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Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils fRont !

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Le couperet est tombé. Brutalement. Au soir du premier tour de la présidentielle. Il a fait clac et a décapité sèchement les espoirs des lendemains qui chantent du front de gauche. Heureusement, ce ne fut pas sanglant comme une révolution. Juste un choc politique pour ceux que l’utopie portait aux nues. Mais quelle tristesse, et quelle déception pour ces derniers. L’avait pourtant un vrai talent d’acteur et de tribun rassembleur ce Mélenchon. Des airs et des mimiques d’instituteur également quand il posait, que dis-je, quand il assénait ses arguments aux foules des militants et des sympathisants avec son doigt levé et sa rotation sur lui-même pour épouser tout le public. Pourtant le peuple qu’il escomptait n’a pas suivi. A mon avis, pas toujours humble, l’extrême gauche traîne comme un boulet de fer certaines de ses revendications corporatistes et certaines de ses thématiques très « bobos ». La « France d’en bas », les « invisibles », comme disent les médias, les experts et les politiques, qui eux sont très visibles et situés bien en haut, n’a donc pas voté massivement pour son mouvement politique. Les ouvriers, d’ailleurs si divisés, ont besoin qu’on leur parle de leur vie et de leurs problèmes concrets, plutôt que de « l’humain d’abord », des ennemis que sont les financiers et des dépenses sociales à venir au son du « toujours plus » et du « jamais moins » (de moyens). Certes, il y avait dans ce programme quelques bonnes idées et des accents ouvriéristes, mais de l’irresponsabilité en grande quantité aussi. Une bataille est perdue. En politique, on ne rassemble pas comme on veut. Et puis, est-on vraiment sûr que les intérêts des « bobos » et des catégories protégées, même si modestes, s’accordent naturellement avec l’ensemble des classes populaires. Pour le moment, il ne me semble pas. Mais qui sait ce qu’il adviendra dans quelques temps…

En revanche, pour l’autre front, point d’affront il y a eu. Au contraire, on plastronne et on savoure la victoire relative de la candidate sous estimée par les médias, comme d’habitude. Elle fait si peur Marine, avec ou sans le bleu, en digne fille du père, que l’intelligentsia médiatique préfère minimiser. Or, ca ne marche pas à tous les coups et elle revient en force, comme une ritournelle, suivant les conjonctures. Cette fois-ci, elle a marqué les esprits avec un score élevé. Fallait bien ça pour que la droite, comme la gauche, nous fasse une leçon de racisme de classe. A droite, au fond, c’est habituel la condescendance et le mépris ouvrier parfois masqué. Enfin, pas toute la droite. Ne généralisons pas. Mais bon, on s’y attend. Sur ce terrain là, malheureusement, la gauche n’a rien à lui envier. Terra Nova, le fameux think tank du PS, depuis longtemps a su intellectualiser, que dis-je théoriser, le discours soi-disant progressiste du mépris ouvrier. Certes, le peuple ca peut-être affreux, sale, bête et méchant. Est-ce à dire qu’il faille en faire une généralité, sous des formules bien sûr compassionnelles, et minimiser par là-même les turpitudes au sein des classes moyennes qui votent à gauche, des fonctionnaires, des jeunes, des femmes et des minorités dont le PS se fait le champion ? Tous ces chantres du progrès social devraient y réfléchir et se remettre en cause.

Et puis il y a cette simplification qui me dérange, moi le fils d’ouvrier. En effet, les ouvriers, les ruraux, les sans diplômes, soit autant de caractéristiques constitutives pour certains bien-pensants du prototype du « beauf », voteraient désormais en majorité pour Marine, en blanc, en bleu, ou bien en rouge, mais voteraient quand même, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils souffrent socialement, parce qu’ils n’ont rien compris et n’ont pas les outils mentaux pour comprendre, voire par xénophobie. Un ouvrier, un sans diplôme, qui plus est de province ou bien périurbain, ca reste évidemment un con, pensez-donc ! Le genre d’individu que l’on plaint, à défaut de le mépriser ouvertement. Sarkozy comme Hollande savent aujourd’hui plus encore que par le passé qu’il faut les secourir et les tirer d’un mauvais vote. Ils le proclament tout haut. Le premier singe parfois Marine, surtout depuis le premier tour – marrant quand on sait qu’il aime toujours avoir le premier rôle – le second propose une alternative aux brebis égarées (rassemblement et changement pour maintenant). Les deux se trompent ou font semblant de se tromper, cependant, car les ouvriers ne votent pas forcément plus FN que les autres… Encore un malentendu entre le sommet et la base, une imposture médiatico-intellectuelle ! Si l’on en prend en compte les non inscriptions sur les listes électorales et l’abstention par catégorie sociale, le vote ouvrier et, par extension, populaire pour le FN n’est pas plus élevé que celui d’autres catégories plus diplômées et/ou mieux loties[1]. D’ailleurs, les artisans, commerçants, petits chefs d’entreprise, à leurs yeux excédés de payer par leur labeur « pour tous les autres » ou bien hostiles à la mondialisation et à l’Europe de Maastricht, ainsi qu’une certaine bourgeoisie très conservatrice, affectionnent tout particulièrement le désormais parti de Marine. Mais jamais les médias ne les pointent du doigt comme étant les instruments du succès électoral du FN, contrairement aux sous grades et à la « France d’en bas ». La condamnation morale a toujours été une affaire de classe…

Au fond, le vote FN s’avère hétéroclite. En voilà, finalement, un parti instrumentalisé par les uns et les autres dans leur vote pour s’opposer et aux uns et aux autres ! Cela étant, la période à venir annonce peut-être une radicalisation des extrêmes, avec des ouvriers susceptibles de changer brusquement de bord, à l’instar d’autres catégories. Car qui dit crise aigüe ou grand chambardement, ce qui ne semble pas improbable dans un futur proche, dit aussi confusion et instabilité du jugement.

Ironie de l’histoire, la gauche et l’extrême gauche sentent bien que le vote ouvrier qui leur échappe ne se reporte pas massivement sur le front des trois couleurs. La gauche parisienne ne le dit pourtant pas assez et tombe souvent dans les poncifs et les préjugés anti-ouvriers habituels. Quand à l’extrême gauche, elle se demande comment faire pour attirer ce peuple qui depuis longtemps la délaisse. Le problème, bien sûr, viendrait des ouvriers et non des partis qui sont censés les guider sur la voie de la conquête du pouvoir et de l’émancipation par le vote. Dieu que l’auto-aveuglement et la certitude de défendre de justes intérêts ont la vie dure… Pourtant, il n’est guère difficile de comprendre, dès lors que l’on connaît un peu les milieux populaires, qu’une partie d’entre eux – car les disparités s’avèrent aussi fortes en leur sein – ont du monde une vision plutôt conservatrice. Immigrés et non immigrés, ils défendent le respect des règles et de l’autorité, le travail, la réussite par l’effort, de même qu’une certaine stabilité au sein de leur environnement (voisinage, etc.). Comment imaginer alors qu’un discours libertaire et emprunt de thématiques généralistes (l’environnement, l’ouverture vers l’autre, etc.), tout comme la défense par les syndicats d’intérêts et de prérogatives qui, bien souvent, ne les concernent pas directement, puissent les atteindre ? Pendant ce temps-là, Marine n’attend que la défaite de Sarkozy pour se renforcer davantage et créer un grand parti « populaire » conservateur. Les ouvriers, eux, pour une partie, resteront orphelins, allant vers l’un ou l’autre, ou bien s’abstenant de voter. Qu’importe ! Les années qui arrivent sonneront l’heure des remises en question radicales et des moments de vérité économique. Et de cela, au moins, il faut se réjouir.


[1] Voir à ce sujet : Collovald Annie, Le populisme du FN : un dangereux contresens, Editions du Croquant, 2004.

Le changement, c’est maintenant ! Mais lequel ?

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Conversation fictive entre Jeanne la jeunette, socialiste et optimiste dans l’âme, qui termine des études supérieures en urbanisme et l’Ermite Bernard dans sa caverne de calcaire à l’approche du printemps.

Jeanne :

J’espère que François Hollande gagnera pour que la France change maintenant. S’en sera alors fini avec les années Sarko !

L’Ermite :

Des changements il y en aura surement, mais peut-être pas ceux que tu attends.

Jeanne :

Que voulez-vous dire ?

L’Ermite :

Ton candidat, s’il devient chef de l’Etat, ne fera pas non plus vraiment ce qu’il a annoncé. Sa marge de manoeuvre est faible compte tenu de la situation financière de la France et parce que certains de ses voisins européens, dont l’Allemagne, veillent au grain. Peut-être ouvrira-t-il la boite de pandore des changements sociaux et économiques, bien malgré lui cependant, comme agent ou, qui sait, comme dissident vis-à-vis des puissances financières et politiques européennes, avec des résultats contraires à ses anticipations. Il jouera, dans ce cas, son rôle historique de catalyseur du changement.

Jeanne :

Mais enfin que voulez-vous dire ?

L’Ermite :

A toi de décrypter.

Jeanne :

Avec la victoire des socialistes on va revenir sur certaines mesures injustes prises par la droite et impulser une nouvelle dynamique. Sarko a fait trop de mal à la France. Les rapports sociaux se sont durcis depuis son arrivée au pouvoir, la situation économique s’est dégradée, et j’en passe…

L’Ermite :

En voilà un compliment ! Je crois que tu surestimes vraiment l’action de notre actuel Président de la République. Cela me rappelle le slogan d’un célèbre feuilleton américain qui passait à la télévision française à la fin des années 1970 et au début des années 1980 : Dallas. Le « méchant » de la série s’appelait Jr. On disait alors : « l’homme que vous adorerez détester ! » Et ca marchait. Le sourire narquois de ce type et ses coups tordus provoquaient l’ire dans de nombreux foyers. J’ai même vu une grand-mère s’énerver alors qu’elle racontait à sa belle-fille les dernières infamies de l’odieux personnage.

 Jeanne :

Quel est le rapport avec ce que je dis ! 

L’Ermite :

Focaliser son attention sur un « méchant », ca aide à faire diversion, ca évite aussi de s’interroger sur soi-même. Ce qui arrive à ce pays s’explique par la mondialisation, mais aussi d’après une évolution historique récente qui lui est propre. En l’occurrence, la responsabilité est collective, ou plutôt, elle concerne des franges entières de la société, d’où la volonté de ne pas voir et les mauvaises questions que l’on se pose. Si tu veux comprendre par analogie, je dis bien par analogie, ce qui se passe actuellement, je te conseille vivement ces 2 livres : L’étrange défaite de Marc Bloch et L’impardonnable défaite (1918-1940) de Claude Quétel.

Jeanne :

Je ne connais pas ces livres !

L’Ermite :

Cela ne m’étonne guère… Gauche et droite sont responsables d’avoir occulté et nié ce que notre Etat providence devenait, à savoir une vache à lait, et de s’être engagées, avec ou sans enthousiasme selon les sensibilités internes, dans un projet européen libéral complexe et dogmatique sans vraiment envisager d’autres alternatives. Elles l’ont fait avec la complicité de nombreuses couches sociales qui profitaient allègrement de la dépense publique ou qui pensaient trouver dans le projet européen de quoi prospérer aisément. Pourquoi s’interroger alors ? Les laissés-pour-compte d’un Etat providence qui, tôt ou tard, risquera la faillite, ainsi que les ouvriers de l’industrie éclaboussés par la mondialisation et les choix économiques de l’Europe libérale, semblaient bien loin des préoccupations ordinaires, individualistes et consuméristes de ceux qui vivaient sur leur petit ou sur leur gros nuage. Je parle de gens riches, mais aussi de gens que tu connais : parents, amis, voisins…

Jeanne :

Je ne comprends rien à ce que vous racontez !

L’Ermite :

Cela ne m’étonne guère. Ils n’ont rien vu venir et n’ont rien voulu voir. Pire que cela, ils ont refoulé, voire censuré, tout ce qui pouvait amener un peu de lucidité. Concernant la gauche, on est dans le déni. Terme très prisé par les psychologues. La discrimination raciale, la violence faite aux femmes, la menace écologique imminente, l’Etat policier de Sarko, etc., sont, en vérité, de faux problèmes, basés sur une interprétation de la réalité tronquée voire caricaturale (pour ne pas dire parfois malhonnête). Ces thématiques masquent à peine le vide intellectuel de la gauche et sa confiscation par les classes moyennes et par une certaine bourgeoisie qui traduisent en idéologie leurs morales, leurs points de vue ethnocentriques sur le monde, leurs intérêts contradictoires (la sécurité mais sans le flicage, la prospérité économique mais sans le consumérisme, le confort technologique mais sans l’exploitation des ressources naturelles, etc.) et leurs préoccupations ordinaires. L’avantage avec ces grands thèmes, très généraux, et avec l’invocation de grands principes universalistes (droits de l’homme, etc.), c’est qu’ils permettent d’enrôler sous une même bannière et avec les mêmes discours politiquement corrects des milieux disparates, dès lors que ces derniers ont au moins quelques intérêts matériels convergents.

Jeanne :

M’enfin de quel déni parlez-vous ?

L’Ermite :

Celui de la lutte des classes ! Il est possible, je crois, de repenser ce que c’est d’être à gauche sur la base d’une véritable connaissance, sans tabou et sans entrave, des réalités sociales actuelles. Qui profite le plus de l’Etat providence et comment ? (Idem pour l’Europe libérale). Que vivent vraiment les classes populaires? Que sont-elles devenues ? De quoi ont-elles vraiment besoin? Qu’est-ce qui est relativement équitable et surtout faisable dans notre société? Quel en est le prix à payer? Voilà qui devrait constituer le questionnement préalable à tout programme politique de gauche. Les réponses apportées permettraient alors de se positionner face à la mondialisation et au projet européen, compte tenu de la marge de manœuvre existante, voire d’envisager une alliance entre les couches sociales qui commencent à perdre gros dans le jeu de la répartition des richesses.

Jeanne :

Mais la gauche et l’extrême gauche se soucient des plus humbles et dénoncent la rapacité des plus riches !

L’Ermite :

En apparence seulement, ou bien grâce aux élus locaux s’agissant des pauvres et de manière limitée (ce qui n’est déjà pas si mal, mais une certaine droite fait aussi dans le social). Les vraies enquêtes les dérangent. La vérité sociale ne les intéresse guère. Leur pensée s’avère, en réalité, hémiplégique. Gauche et extrême gauche ne conçoivent que ce qui les épargne d’un point de vue critique et les renforce dans leurs présupposés et  leur bonne conscience. C’est facile de dénoncer les riches, le racisme ou d’invoquer la défense des acquis sociaux !

Jeanne :

L’Ermite :

Pour en revenir à la lutte des classes, elle te concerne désormais. Car les ouvriers ne sont plus les seuls exposés au déclin, à la baisse du niveau de vie,  à la précarité, etc. Il est là le vrai combat à mener ! Tu vas te heurter à tes aînés baby-boomers, à des corporatismes (y compris de gauche et d’extrême gauche), à la puissance financière, aux exigences des bourgeoisies des pays émergents qui pèseront sur l’avenir de la France, mais également à tes illusions, habituée que tu es à te tourner vers l’Etat au moindre problème, à consommer, à profiter sans te poser de questions ou plutôt en cherchant des boucs émissaires à la misère du monde que parfois tu entrevois.

Jeanne :

Je… Enfin… Vous êtes un vieux fou ! Je n’aurais jamais dû venir.

L’Ermite :

Quand on regarde au fond d’un puits, on court toujours le risque d’éprouver un vertige, mais c’est aussi ce qui rend l’expérience excitante. Voilà pourquoi on jette quand même un œil…

Jeanne s’enfuit alors, blessée par la cruauté des phrases de l’Ermite, d’autant plus cruelles qu’elles sonnaient juste, laissant ainsi le vieil homme soudainement gagné par un malicieux sentiment de satisfaction.

Un manifeste pour les ouvriers et les employés…

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Manifeste pris sur le blog http://jeanpeneff.eklablog.net/, avec l’accord de l’auteur.

Christobal y souscrit volontiers. Ce texte a d’ailleurs le charme suranné d’une époque industrielle révolue, cependant très dure à vivre pour le prolétariat. Les lecteurs comprendront aisément qu’il a été écrit comme un clin d’œil à Friedrich Engels.

Dans ce manifeste, l’auteur traite, en dehors des ouvriers et des employés du privé, de classes sociales qui représentent peut-être un quart ou un tiers de la population. Il manque sans doute à l’analyse les « petites » classes moyennes plus ou moins liées au secteur public et qui regroupent les fonctionnaires (catégories B et C), les salariés du monde associatif ou médical, les enseignants des premier et second degrés. Celles-ci se distinguent de l’autre composante de ce vaste ensemble hétéroclite que constituent les classes moyennes (certains cadres du public ou du privé, les petits chefs d’entreprise, les agents de maîtrise, certaines professions libérales, etc.), dont il est aussi implicitement question dans le texte. Elles s’avèrent, pour une partie d’entre-elles, relativement « planquées » ou protégées. Enfin, elles jouent, dans une certaine mesure, le rôle politique des paysans jadis, dont Marx disait qu’ils étaient dominés, mais toujours prompts à rallier dans les luttes sociales les classes situées au-dessus d’eux par attachement à la propriété privée. Aujourd’hui, ces « petites » classes moyennes veulent surtout sauver une rente de situation – dont les avantages s’érodent avec la dégradation de la société française – à défaut d’un lopin de terre comme leurs ancêtres ruraux… Elles seraient pourtant bien inspirées de s’allier dans les luttes à venir aux ouvriers et aux employés moins protégés, plutôt que de reprendre les mots d’ordre corporatistes des syndicats ou de s’accrocher à certaines prérogatives.

Les découpages en termes de classes sociales se révèlent toujours discutables et caricaturaux. L’époque se caractérise, en outre, par une certaine porosité sociale. Au sein d’un même ménage, les cas de figure où des conjoints sont issus de milieux différents ou bien accèdent par leur emploi à des univers socialement disparates ne sont plus si rares. Malgré tout certaines tendances subsistent qui ne disparaitront pas de sitôt. Et puis, peu importe, finalement, qu’une typologie soit réductrice ou imparfaite, seules comptent en politique les idées que ces découpages partiels et flous sous-tendent au sujet des conflits d’intérêts à l’oeuvre.

Pour finir, Christobal voudrait dire aux ouvriers et aux employés que vivre au-dessus de ses moyens pour le pays les dessert, ils n’en ramassent que les miettes et paient plus que les autres. Quand le pays s’endette, ce sont sur eux, les plus nombreux, que pèsent les impôts pour rembourser, tandis que les classes aisées achètent souvent des obligations d’Etat dont elles tirent profit (pour 1/3 de la dette, puisque le reste appartient aux étrangers). Enfin, en imaginant que le pays puisse dévaluer librement afin de faciliter le remboursement de la dette, eux ouvriers et employés souffriraient davantage de l’inflation du fait de leurs revenus plus faibles (avant que la dévaluation ne relance éventuellement la croissance). En bref, dans tous les cas, ils se font avoir!

 

Manifeste en faveur des ouvriers immigrés et non immigrés

L’auteur et ses amis pensent que ce texte devrait servir à la discussion avec des candidats de gauche à la Présidentielle.

Prenant acte de la « disparition » morale de la classe ouvrière dans la vie politique – malgré le fait qu’elle compte encore aujourd’hui 8 millions de travailleurs manuels répartis dans les usines et les bureaux, de productifs dans les transports et les services, de retraités ou de chômeurs ; subalternes oubliés de la croissance et abstentionnistes non par goût mais par absence d’écoute et de compréhension – les signataires de ce présent manifeste proposent dans les lignes suivantes une réelle justice sociale.

-Ouvriers ! Pas de salaire net de moins de 1500 euros. Il est indigne de vous le refuser, voire indécent d’en discuter.

-Prise en compte de la véritable pénibilité au travail sur la base d’un coefficient incluant le taux par profession d’accidents du travail, de handicaps et de troubles physiques liés à la fatigue, de déplacements quotidiens. Il est impératif de prendre en compte l’altération précoce de la santé pour un abaissement substantiel de l’âge légal de la retraire.

-Comparaison entre, d’un côté, la participation à la couverture sociale par les cotisations et, de l’autre, les indemnités, remboursements et rétributions perçus par chaque grand groupe social.

Il nous semble effectivement indispensable de poser la question du coût et du profit de l’assurance sociale pour chaque catégorie. Car l’usage des sommes versées diffère grandement selon la place de chacun dans le travail, selon la durée de cotisation et selon l’espérance de vie, sachant que ces facteurs sont déterminants dans le coût  médical et le poids des catégories de retraites, par origine sociale des malades ou des pensionnés. 

Divers biais minimisent, par ailleurs, le différentiel des dépenses en fonction du revenu et du patrimoine. Par exemple, le refus de l’euthanasie opposé aux classes populaires, lorsqu’elles le demandent, accroît les dépenses involontaires et inutiles à leur santé, et génère d’immenses profits médicaux et pharmaceutiques. Les exemples de ce genre sont nombreux qui font, finalement, le bonheur des corporatismes et des industries médicaux au détriment de la santé publique. 

D’où parlons-nous pour interpeller les candidats ?  Nous sommes des ouvriers et des intellectuels, directement sensibilisés, des fils, des frères ou des pères d’ouvriers. Nous les côtoyons tous les jours et nous disons :

« Nous avons vécu assez longtemps parmi eux, pour être informés de leurs conditions de vie ; nous avons consacré, à les connaître, la plus sérieuse attention ; nous avons étudié les différents documents, officiels et non officiels, que nous avons eu la possibilité de nous procurer ; nous ne nous en sommes pas contentés. Ce n’est pas seulement une connaissance abstraite de notre sujet qui nous importait, nous voulions les voir dans leurs demeures, les observer dans leur existence quotidienne, parler avec eux de leurs conditions de vie et de leurs souffrances, être témoin de leurs luttes contre le pouvoir social et politique de leurs oppresseurs. Voici comment nous avons procédé : nous avons renoncé à la société et aux banquets, au porto et au champagne de la classe moyenne et nous avons consacré nos heures de loisirs presque exclusivement à la fréquentation des simples ouvriers ; nous sommes heureux et fiers d’avoir agi de la sorte ».

Adresse aux classes ouvrières de France

A défaut d’écrire un grand livre de sociologie politique, comme celui du jeune homme de 25 ans (dont nous citons l’exergue), qui date de 1845, nous en transposons les idées essentielles.

« Grâce aux vastes possibilités que j’avais d’observer simultanément la classe moyenne, votre adversaire, je suis parvenu très vite à la conclusion que vous avez raison, parfaitement raison, de n’attendre d’elle aucun secours. Ses intérêts et les vôtres sont diamétralement opposés, bien qu’elle tente sans cesse d’affirmer le contraire. Ses actes démentent ses paroles. » [1] 

Le jugement de l’auteur, le jeune Engels, transposé à l’époque actuelle, doit être tempéré dans la mesure où, d’une part, il utilise le terme de « classe moyenne » pour parler, en fait, de la bourgeoisie,  et, d’autre part, parce que la crise touche aujourd’hui durement les enfants, non avertis et non préparés, des classes moyennes (cette fois-ci dans l’acception moderne de ce terme). 

« Mais quels que soient vos futurs alliés, Ouvriers, vous avez raison de proclamer la spécificité de votre situation et le rattrapage nécessaire de 30 ans d’injustice et de cadeaux faits à d’autres par l’Etat. Vous aurez raison de demander ces enquêtes que l’on nous interdit sur les avantages et les inconvénients de l’universalisme des droits sociaux. Cette crise ne vous ouvrira aucune perspective, ni avantages, ni rattrapage ; et c’est même probablement le contraire qui s’annonce avec la prochaine élection, quel qu’en soit le résultat, tant votre voix autrefois puissante s’est éteinte. Dans ce cas : refusez de payer pour les autres. Ou alors exigez le contrôle des dépenses qui creusent les déficits dans votre dos et dont on vous demande ensuite de réparer les dégâts. Exigez un minimum salarial de 1500 euros. Faites-en le plancher de toute négociation raisonnable. Demandez ainsi simplement le droit de survivre avec votre famille avec 50 euros par jour. »

« Réclamez le retournement de l’Etat : qu’il soit aussi généreux pour les plus modestes que pour les classes supérieures et moyennes. Il est temps que la Providence, détournée de son effet originel (le système fonctionna jusque vers 1970), change de camp. Il est temps que la solidarité soit proportionnellement redistribuée ! »

« En effet, Ouvriers, qui profite de l’assurance maladie, le plus longtemps et le plus coûteusement ? Qui bénéficie des retraites les plus élevées et sur une longue durée : dix ans d’écart par rapport à vous ? Qui exploite au plus haut degré l’assurance chômage ? Une partie des cadres et des professions intermédiaires ! Vous le savez ! Vous connaissez, intuitivement ou par calcul, les différences de profits qu’il y a à tirer des Caisses que vous ne gérez pas (sauf par bureaucrates interposés, professionnels non contrôlés et aveugles). Vous  vous méfiez des principes consensuels affichés en votre nom, à corps et à cris, ainsi que des bienfaits de l’universalisme des droits, de la paix sociale… et vous avez raison ! »

« Le problème de la dette à payer ne vous concerne pas ; restez en les spectateurs. Les classes moyennes auront besoin de votre participation pour refuser leur part du déficit. Abstenez-vous de les aider sans contrepartie de leur part ! Persistez dans votre retrait du vote, de la “ manif ” ou de la mobilisation manipulée par des tiers ! »

La  lutte interne à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie

Vous ne l’ignorez pas, Ouvriers, le jeu se déroule sans vous, le bal dont vous êtes exclus se danse à quatre.  Deux fractions de la grande bourgeoisie et deux fractions des classes moyennes riches s’affrontent maintenant que les comptes sont à apurer. Que de tension entre ceux qui vivent  avec 500 euros par jour et ceux qui en dépensent 5000 par jour ! Mais cette rivalité intestine ne départage pas les revenus et le patrimoine seuls. D’autres facteurs culturels, idéologiques, fractionnent les deux grandes classes qui dominent le pays. Et ces fractions ne s’allient pas automatiquement avec leurs homologues de fortune ou de position. Des clivages religieux, politiques, historiques les amènent à diverses alliances et à des luttes fratricides. On voit tous les jours ces combats au sein de l’UMP et au sein du PS. Ouvriers, vous savez à travers les débats dits « d’actualité » et à travers les « problèmes » déclarés d’intérêt national par les différents médias, qui sont entre leurs mains, combien les tensions s’aiguisent entre ces fractions.

Vous savez combien leur rivalité s’accroît à mesure que la grande crise qui a surgi les touche pour la première fois depuis la guerre. Les débats de société qu’on vous impose (et qui excluent ceux de la condition ouvrière évoqués par Engels il y a 150 ans) se trouvent là où leurs « intérêts » sont en jeu ; ils déchirent alors le voile de leurs accords de façade quand tout allait bien.  

I La Bourgeoisie manifeste quotidiennement ses divergences internes. Depuis les années « Giscard », elle est divisée en deux camps :

La vieille bourgeoisie nationale, sociale-catholique ou protestante, sincère, puritaine, économe, parfois mesurée dans l’exploitation de ses travailleurs. Cette fraction fut l’ossature du gaullisme social dont le sens patriotique et du devoir de progrès valorisaient le travail industriel et l’indépendance nationale. Cette fraction existe toujours, mais depuis la disparition du Général, elle reste discrète et se tait.

La nouvelle bourgeoisie des affaires et de la finance est sa sœur cadette. Spéculative, affairiste, cosmopolite, bancaire, elle se dit « moderne » et emboîte le pas à ses homologues anglaise et américaine. Arrivée sans effort, sans tradition de l’Etat, elle s’exhibe jouisseuse, hédoniste, le plus souvent dilettante dans les emplois qu’elle s’octroie à la direction des grands groupes et du service d’Etat. Mais elle possède une armée de serviteurs titrés de haut rang, aux aptitudes inépuisables, qu’elle recrute dans les classes moyennes.

 II Les classes moyennes riches sont les parvenues de ces 30 dernières années. Elles se divisent en deux également :

Les éléments les plus récents sont fascinés par la bourgeoisie sans scrupule qui les domine. La classe moyenne riche a hérité et a souvent peu travaillé ; elle vit en partie de ses rentes et a bénéficié éphémèrement d’un emploi par piston (qu’on pense, par exemple, à notre Président, merveilleuse illustration…). L’euro est sa monnaie de cœur ! Une monnaie bénie qui a, en effet, prodigieusement enrichie ses avoirs bancaires et/ou immobiliers, durant les 10 dernières années, grâce à la stabilité des taux d’intérêts et des prix (pas d’inflation pour éroder son capital). C’est en son sein que la spéculation boursière put se déployer, et ses diverses facettes  – bobos, écolos, gauchos – cessèrent de travailler dans le monde de la production pour celui des services publics assistés ou bien pour vivre des rentes et de l’embauche à peu de frais de ses frères et sœurs qui la servaient. D’où, Ouvriers, cette guerre civile au sein des classes moyennes que vous pouvez observer de loin, amusés.   

Une guerre civile dans laquelle, vous le devinez, on se déchire au sein des repas de familles, des réunions d’associations ou de discussions entre cadres. Les professionnels de la Fonction publique s’opposent ainsi aux agents du privé. Malgré une origine familiale commune, des contradictions internes au groupe social apparaissent. La divergence soudaine des fortunes et des patrimoines altère les relations d’amis, de parents ou d’héritiers. La source des revenus, que ce soit la banque ou les jeux boursiers, que ce soit le travail d’employé ou de cadre, a détruit l’unité. La cohésion traditionnelle des classes moyennes, riches ou seulement aisées, a volé en éclats et des formes d’exploitation intra-classe apparaissent, ainsi qu’on le voit, par exemple, dans les relations propriétaires-locataires d’un patrimoine immobilier hérité. 

L’autre petite bourgeoisie s’est établie par le travail et non par le capitalisme spéculatif ; elle est restée besogneuse et n’aime pas l’exhibitionnisme de sa sœur aînée. Mais alors qu’elle veut profiter à son tour de l’enrichissement national, placer ses enfants, les ressources manquent et les portes de l’embourgeoisement se ferment. La crise affecte son avenir et celui de sa progéniture, mais pas encore son présent (malgré un sens de la famille en crise). Sa sœur, dont nous avons parlé plus haut, se moque, en revanche, de sa descendance à qui elle assure néanmoins des rentes substantielles dès lors que celle-ci se tient tranquille, comme une jeunesse entretenue doit savoir le faire.

Les alliances et les compromis entre ces quatre fractions varient selon le sujet et la position de l’indice Boursier ou les chances du maintien de l’euro. Quand se rapproche le moment des règlements de comptes, la musique du bal grince, le quadrille se défait, les tensions agitent les danseurs… Cela donne lieu à des révélations incroyables (« affaires » Bettancourt, DSK) sur leur niveau de vie, sur le dessous de leurs affaires, sur leur fuite devant l’impôt.

Ces quatre fractions se positionnent différemment selon les grands thèmes politiques de la vie nationale. Leurs accords et leurs ententes, qui rythment les élections, se pratiquent à 2 contre 2 ou à 3 contre un. Ces combinaisons sont constitutives de la politique nationale et les divergences se manifestent, par exemple, sur le problème scolaire, la place de l’école publique, sur sa fonction autoritaire ou indulgente. La bourgeoisie nationaliste et une frange de la classe moyenne souhaitent que l’école traditionnelle retrouve son rôle éducatif directif et sévère. Mais les autres fractions se fichent pas mal de cette question ; elles ont leurs enfants dans le privé ou à l’étranger et ne voient pas d’urgence à préserver l’enseignement public de son laxisme.

Le soutien financier à l’art et à la culture, immense source d’emplois pour la petite bourgeoisie cultivée, est une autre question génératrice de clivages pour les classes moyennes riches, sur ce thème-là, d’ailleurs, en harmonie avec la bourgeoisie hédoniste. Beaucoup de leurs enfants aux diplômes universitaires vagues, sans réelle formation, n’auraient aucune chance de trouver un emploi gratifiant si le domaine illimité de l’art protégé et de la culture assistée ne les sauvaient provisoirement du chômage.

Concernant les profits des grandes entreprises, on perçoit au sein du MEDEF, les déchirures entre fractions, celle des services ou des industries financières et celles des industries de l’économie réelle. Notamment au sujet des rémunérations patronales.

Sur la dette, une autre configuration  apparaît dans  le groupe des quatre. Après l’avoir niée, puis minimisée, la bourgeoisie dispendieuse tente de se rapprocher de sa rivale pour sauver l’essentiel : le libéralisme menacé. Les classes moyennes riches (bien représentées au PS) restent sur la position que toute révélation de déficit ou de menace de faillite est une pure fiction, dangereuse à manier, et qu’un seul mot doit être entendu, « La croissance », croassement magique chanté par maints oiseaux de bonne augure ayant  leur couvert mis tous les jours dans leurs médias !  

Dans ces luttes internes, jeunes Ouvriers et Employés, on voudra vous enrôler pour aider telle ou telle faction. Si vous acceptez de prêter votre concours (votes, actions de force, mobilisations de longue durée), demandez le prix pour cette collaboration : veillez aux engagements pris pour vos familles et pour vos enfants qui veulent retrouver une école responsable et rigoureuse, y compris sélective mais égalitaire ; surveillez l’usage des fonds publics venant de l’impôt ou des cotisations sociales ; maintenez vos élus syndicaux ou de partis sous la pression de votre surveillance. Bref organisez-vous comme vos pères le firent. Défendez-vous ainsi qu’une longue tradition de vos ancêtres le pratiquèrent !

  [1] Friedrich Engels, La situation de la classe ouvrière en Angleterre, Editions Science Marxiste (2011), p. 29.