Archives de Tag: xénophobie

Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils fRont !

Par défaut

Le couperet est tombé. Brutalement. Au soir du premier tour de la présidentielle. Il a fait clac et a décapité sèchement les espoirs des lendemains qui chantent du front de gauche. Heureusement, ce ne fut pas sanglant comme une révolution. Juste un choc politique pour ceux que l’utopie portait aux nues. Mais quelle tristesse, et quelle déception pour ces derniers. L’avait pourtant un vrai talent d’acteur et de tribun rassembleur ce Mélenchon. Des airs et des mimiques d’instituteur également quand il posait, que dis-je, quand il assénait ses arguments aux foules des militants et des sympathisants avec son doigt levé et sa rotation sur lui-même pour épouser tout le public. Pourtant le peuple qu’il escomptait n’a pas suivi. A mon avis, pas toujours humble, l’extrême gauche traîne comme un boulet de fer certaines de ses revendications corporatistes et certaines de ses thématiques très « bobos ». La « France d’en bas », les « invisibles », comme disent les médias, les experts et les politiques, qui eux sont très visibles et situés bien en haut, n’a donc pas voté massivement pour son mouvement politique. Les ouvriers, d’ailleurs si divisés, ont besoin qu’on leur parle de leur vie et de leurs problèmes concrets, plutôt que de « l’humain d’abord », des ennemis que sont les financiers et des dépenses sociales à venir au son du « toujours plus » et du « jamais moins » (de moyens). Certes, il y avait dans ce programme quelques bonnes idées et des accents ouvriéristes, mais de l’irresponsabilité en grande quantité aussi. Une bataille est perdue. En politique, on ne rassemble pas comme on veut. Et puis, est-on vraiment sûr que les intérêts des « bobos » et des catégories protégées, même si modestes, s’accordent naturellement avec l’ensemble des classes populaires. Pour le moment, il ne me semble pas. Mais qui sait ce qu’il adviendra dans quelques temps…

En revanche, pour l’autre front, point d’affront il y a eu. Au contraire, on plastronne et on savoure la victoire relative de la candidate sous estimée par les médias, comme d’habitude. Elle fait si peur Marine, avec ou sans le bleu, en digne fille du père, que l’intelligentsia médiatique préfère minimiser. Or, ca ne marche pas à tous les coups et elle revient en force, comme une ritournelle, suivant les conjonctures. Cette fois-ci, elle a marqué les esprits avec un score élevé. Fallait bien ça pour que la droite, comme la gauche, nous fasse une leçon de racisme de classe. A droite, au fond, c’est habituel la condescendance et le mépris ouvrier parfois masqué. Enfin, pas toute la droite. Ne généralisons pas. Mais bon, on s’y attend. Sur ce terrain là, malheureusement, la gauche n’a rien à lui envier. Terra Nova, le fameux think tank du PS, depuis longtemps a su intellectualiser, que dis-je théoriser, le discours soi-disant progressiste du mépris ouvrier. Certes, le peuple ca peut-être affreux, sale, bête et méchant. Est-ce à dire qu’il faille en faire une généralité, sous des formules bien sûr compassionnelles, et minimiser par là-même les turpitudes au sein des classes moyennes qui votent à gauche, des fonctionnaires, des jeunes, des femmes et des minorités dont le PS se fait le champion ? Tous ces chantres du progrès social devraient y réfléchir et se remettre en cause.

Et puis il y a cette simplification qui me dérange, moi le fils d’ouvrier. En effet, les ouvriers, les ruraux, les sans diplômes, soit autant de caractéristiques constitutives pour certains bien-pensants du prototype du « beauf », voteraient désormais en majorité pour Marine, en blanc, en bleu, ou bien en rouge, mais voteraient quand même, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils souffrent socialement, parce qu’ils n’ont rien compris et n’ont pas les outils mentaux pour comprendre, voire par xénophobie. Un ouvrier, un sans diplôme, qui plus est de province ou bien périurbain, ca reste évidemment un con, pensez-donc ! Le genre d’individu que l’on plaint, à défaut de le mépriser ouvertement. Sarkozy comme Hollande savent aujourd’hui plus encore que par le passé qu’il faut les secourir et les tirer d’un mauvais vote. Ils le proclament tout haut. Le premier singe parfois Marine, surtout depuis le premier tour – marrant quand on sait qu’il aime toujours avoir le premier rôle – le second propose une alternative aux brebis égarées (rassemblement et changement pour maintenant). Les deux se trompent ou font semblant de se tromper, cependant, car les ouvriers ne votent pas forcément plus FN que les autres… Encore un malentendu entre le sommet et la base, une imposture médiatico-intellectuelle ! Si l’on en prend en compte les non inscriptions sur les listes électorales et l’abstention par catégorie sociale, le vote ouvrier et, par extension, populaire pour le FN n’est pas plus élevé que celui d’autres catégories plus diplômées et/ou mieux loties[1]. D’ailleurs, les artisans, commerçants, petits chefs d’entreprise, à leurs yeux excédés de payer par leur labeur « pour tous les autres » ou bien hostiles à la mondialisation et à l’Europe de Maastricht, ainsi qu’une certaine bourgeoisie très conservatrice, affectionnent tout particulièrement le désormais parti de Marine. Mais jamais les médias ne les pointent du doigt comme étant les instruments du succès électoral du FN, contrairement aux sous grades et à la « France d’en bas ». La condamnation morale a toujours été une affaire de classe…

Au fond, le vote FN s’avère hétéroclite. En voilà, finalement, un parti instrumentalisé par les uns et les autres dans leur vote pour s’opposer et aux uns et aux autres ! Cela étant, la période à venir annonce peut-être une radicalisation des extrêmes, avec des ouvriers susceptibles de changer brusquement de bord, à l’instar d’autres catégories. Car qui dit crise aigüe ou grand chambardement, ce qui ne semble pas improbable dans un futur proche, dit aussi confusion et instabilité du jugement.

Ironie de l’histoire, la gauche et l’extrême gauche sentent bien que le vote ouvrier qui leur échappe ne se reporte pas massivement sur le front des trois couleurs. La gauche parisienne ne le dit pourtant pas assez et tombe souvent dans les poncifs et les préjugés anti-ouvriers habituels. Quand à l’extrême gauche, elle se demande comment faire pour attirer ce peuple qui depuis longtemps la délaisse. Le problème, bien sûr, viendrait des ouvriers et non des partis qui sont censés les guider sur la voie de la conquête du pouvoir et de l’émancipation par le vote. Dieu que l’auto-aveuglement et la certitude de défendre de justes intérêts ont la vie dure… Pourtant, il n’est guère difficile de comprendre, dès lors que l’on connaît un peu les milieux populaires, qu’une partie d’entre eux – car les disparités s’avèrent aussi fortes en leur sein – ont du monde une vision plutôt conservatrice. Immigrés et non immigrés, ils défendent le respect des règles et de l’autorité, le travail, la réussite par l’effort, de même qu’une certaine stabilité au sein de leur environnement (voisinage, etc.). Comment imaginer alors qu’un discours libertaire et emprunt de thématiques généralistes (l’environnement, l’ouverture vers l’autre, etc.), tout comme la défense par les syndicats d’intérêts et de prérogatives qui, bien souvent, ne les concernent pas directement, puissent les atteindre ? Pendant ce temps-là, Marine n’attend que la défaite de Sarkozy pour se renforcer davantage et créer un grand parti « populaire » conservateur. Les ouvriers, eux, pour une partie, resteront orphelins, allant vers l’un ou l’autre, ou bien s’abstenant de voter. Qu’importe ! Les années qui arrivent sonneront l’heure des remises en question radicales et des moments de vérité économique. Et de cela, au moins, il faut se réjouir.


[1] Voir à ce sujet : Collovald Annie, Le populisme du FN : un dangereux contresens, Editions du Croquant, 2004.