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Les plans les mieux conçus des souris et des hommes…

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« Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas », Robert Burns.

« Un mensonge peut tromper quelqu’un mais il te dit la vérité : tu es faible », Tom Wolfe.

Etait-ce un rêve ou bien une situation vécue ? J’éprouve quelque difficulté à le savoir. Parfois les expériences oniriques sont si fortes qu’elles se confondent avec les souvenirs et troublent jusqu’à la faculté de jugement de notre cerveau. Toujours est-il que je me revois bien, là, dans ce parc, un soir de lune à Paris, sous un ciel de papier buvard bleu, à peine troublé par les roucoulements et les bruissements d’ailes de quelques volatiles bien connus de nos cathédrales. Il n’y avait personne aux alentours. La senteur fraîche de la nuit et des herbes montaient en moi comme le désir chez un adolescent, tandis que j’abandonnais mon séant aux caprices de mes jambes, lesquelles paraissaient enchantées de déambuler à travers les allées sombres. C’est alors qu’il m’apparut. Un petit être blond, échevelé, qui griffonnait sur un papier. « Je suis le petit Prince égaré », qu’il me dit. « Dessine-moi un complot. » D’abord stupéfait, je décidai ensuite de m’approcher et de lui donner ce qu’il voulait en paroles plutôt que sous la forme d’un croquis. Il est des circonstances où les questions du genre : qui es-tu, d’où viens-tu, que fais-tu dans la vie, etc., paraissent superflues. Dans le vif du sujet il faut entrer. Et c’est ce que je fis…

« Le complot qui réussit parfaitement, dans le cours de l’Histoire ca relève de l’exception plus que de la règle générale ! », que je lui dis doctement. Comme je m’y attendais, il me demanda de développer. Je lui expliquai alors que la théorie du complot est une théorie facile, voire faible. Beaucoup de gens l’invoquent faute d’explication et parce que cela s’avère souvent très commode compte tenu des idées qu’ils défendent et des présupposés qu’ils ont en tête. Est-ce à dire que des complots, il n’y en a jamais ? Que nenni petit Prince égaré ! La vie politique et sociale croule sous les complots individuels… et parfois collectifs. Ils interfèrent, se télescopent, s’annihilent ou amplifient leurs conséquences, voire rendent ces dernières inattendues. Les complots inachevés, maladroits, bien pensés mais mal appliqués, soumis à des événements imprévus, etc., on n’en manque guère ! Ambitieux ou modestes, simples ou complexes, mais bien souvent contraints d’obéir à la loi de Murphy : celle de l’emmerdement maximum ou de la tartine beurrée ainsi que certains la nomment (quand tombe la tartine, il y a une chance sur deux qu’elle le fasse du côté beurré, ce qui s’avère problématique si l’on espère la récupérer pour la manger ensuite…).

Je ne pense guère faire partie des paranoïaques, ni des naïfs. L’absence de complot est, pour moi, tout autant improbable, que la théorie du complot me paraît généralement simpliste. Or, ces derniers temps, la théorie du complot sied bien à notre époque si agitée qui s’accélère comme on dévale une pente. On la brandit au moindre fait politique, faute de réel désir de comprendre. L’an dernier on en faisait, du côté des supporters de DSK, le rempart contre la chute de l’homme providentiel. Avec le recul, qu’en est-il ? Rien, sinon que l’ex prétendant à la Présidence de la République est actuellement embourbé dans une sombre affaire de proxénétisme. J’ai, désormais, une vision toute différente de celle des tenants du complot fomenté par la droite pour faire chuter le saint homme et de celle des défenseurs de la pauvre victime stigmatisée par le machisme ambiant. Elle vaut ce qu’elle vaut. Seules les années trancheront. Mais elle me paraît fort plausible d’après ce que j’ai pu glaner (articles et contre-articles, etc.). Après tout, au firmament de la connerie ambiante, mon point de vue ne brillera pas plus que celui des autres !

Selon moi, l’estimé socialo-économiste a simplement cédé à ses pulsions habituelles. Le bougre était si sûr qu’on l’attendrait au virage de la concupiscence qu’il avait même un jour anticipé devant des journalistes sympathisants un scénario où ses ennemis politiques lui jetteraient dans les bras – pour ne pas dire sur son précieux organe – une jeune femme. Faut-il qu’il soit rusé d’annoncer ainsi sa chute afin de continuer à s’adonner à ses penchants… Malheureusement pour lui, ses galipettes américaines se sont mal terminées. La femme de chambre n’a pas accepté le deal convenu, cela a mal tourné, elle voulait plus, etc., ou bien tout simplement elle lui a tendu un piège. Un homme à l’appétit sexuel dévorant s’avère, en réalité, une proie facile. Le prédateur n’est pas toujours celui qu’on croit. Le goût de l’argent chez les pauvres pousse parfois au cynisme, et ce d’autant que la bourgeoisie donne l’exemple… Or, avec la justice américaine, faut pas rire. Surtout qu’un personnage de cette trempe, ca aiguise beaucoup d’appétits. Le procureur ne s’y est pas trompé qui peut-être voulait, et pouvait à coup sûr, donner un coup de pouce à sa carrière déjà remplie. Las, la précipitation des services de police ou, qui sait, la volonté de certains cadres policiers de garder précieusement les informations compromettantes sur la victime, afin d’induire en erreur et de ridiculiser un procureur connu pour avoir tapé sur les flics dans un passé pas si lointain, a eu raison des plans et des ambitions probables de celui-ci. La suite on la connaît. Une affaire qui fait flop, mais dont DSK jamais ne se remettra vraiment. Pas grave, le visage de cette gauche là, désormais on sait à quoi il ressemble… En bref, une histoire à la Tom Wolfe, comme dans le Bûcher des vanités, une histoire où chacun complote de son côté et où les événements échappent à tout le monde au fil des rebondissements et des plans sitôt mis en œuvre, sitôt révisés. Une histoire de comploteurs qui perdent pour certains et gagnent sur toute la ligne ou en partie pour d’autres, par chance ou par opportunisme (ayant eu le flair d’agir au bon moment et de « pousser » dans le « bon » sens…).

Le petit Prince me fixait de ses yeux bleus profonds. Je ne savais pas ce qu’il attendait, mais je croyais le deviner. Dans ce genre de situation, je veux dire quand on est emporté par ses idées et sa verve, on a tendance à attribuer à l’interlocuteur des intentions qu’il n’a pas forcément. Du coup, je poursuivais sur un exemple plus récent, trop heureux de me dire en moi-même qu’il voulait en entendre davantage.

Dans la récente et terrible affaire Mohamed Merah, la tuerie de Toulouse, on parle aussi de complot. Sur le net, connu pour véhiculer le pire et le meilleur, certains restent persuadés que l’assassin est un agent manipulé par la droite ou le bouc émissaire de crimes perpétrés par des barbouzes pour faire monter les sondages favorables à Sarkozy (stratégie sécuritaire) et l’islamophobie. Mon Dieu, quelle tristesse intellectuelle, on trouve toujours les mêmes raccourcis, les mêmes raisonnements simplistes ! Si toutefois complot il y a, ce n’est, d’après moi, certainement pas celui auquel ces amateurs du Web pensent. Les services secrets du monde entier n’ont, en vérité, pas vraiment de scrupules, car pour eux la fin justifie les moyens. Peut-être ont-ils fait de ce jeune un agent double, un type appâté par l’argent facile qu’ils proposaient ou sur lequel des pressions ont été exercées. Ce paumé, à moitié voyou, probablement en manque de reconnaissance et en voie de radicalisation, confus dans sa tête, s’en serait donc allé au pays des Afghans pour espionner les Talibans. A son retour, le cerveau savonné par ses coreligionnaires, il n’aurait eu d’autre obsession que celle de se racheter une conduite auprès de ces derniers, qu’il devait initialement épier, et de se venger des autorités françaises, tel un chien fou se retournant contre son maitre. Un agent double, manipulé par les uns et les autres, mais qui finalement échappe et aux uns et aux autres. Qui sait ce que les services secrets français ont tenté de faire, à l’instar des Islamistes ? Qui sait, d’ailleurs, si d’autres services secrets (le Mossad, etc.) n’ont pas mis leur grain de sel avec pour résultat une cuisine explosive ? De-là à imaginer que la mort de Mohamed Merah arrange finalement  beaucoup de gens… pourquoi pas… Ce scénario ne me paraît pas plus absurde que les prétendues manigances d’une droite qui voudrait faire passer son candidat à n’importe quel prix. Bien au contraire, une affaire meurtrière de ce genre tombe très mal. Tôt ou tard, les choses finissent par se savoir, en partie au moins, et les rumeurs les plus folles alimentent des sentiments ambigus chez les futurs votants. Alors vois-tu petit Prince, comme l’écrivait le poète écossais Robert Burns : « Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas ». Personnellement, j’ajouterais : « ils peuvent même avoir des effets non désirés ! »

Enfin, tout content que j’étais de ma prestation orale, je dis au petit Prince que de complot je ne parlerai plus, sinon contre l’intelligence. Car la théorie du complot, ca empêche de penser aux enjeux actuels de société, aux relations entre les classes sociales et aux luttes à venir.

Changer les institutions pas les hommes

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Karl Marx est perché sur un tas de livres poussiéreux. Le Petit prince visite sa planète. La planète capital. Une drôle de planète. Elle croule sous les livres et les chiffres. Il y fait toujours nuit et seule une lampe fonctionne.

Le Petit Prince:

Dis moi Karl, comment changer les choses en France aujourd’hui? Et de grâce ne me parle pas de bourgeois et de prolétaires, ni de lutte des classes.

Karl Marx:

Hum, hum… Absurde, mais bon… Il faut une révolution par les idées ou une révolution par les faits. Les circonstances en décideront. Mais l’une accompagne ou précède souvent l’autre.

Le Petit Prince:

Moi je trouve ça cruel les révolutions. Du sang à boire à pleine coupe. Voilà ce qu’elles apportent.

Karl Marx:

La violence fait l’histoire.

Le Petit Prince:

Et une révolution pacifique c’est possible?

Karl Marx:

Je n’y croyais pas de mon temps. Mais c’est arrivé paraît-il. Au Portugal par exemple. Dans un siècle qui n’était plus le mien. Il existe aussi une voie à laquelle je ne crois pas: celle de la réforme politique.

Le Petit Prince:

Essaie juste d’y croire. Rien que pour s’amuser. Ca serait quoi pour toi une bonne réforme en France aujourd’hui?

Karl Marx:

Un homme politique américain du XXème siècle a dit, alors que j’étais mort depuis longtemps, qu’il ne faut pas compter changer les hommes, mais simplement chercher à améliorer les institutions. C’est çà la clef. Il est naïf de croire à la seule bonne volonté des personnes. Les grands principes et l’harmonie n’existent, par ailleurs, que dans les contes de fées. Les hommes font, certes, les institutions, mais les institutions font les hommes…

Il y a quelque chose que je ne pouvais pas deviner à l’époque où je vivais, c’est l’ampleur que l’Etat providence et, plus généralement, la bureaucratie allaient prendre dans le mode production capitaliste moderne et dans les rapports entre les classes. Grâce à cela, le capitalisme a pu survivre, jusqu’à présent, à ses contradictions. Dans mon oeuvre, je n’ai, d’ailleurs, regardé que les rapports de production pour comprendre ce dernier. De fait, j’ai négligé les rapports de consommation. Je n’ai pas abordé le système sous tous les angles. Si je vivais encore, je m’intéresserais sans doute aussi aux rapports de redistribution par le biais de l’Etat.

Enfin, ce que tu dois garder à l’esprit, c’est qu’aujourd’hui les sociétés riches sont bien plus que des modes de production capitalistes. Elles sont également d’immenses et très complexes bureaucraties!

Le Petit Prince:

C’est-à-dire?

Karl Marx:

En France, depuis quelques décennies, les hommes politiques changent de poste, gardent leurs habitudes, les programmes bénéficient de quelques innovations cosmétiques, mais les institutions demeurent telles quelles voire se complexifient. Et ce, quelles que soient les retouches fréquentes, officiellement destinées à les améliorer, dont elles sont l’objet. Au final, la bureaucratie prend de l’ampleur, elle a sa propre dynamique, ses intérêts catégoriels, ses contradictions internes et résiste aux actions de ceux qui voudraient changer les situations. La France est tenue par la complexité de son Etat bureaucratique, un peu comme l’était à un niveau infiniment plus important l’URSS, cet avatar manqué de ce qui fut mes rêves.

Le Petit Prince:

Que faire alors?

Karl Marx:

Si je croyais à la réforme, je te dirais qu’il faudrait transformer et simplifier les institutions. C’est un chantier en soi énorme, mais nécessaire. Repenser l’ Etat, sur des bases concrètes, opérationnelles et de bon sens, voilà le remède, plutôt que de l’entretenir dans sa propension à la sédimentation. Toutes ces institutions qui se recouvrent ou s’enchevêtrent, souvent en concurrence les unes avec les autres, n’engendrent finalement rien de bon, sinon un blocage général. C’est alors que le corps obèse et les membres multiples dirigent plus que la tête, s’affirment et se neutralisent au détriment d’un vrai changement. Les actions politiques finissent par s’y noyer. Les hommes politiques sont comme de pauvres timoniers incapables de manoeuvrer un navire trop lourd pour eux, surtout lorsqu’ils manquent de courage et de force. A la fin, ils n’ont qu’une seule idée en tête: faire carrière et durer, changer de poste comme on change de chemise.

Le Petit Prince:

Mince alors. C’est comme dans la légende grecque des écuries d’Augias. Une tâche herculéenne!

Karl Marx:

Oui. Il ne sert à rien de proposer de nouveaux candidats et des pseudo réformes, si les institutions demeurent comme elles sont. Tout changement révolutionnaire ou toute rupture politique réelle implique nécessairement une transformation profonde des institutions et sur des bases différentes. Or, je ne crois pas que ce soit ce que les candidats proposent de nos jours.

Le Petit Prince:

Hum… Bon, moi, il est vraiment temps que je parte pour une autre planète. Plus réjouissante. Au revoir Karl.

Karl Marx:

Je te comprends. La vérité fait souvent peur. Elle a souvent un goût amer. Au revoir Petit Prince.