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En 2012-2013, la haine sera peut-être à droite

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En l’an de grâce, comme dirait l’autre, 1981 j’étais juste un mioche. Ma mère, il m’en souvient, dans l’escalier qui menait à chez nous elle discutait avec une voisine. « On va voter Mitterrand ! Y en à marre de la droite ! » Je revois encore la scène. Même un garçonnet rêveur pouvait comprendre. Je l’aimais bien, moi, François. Le reste de ma famille aussi d’ailleurs. A cette époque ma mère faisait des ménages à temps partiel (des gâches), à moins qu’elle n’eût commencé à bosser en cuisine, je ne suis plus tout à fait sûr, et mon père contribuait à produire des richesses par son travail ouvrier dans l’industrie de la récupération des métaux et des ferrailles. Aussi, quoi de plus normal que d’adhérer au discours de François et de croire à ses promesses. De cette élection, je n’ai pas gardé d’autre souvenir précis. Ce n’est que bien plus tard que j’appris à quel point elle avait été agitée. En effet, beaucoup de riches planquaient leur argent en Suisse ou ailleurs à l’étranger avec l’annonce de la victoire programmée du candidat socialiste (les économistes appellent cela pudiquement la fuite des capitaux). Certains annonçaient même l’arrivée des chars soviétiques sur la place de la concorde. Le président américain Ronald Reagan et la Dame de fer britannique, Margareth Thatcher, suivaient de près les élections françaises, avec des intentions malveillantes. En bref, de 1981 à 1983, la haine et la peur étaient à droite, et pas seulement en France.

Cette haine et cette peur je les ai vues en 2007, mais du côté de la gauche et de l’extrême gauche françaises cette fois-ci. De cette gauche et de cette extrême gauche qui ont émergé à partir de 1983 et qui règnent idéologiquement sur bien des secteurs de la vie sociale depuis cette date, à défaut de savoir briller par l’intelligence de leurs idées et de leurs discours sur le monde. Les réactions de certaines couches sociales et d’une partie du peuple dit de gauche vis-à-vis de Sarkozy furent, en 2007, disproportionnées. Des réactions souvent stupides, voire fanatiques. Entre les injures sur le net, les invitations ridicules à quitter le pays, le matraquage médiatique de la presse du service public et de certains journaux ou magazines, sans compter les « indignations » récurrentes d’artistes exaltés en manque de bonne conscience et les actes de pseudo résistance de la part de catégories professionnelles surtout préoccupées par le fait de ne devoir rendre de comptes à personne, nous avons eu là notre lot de mauvaise foi, de détestation et de bassesses (lesquelles ont, je le pense, nui à la critique de ce président si « bling-bling » et occulté les vrais problèmes).

L’histoire aujourd’hui s’accélère. Elle ne progresse pas seulement par bonds, comme une puce, elle est aussi adepte d’un seul mouvement, celui du balancier. Dans les deux prochaines années il y a fort à parier que la haine et la peur seront à droite. Déjà, les chiens de guerre ont été lâchés sur Hollande, que ses supporteurs enthousiastes voient comme un nouveau François. Le Président Sarkozy en personne a anticipé devant des journalistes sa possible défaite, alors qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat. Du jamais vu. A l’UMP, on bouillonne. Une partie de la droite voudrait bien se débarrasser de l’hôte de l’Elysée, mais elle n’a aucun champion à lui substituer. Une recomposition politique est à prévoir. La droite éclatera sans doute avec la défaite (si, bien entendu, elle perd, ce qui semble très plausible). Quand le pouvoir lui échappera et que la situation économique et sociale se dégradera, alors paraîtra de nouveau le visage de la haine, d’autant qu’il faudra prendre des mesures draconiennes pour redresser le pays. Des choix devront être faits pour savoir qui portera le fardeau des efforts à accomplir ou plutôt pour savoir comment le répartir au mieux. Or, il n’y a rien de plus dangereux qu’un bourgeois qui se sent menacé dans son confort de vie. Comme en 1936 et en 1981, le représentant de la gauche subira une forte pression destinée à le faire trébucher.

D’ailleurs, les bourgeois ne seront pas les seuls à agir afin de préserver leurs intérêts. A chaque fois que la haine et la peur se manifestent dans un camp, elles sont comme une révélation sur la nature des intérêts et des convictions profondes de ceux dont elles s’emparent. Les déclarations de principes et les arguments employés n’ont, en effet, aucune valeur. Il faut seulement les comprendre comme des justifications, des diversions et des prétextes dans la bouche de ceux qui se sentent menacés dans ce qui leur tient à cœur. Seuls comptent les réactions primaires et les réflexes de classe pour savoir ce qu’ils défendent vraiment ou ce qu’ils s’efforcent de cacher. Dans son fabuleux roman, L’éducation sentimentale, Flaubert décrit comment le père Roque, bon bourgeois provincial, assassine dans une cellule surpeuplée un insurgé agité qui lui réclame du pain. Il le tue d’un coup de fusil à travers les barreaux et répand sa cervelle sur un baquet qui sert aux prisonniers pour boire. Il faut dire que les émeutiers parisiens ont eu la mauvaise idée de dégrader son pied-à-terre rue Saint-Martin. « Les dommages causés par l’émeute à la devanture de son immeuble n’avaient pas contribué médiocrement à le rendre furieux (…) Son action de tout à l’heure [le coup de fusil] l’apaisait, comme une indemnité. » Génial Flaubert qui avait tout compris de la force des intérêts matériels.

Hollande va être confronté à un défi de taille. Des mesures de bon sens (de droite comme de gauche, et au-delà des clivages), du pragmatisme et de nouvelles règles du jeu seront nécessaires. Or, le candidat socialiste devra, s’il devient Chef de l’Etat, faire face à une droite dont une partie cherchera à prendre sa revanche, soutenue par des couches sociales qui ne veulent pas payer, bien que privilégiées, mais aussi à son électorat. Chez ce dernier, il y a des conservateurs. Car une grande partie des anti-Sarkozystes refusent également de mettre la main à la poche et rejettent toute forme d’effort. Une certaine haine à l’égard de Sarkozy trouve, d’ailleurs, son explication dans la menace qu’il a représentée pour leurs petites vies. Le « social », la Fonction publique et les subsides de l’Etat « mastodonte », ca fait vivre beaucoup de monde…

Le plus grand danger viendra cependant des plus privilégiés, profiteurs de la mondialisation et très grassement payés. Ceux-là disposent de puissants leviers et d’alliés de taille pour faire plier le probable futur Président de la République. La haine ressentie par les nantis menacés on va peut-être la voir surgir au grand jour, je vous l’annonce ! A moins qu’Hollande ne se laisse facilement circonvenir ou que son éthos de bourgeois ne prenne le pas sur la mission de nouvel espoir socialiste qu’il s’est donné et que certains lui prêtent. Dans ce cas, il rentrera dans le rang. C’est pas Zarathoustra qui parle, c’est juste Christobal.