut pas que la pensée ressemble à un désert aride, à une steppe glacée aussi vide que la Sibérie ; elle doit plutôt être comme le printemps qui fleurit… J’anticipe des événements selon moi plausibles et j’imagine des scénarios. Je peux juste te dire en quoi la situation actuelle ressemble et diffère de celle de 36.

Petit prince (presque) naïf :

Et donc ?

Jean La Niaque :

Au printemps 2012, le dégoût pour la droite culminera. Chirac élus deux fois, puis Sarkozy, cela fait long, même s’il y a eu une cohabitation et un grignotage électoral au niveau local et parlementaire. En 36 aussi le retour au pouvoir de la gauche a succédé à une longue absence. Elle n’avait pas gouverné depuis le cartel des gauches en 24. On peut donc imaginer que les attentes seront démesurées dans un contexte général d’inquiétude. De plus, Sarkozy a été un mauvais président : infantile, adolescent gâté, hargneux, trop impulsif et faible finalement. Il est probable qu’il ne passera pas le premier tour. Dans son camp on veut se débarrasser de lui, il a déçu ceux qui ne votent pas à droite habituellement mais l’ont rallié en 2007 par écœurement vis-à-vis de la bêtise de la gauche, et puis l’électorat de la « gauche morale » et une partie substantielle de la jeunesse le détestent toujours autant. On ne va pas bien loin avec trop de déçus et d’ennemis contre soi. Tu t’apercevras aussi que la mauvaise foi et la haine grandiront à droite, à l’inverse de 2007 avec la gauche.

Petit prince (presque) naïf :

Tu veux dire qu’il y a là un véritable boulevard pour Hollande ? Sans doute verra-t-on des manifestations de joie, des fêtes, comme en 36… ou en 81.

Jean La Niaque :

Oui. Mais au même moment la situation en Europe pourrait se dégrader. Si c’est le cas ou si l’Allemagne – qui reste la locomotive de l’Europe ou plutôt le « radeau de la méduse » auquel les pays voisins se raccrochent – exige des actes de sérieux concernant la gestion des comptes publics, la pression extérieure pour une politique d’austérité drastique sera insoutenable. En 36 également les aspirations du peuple, que le gouvernement fraîchement élu devait satisfaire, cadraient mal avec les contraintes de la situation internationale.

Petit prince (presque) naïf :

Ouf ! Doucement. Le contexte était différent. Des dictatures d’extrême droite encerclaient la France, et puis celle-ci avait connu une quasi-guerre civile en février 34 avec les ligues nationalistes. Rien à voir. Les Français peuvent aussi se résigner et, globalement, accepter aujourd’hui la « rigueur ».

Jean La Niaque :

Ressembler ne signifie pas être identique, mon cher… La guerre économique larvée qui s’amorce en 2012 a, en effet, quelque chose de nouveau, voire d’étrange. En revanche, une sorte d’internationale se met en place avec les indignés (bien que je déteste ce terme). Ce mouvement, que l’on connaît mal, va durer, rassembler des publics épars, prendre des formes disparates d’un pays à l’autre, que ce soit à travers les protestations ludiques, les grèves, les détournements de citernes d’essence (quand le prix montera), par exemple, ou les combats de rue… Tu rêves, mon ami, quant à l’acceptation de la « rigueur ». Qui voudrait voir rogner ses acquis dans un pays habitué à vivre sous perfusion, d’autant que les élites ne donnent pas l’exemple ! L’été 2012 va sans doute être passionnant.

Petit prince (presque) naïf :

Et au sein de la gauche les dirigeants sont-ils comparables à ceux de 36 ?

Jean La Niaque :

Il y a, aujourd’hui comme hier, des jeunes à gauche. Je veux dire des personnalités âgées de 40 à 50 ans. Mais en 36, les Auriol, Moch, Salengro, Pivert, Thorez (trop dépendant de Moscou celui-ci), par exemple, n’ont pas eu le temps d’apprendre à gérer la crise sociale et le contexte international désastreux auxquels ils étaient confrontés. Tout comme le « vieux » Blum, âgé de 65 ans, désarçonné par les événements.

Petit prince (presque) naïf :

Pas facile pour ce pauvre Blum !

Jean La Niaque :

Non, tu peux le dire. Il ne disposait pas d’économistes autour de lui et il n’avait pas anticipé l’effondrement du franc. Blum était un littéraire, donc pas formé à gérer l’économie. Il mit 2 ans à se former et quand il revint en 38, avec un plan économique et fiscal anti-riches crédible, il manqua de temps pour l’appliquer. En 39 la guerre éclatait.

Petit prince (presque) naïf :

Hollande n’est pas Blum !

Jean La Niaque :

Pour sûr ! Mais quelque chose les rapproche. Apparemment, « Guimauve le Conquérant », comme ses adversaires l’appellent, n’a pas pronostiqué un affaiblissement de la France à « l’italienne » et pourtant cela nous guette si l’on y prend garde. Une puissance qui sombre. Cela ne sera pas le tiers monde, évidemment, mais nous vivrons un déclin économique et une dégradation des conditions de vie réels. Or, Hollande semble faire des projets comme si tout allait bien et parle seulement de « rigueur » de temps à autre, pour rassurer à droite et au centre sur sa gouvernance à venir. Sous-estime-t-il vraiment la situation ou bien fait-il semblant afin de ménager la chèvre et le chou durant la campagne électorale ? Mieux vaudrait qu’il limite rapidement ses promesses. Si cela se dégrade vraiment, il aura à faire face à un danger de ruine financière ou de crise majeure. Dans ce cas, ses plans sur la comète ne serviront à rien. On verra alors de quel bois il est fait, car il devra réagir vite. On saura également s’il est entouré de gens calmes capables de naviguer dans des eaux troubles. Le sang froid, l’esprit d’initiative, le courage intellectuel voire physique, l’acceptation du conflit, l’audace, le bon sens et la remise en question seront requis.

Petit prince (presque) naïf :

Tout le contraire de ce que j’entends chez certains à gauche depuis des lustres et qui préfèrent mettre en avant le compromis systématique plutôt que le conflit, le risque zéro, l’émotion au détriment de la raison, la routine ou le statut quo contre l’incertitude du changement, la discussion prolongée plutôt que la sanction quand elle s’avère nécessaire, les bons sentiments, etc.

Jean La Niaque :

Exactement. Tous ces gens politiquement corrects, les politiciens comme les sympathisants, vont devoir changer leurs confortables manières de penser pour s’adapter à la situation. Et ca ne va pas être triste !

Cette fois-là, Petit prince (presque) naïf se sentait guilleret. Si la tempête devait arriver, il en verrait des « curés » des droits de l’Homme et des idéologues de tout poil démunis et démentis par la réalité. On se console comme on peut…