Manifeste pris sur le blog http://jeanpeneff.eklablog.net/, avec l’accord de l’auteur.
Christobal y souscrit volontiers. Ce texte a d’ailleurs le charme suranné d’une époque industrielle révolue, cependant très dure à vivre pour le prolétariat. Les lecteurs comprendront aisément qu’il a été écrit comme un clin d’œil à Friedrich Engels.
Dans ce manifeste, l’auteur traite, en dehors des ouvriers et des employés du privé, de classes sociales qui représentent peut-être un quart ou un tiers de la population. Il manque sans doute à l’analyse les « petites » classes moyennes plus ou moins liées au secteur public et qui regroupent les fonctionnaires (catégories B et C), les salariés du monde associatif ou médical, les enseignants des premier et second degrés. Celles-ci se distinguent de l’autre composante de ce vaste ensemble hétéroclite que constituent les classes moyennes (certains cadres du public ou du privé, les petits chefs d’entreprise, les agents de maîtrise, certaines professions libérales, etc.), dont il est aussi implicitement question dans le texte. Elles s’avèrent, pour une partie d’entre-elles, relativement « planquées » ou protégées. Enfin, elles jouent, dans une certaine mesure, le rôle politique des paysans jadis, dont Marx disait qu’ils étaient dominés, mais toujours prompts à rallier dans les luttes sociales les classes situées au-dessus d’eux par attachement à la propriété privée. Aujourd’hui, ces « petites » classes moyennes veulent surtout sauver une rente de situation – dont les avantages s’érodent avec la dégradation de la société française – à défaut d’un lopin de terre comme leurs ancêtres ruraux… Elles seraient pourtant bien inspirées de s’allier dans les luttes à venir aux ouvriers et aux employés moins protégés, plutôt que de reprendre les mots d’ordre corporatistes des syndicats ou de s’accrocher à certaines prérogatives.
Les découpages en termes de classes sociales se révèlent toujours discutables et caricaturaux. L’époque se caractérise, en outre, par une certaine porosité sociale. Au sein d’un même ménage, les cas de figure où des conjoints sont issus de milieux différents ou bien accèdent par leur emploi à des univers socialement disparates ne sont plus si rares. Malgré tout certaines tendances subsistent qui ne disparaitront pas de sitôt. Et puis, peu importe, finalement, qu’une typologie soit réductrice ou imparfaite, seules comptent en politique les idées que ces découpages partiels et flous sous-tendent au sujet des conflits d’intérêts à l’oeuvre.
Pour finir, Christobal voudrait dire aux ouvriers et aux employés que vivre au-dessus de ses moyens pour le pays les dessert, ils n’en ramassent que les miettes et paient plus que les autres. Quand le pays s’endette, ce sont sur eux, les plus nombreux, que pèsent les impôts pour rembourser, tandis que les classes aisées achètent souvent des obligations d’Etat dont elles tirent profit (pour 1/3 de la dette, puisque le reste appartient aux étrangers). Enfin, en imaginant que le pays puisse dévaluer librement afin de faciliter le remboursement de la dette, eux ouvriers et employés souffriraient davantage de l’inflation du fait de leurs revenus plus faibles (avant que la dévaluation ne relance éventuellement la croissance). En bref, dans tous les cas, ils se font avoir!
Manifeste en faveur des ouvriers immigrés et non immigrés
L’auteur et ses amis pensent que ce texte devrait servir à la discussion avec des candidats de gauche à la Présidentielle.
Prenant acte de la « disparition » morale de la classe ouvrière dans la vie politique – malgré le fait qu’elle compte encore aujourd’hui 8 millions de travailleurs manuels répartis dans les usines et les bureaux, de productifs dans les transports et les services, de retraités ou de chômeurs ; subalternes oubliés de la croissance et abstentionnistes non par goût mais par absence d’écoute et de compréhension – les signataires de ce présent manifeste proposent dans les lignes suivantes une réelle justice sociale.
-Ouvriers ! Pas de salaire net de moins de 1500 euros. Il est indigne de vous le refuser, voire indécent d’en discuter.
-Prise en compte de la véritable pénibilité au travail sur la base d’un coefficient incluant le taux par profession d’accidents du travail, de handicaps et de troubles physiques liés à la fatigue, de déplacements quotidiens. Il est impératif de prendre en compte l’altération précoce de la santé pour un abaissement substantiel de l’âge légal de la retraire.
-Comparaison entre, d’un côté, la participation à la couverture sociale par les cotisations et, de l’autre, les indemnités, remboursements et rétributions perçus par chaque grand groupe social.
Il nous semble effectivement indispensable de poser la question du coût et du profit de l’assurance sociale pour chaque catégorie. Car l’usage des sommes versées diffère grandement selon la place de chacun dans le travail, selon la durée de cotisation et selon l’espérance de vie, sachant que ces facteurs sont déterminants dans le coût médical et le poids des catégories de retraites, par origine sociale des malades ou des pensionnés.
Divers biais minimisent, par ailleurs, le différentiel des dépenses en fonction du revenu et du patrimoine. Par exemple, le refus de l’euthanasie opposé aux classes populaires, lorsqu’elles le demandent, accroît les dépenses involontaires et inutiles à leur santé, et génère d’immenses profits médicaux et pharmaceutiques. Les exemples de ce genre sont nombreux qui font, finalement, le bonheur des corporatismes et des industries médicaux au détriment de la santé publique.
D’où parlons-nous pour interpeller les candidats ? Nous sommes des ouvriers et des intellectuels, directement sensibilisés, des fils, des frères ou des pères d’ouvriers. Nous les côtoyons tous les jours et nous disons :
« Nous avons vécu assez longtemps parmi eux, pour être informés de leurs conditions de vie ; nous avons consacré, à les connaître, la plus sérieuse attention ; nous avons étudié les différents documents, officiels et non officiels, que nous avons eu la possibilité de nous procurer ; nous ne nous en sommes pas contentés. Ce n’est pas seulement une connaissance abstraite de notre sujet qui nous importait, nous voulions les voir dans leurs demeures, les observer dans leur existence quotidienne, parler avec eux de leurs conditions de vie et de leurs souffrances, être témoin de leurs luttes contre le pouvoir social et politique de leurs oppresseurs. Voici comment nous avons procédé : nous avons renoncé à la société et aux banquets, au porto et au champagne de la classe moyenne et nous avons consacré nos heures de loisirs presque exclusivement à la fréquentation des simples ouvriers ; nous sommes heureux et fiers d’avoir agi de la sorte ».
Adresse aux classes ouvrières de France
A défaut d’écrire un grand livre de sociologie politique, comme celui du jeune homme de 25 ans (dont nous citons l’exergue), qui date de 1845, nous en transposons les idées essentielles.
« Grâce aux vastes possibilités que j’avais d’observer simultanément la classe moyenne, votre adversaire, je suis parvenu très vite à la conclusion que vous avez raison, parfaitement raison, de n’attendre d’elle aucun secours. Ses intérêts et les vôtres sont diamétralement opposés, bien qu’elle tente sans cesse d’affirmer le contraire. Ses actes démentent ses paroles. » [1]
Le jugement de l’auteur, le jeune Engels, transposé à l’époque actuelle, doit être tempéré dans la mesure où, d’une part, il utilise le terme de « classe moyenne » pour parler, en fait, de la bourgeoisie, et, d’autre part, parce que la crise touche aujourd’hui durement les enfants, non avertis et non préparés, des classes moyennes (cette fois-ci dans l’acception moderne de ce terme).
« Mais quels que soient vos futurs alliés, Ouvriers, vous avez raison de proclamer la spécificité de votre situation et le rattrapage nécessaire de 30 ans d’injustice et de cadeaux faits à d’autres par l’Etat. Vous aurez raison de demander ces enquêtes que l’on nous interdit sur les avantages et les inconvénients de l’universalisme des droits sociaux. Cette crise ne vous ouvrira aucune perspective, ni avantages, ni rattrapage ; et c’est même probablement le contraire qui s’annonce avec la prochaine élection, quel qu’en soit le résultat, tant votre voix autrefois puissante s’est éteinte. Dans ce cas : refusez de payer pour les autres. Ou alors exigez le contrôle des dépenses qui creusent les déficits dans votre dos et dont on vous demande ensuite de réparer les dégâts. Exigez un minimum salarial de 1500 euros. Faites-en le plancher de toute négociation raisonnable. Demandez ainsi simplement le droit de survivre avec votre famille avec 50 euros par jour. »
« Réclamez le retournement de l’Etat : qu’il soit aussi généreux pour les plus modestes que pour les classes supérieures et moyennes. Il est temps que la Providence, détournée de son effet originel (le système fonctionna jusque vers 1970), change de camp. Il est temps que la solidarité soit proportionnellement redistribuée ! »
« En effet, Ouvriers, qui profite de l’assurance maladie, le plus longtemps et le plus coûteusement ? Qui bénéficie des retraites les plus élevées et sur une longue durée : dix ans d’écart par rapport à vous ? Qui exploite au plus haut degré l’assurance chômage ? Une partie des cadres et des professions intermédiaires ! Vous le savez ! Vous connaissez, intuitivement ou par calcul, les différences de profits qu’il y a à tirer des Caisses que vous ne gérez pas (sauf par bureaucrates interposés, professionnels non contrôlés et aveugles). Vous vous méfiez des principes consensuels affichés en votre nom, à corps et à cris, ainsi que des bienfaits de l’universalisme des droits, de la paix sociale… et vous avez raison ! »
« Le problème de la dette à payer ne vous concerne pas ; restez en les spectateurs. Les classes moyennes auront besoin de votre participation pour refuser leur part du déficit. Abstenez-vous de les aider sans contrepartie de leur part ! Persistez dans votre retrait du vote, de la “ manif ” ou de la mobilisation manipulée par des tiers ! »
La lutte interne à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie
Vous ne l’ignorez pas, Ouvriers, le jeu se déroule sans vous, le bal dont vous êtes exclus se danse à quatre. Deux fractions de la grande bourgeoisie et deux fractions des classes moyennes riches s’affrontent maintenant que les comptes sont à apurer. Que de tension entre ceux qui vivent avec 500 euros par jour et ceux qui en dépensent 5000 par jour ! Mais cette rivalité intestine ne départage pas les revenus et le patrimoine seuls. D’autres facteurs culturels, idéologiques, fractionnent les deux grandes classes qui dominent le pays. Et ces fractions ne s’allient pas automatiquement avec leurs homologues de fortune ou de position. Des clivages religieux, politiques, historiques les amènent à diverses alliances et à des luttes fratricides. On voit tous les jours ces combats au sein de l’UMP et au sein du PS. Ouvriers, vous savez à travers les débats dits « d’actualité » et à travers les « problèmes » déclarés d’intérêt national par les différents médias, qui sont entre leurs mains, combien les tensions s’aiguisent entre ces fractions.
Vous savez combien leur rivalité s’accroît à mesure que la grande crise qui a surgi les touche pour la première fois depuis la guerre. Les débats de société qu’on vous impose (et qui excluent ceux de la condition ouvrière évoqués par Engels il y a 150 ans) se trouvent là où leurs « intérêts » sont en jeu ; ils déchirent alors le voile de leurs accords de façade quand tout allait bien.
I La Bourgeoisie manifeste quotidiennement ses divergences internes. Depuis les années « Giscard », elle est divisée en deux camps :
–La vieille bourgeoisie nationale, sociale-catholique ou protestante, sincère, puritaine, économe, parfois mesurée dans l’exploitation de ses travailleurs. Cette fraction fut l’ossature du gaullisme social dont le sens patriotique et du devoir de progrès valorisaient le travail industriel et l’indépendance nationale. Cette fraction existe toujours, mais depuis la disparition du Général, elle reste discrète et se tait.
–La nouvelle bourgeoisie des affaires et de la finance est sa sœur cadette. Spéculative, affairiste, cosmopolite, bancaire, elle se dit « moderne » et emboîte le pas à ses homologues anglaise et américaine. Arrivée sans effort, sans tradition de l’Etat, elle s’exhibe jouisseuse, hédoniste, le plus souvent dilettante dans les emplois qu’elle s’octroie à la direction des grands groupes et du service d’Etat. Mais elle possède une armée de serviteurs titrés de haut rang, aux aptitudes inépuisables, qu’elle recrute dans les classes moyennes.
II Les classes moyennes riches sont les parvenues de ces 30 dernières années. Elles se divisent en deux également :
–Les éléments les plus récents sont fascinés par la bourgeoisie sans scrupule qui les domine. La classe moyenne riche a hérité et a souvent peu travaillé ; elle vit en partie de ses rentes et a bénéficié éphémèrement d’un emploi par piston (qu’on pense, par exemple, à notre Président, merveilleuse illustration…). L’euro est sa monnaie de cœur ! Une monnaie bénie qui a, en effet, prodigieusement enrichie ses avoirs bancaires et/ou immobiliers, durant les 10 dernières années, grâce à la stabilité des taux d’intérêts et des prix (pas d’inflation pour éroder son capital). C’est en son sein que la spéculation boursière put se déployer, et ses diverses facettes – bobos, écolos, gauchos – cessèrent de travailler dans le monde de la production pour celui des services publics assistés ou bien pour vivre des rentes et de l’embauche à peu de frais de ses frères et sœurs qui la servaient. D’où, Ouvriers, cette guerre civile au sein des classes moyennes que vous pouvez observer de loin, amusés.
Une guerre civile dans laquelle, vous le devinez, on se déchire au sein des repas de familles, des réunions d’associations ou de discussions entre cadres. Les professionnels de la Fonction publique s’opposent ainsi aux agents du privé. Malgré une origine familiale commune, des contradictions internes au groupe social apparaissent. La divergence soudaine des fortunes et des patrimoines altère les relations d’amis, de parents ou d’héritiers. La source des revenus, que ce soit la banque ou les jeux boursiers, que ce soit le travail d’employé ou de cadre, a détruit l’unité. La cohésion traditionnelle des classes moyennes, riches ou seulement aisées, a volé en éclats et des formes d’exploitation intra-classe apparaissent, ainsi qu’on le voit, par exemple, dans les relations propriétaires-locataires d’un patrimoine immobilier hérité.
–L’autre petite bourgeoisie s’est établie par le travail et non par le capitalisme spéculatif ; elle est restée besogneuse et n’aime pas l’exhibitionnisme de sa sœur aînée. Mais alors qu’elle veut profiter à son tour de l’enrichissement national, placer ses enfants, les ressources manquent et les portes de l’embourgeoisement se ferment. La crise affecte son avenir et celui de sa progéniture, mais pas encore son présent (malgré un sens de la famille en crise). Sa sœur, dont nous avons parlé plus haut, se moque, en revanche, de sa descendance à qui elle assure néanmoins des rentes substantielles dès lors que celle-ci se tient tranquille, comme une jeunesse entretenue doit savoir le faire.
Les alliances et les compromis entre ces quatre fractions varient selon le sujet et la position de l’indice Boursier ou les chances du maintien de l’euro. Quand se rapproche le moment des règlements de comptes, la musique du bal grince, le quadrille se défait, les tensions agitent les danseurs… Cela donne lieu à des révélations incroyables (« affaires » Bettancourt, DSK) sur leur niveau de vie, sur le dessous de leurs affaires, sur leur fuite devant l’impôt.
Ces quatre fractions se positionnent différemment selon les grands thèmes politiques de la vie nationale. Leurs accords et leurs ententes, qui rythment les élections, se pratiquent à 2 contre 2 ou à 3 contre un. Ces combinaisons sont constitutives de la politique nationale et les divergences se manifestent, par exemple, sur le problème scolaire, la place de l’école publique, sur sa fonction autoritaire ou indulgente. La bourgeoisie nationaliste et une frange de la classe moyenne souhaitent que l’école traditionnelle retrouve son rôle éducatif directif et sévère. Mais les autres fractions se fichent pas mal de cette question ; elles ont leurs enfants dans le privé ou à l’étranger et ne voient pas d’urgence à préserver l’enseignement public de son laxisme.
Le soutien financier à l’art et à la culture, immense source d’emplois pour la petite bourgeoisie cultivée, est une autre question génératrice de clivages pour les classes moyennes riches, sur ce thème-là, d’ailleurs, en harmonie avec la bourgeoisie hédoniste. Beaucoup de leurs enfants aux diplômes universitaires vagues, sans réelle formation, n’auraient aucune chance de trouver un emploi gratifiant si le domaine illimité de l’art protégé et de la culture assistée ne les sauvaient provisoirement du chômage.
Concernant les profits des grandes entreprises, on perçoit au sein du MEDEF, les déchirures entre fractions, celle des services ou des industries financières et celles des industries de l’économie réelle. Notamment au sujet des rémunérations patronales.
Sur la dette, une autre configuration apparaît dans le groupe des quatre. Après l’avoir niée, puis minimisée, la bourgeoisie dispendieuse tente de se rapprocher de sa rivale pour sauver l’essentiel : le libéralisme menacé. Les classes moyennes riches (bien représentées au PS) restent sur la position que toute révélation de déficit ou de menace de faillite est une pure fiction, dangereuse à manier, et qu’un seul mot doit être entendu, « La croissance », croassement magique chanté par maints oiseaux de bonne augure ayant leur couvert mis tous les jours dans leurs médias !
Dans ces luttes internes, jeunes Ouvriers et Employés, on voudra vous enrôler pour aider telle ou telle faction. Si vous acceptez de prêter votre concours (votes, actions de force, mobilisations de longue durée), demandez le prix pour cette collaboration : veillez aux engagements pris pour vos familles et pour vos enfants qui veulent retrouver une école responsable et rigoureuse, y compris sélective mais égalitaire ; surveillez l’usage des fonds publics venant de l’impôt ou des cotisations sociales ; maintenez vos élus syndicaux ou de partis sous la pression de votre surveillance. Bref organisez-vous comme vos pères le firent. Défendez-vous ainsi qu’une longue tradition de vos ancêtres le pratiquèrent !
[1] Friedrich Engels, La situation de la classe ouvrière en Angleterre, Editions Science Marxiste (2011), p. 29.