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Changer les institutions pas les hommes

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Karl Marx est perché sur un tas de livres poussiéreux. Le Petit prince visite sa planète. La planète capital. Une drôle de planète. Elle croule sous les livres et les chiffres. Il y fait toujours nuit et seule une lampe fonctionne.

Le Petit Prince:

Dis moi Karl, comment changer les choses en France aujourd’hui? Et de grâce ne me parle pas de bourgeois et de prolétaires, ni de lutte des classes.

Karl Marx:

Hum, hum… Absurde, mais bon… Il faut une révolution par les idées ou une révolution par les faits. Les circonstances en décideront. Mais l’une accompagne ou précède souvent l’autre.

Le Petit Prince:

Moi je trouve ça cruel les révolutions. Du sang à boire à pleine coupe. Voilà ce qu’elles apportent.

Karl Marx:

La violence fait l’histoire.

Le Petit Prince:

Et une révolution pacifique c’est possible?

Karl Marx:

Je n’y croyais pas de mon temps. Mais c’est arrivé paraît-il. Au Portugal par exemple. Dans un siècle qui n’était plus le mien. Il existe aussi une voie à laquelle je ne crois pas: celle de la réforme politique.

Le Petit Prince:

Essaie juste d’y croire. Rien que pour s’amuser. Ca serait quoi pour toi une bonne réforme en France aujourd’hui?

Karl Marx:

Un homme politique américain du XXème siècle a dit, alors que j’étais mort depuis longtemps, qu’il ne faut pas compter changer les hommes, mais simplement chercher à améliorer les institutions. C’est çà la clef. Il est naïf de croire à la seule bonne volonté des personnes. Les grands principes et l’harmonie n’existent, par ailleurs, que dans les contes de fées. Les hommes font, certes, les institutions, mais les institutions font les hommes…

Il y a quelque chose que je ne pouvais pas deviner à l’époque où je vivais, c’est l’ampleur que l’Etat providence et, plus généralement, la bureaucratie allaient prendre dans le mode production capitaliste moderne et dans les rapports entre les classes. Grâce à cela, le capitalisme a pu survivre, jusqu’à présent, à ses contradictions. Dans mon oeuvre, je n’ai, d’ailleurs, regardé que les rapports de production pour comprendre ce dernier. De fait, j’ai négligé les rapports de consommation. Je n’ai pas abordé le système sous tous les angles. Si je vivais encore, je m’intéresserais sans doute aussi aux rapports de redistribution par le biais de l’Etat.

Enfin, ce que tu dois garder à l’esprit, c’est qu’aujourd’hui les sociétés riches sont bien plus que des modes de production capitalistes. Elles sont également d’immenses et très complexes bureaucraties!

Le Petit Prince:

C’est-à-dire?

Karl Marx:

En France, depuis quelques décennies, les hommes politiques changent de poste, gardent leurs habitudes, les programmes bénéficient de quelques innovations cosmétiques, mais les institutions demeurent telles quelles voire se complexifient. Et ce, quelles que soient les retouches fréquentes, officiellement destinées à les améliorer, dont elles sont l’objet. Au final, la bureaucratie prend de l’ampleur, elle a sa propre dynamique, ses intérêts catégoriels, ses contradictions internes et résiste aux actions de ceux qui voudraient changer les situations. La France est tenue par la complexité de son Etat bureaucratique, un peu comme l’était à un niveau infiniment plus important l’URSS, cet avatar manqué de ce qui fut mes rêves.

Le Petit Prince:

Que faire alors?

Karl Marx:

Si je croyais à la réforme, je te dirais qu’il faudrait transformer et simplifier les institutions. C’est un chantier en soi énorme, mais nécessaire. Repenser l’ Etat, sur des bases concrètes, opérationnelles et de bon sens, voilà le remède, plutôt que de l’entretenir dans sa propension à la sédimentation. Toutes ces institutions qui se recouvrent ou s’enchevêtrent, souvent en concurrence les unes avec les autres, n’engendrent finalement rien de bon, sinon un blocage général. C’est alors que le corps obèse et les membres multiples dirigent plus que la tête, s’affirment et se neutralisent au détriment d’un vrai changement. Les actions politiques finissent par s’y noyer. Les hommes politiques sont comme de pauvres timoniers incapables de manoeuvrer un navire trop lourd pour eux, surtout lorsqu’ils manquent de courage et de force. A la fin, ils n’ont qu’une seule idée en tête: faire carrière et durer, changer de poste comme on change de chemise.

Le Petit Prince:

Mince alors. C’est comme dans la légende grecque des écuries d’Augias. Une tâche herculéenne!

Karl Marx:

Oui. Il ne sert à rien de proposer de nouveaux candidats et des pseudo réformes, si les institutions demeurent comme elles sont. Tout changement révolutionnaire ou toute rupture politique réelle implique nécessairement une transformation profonde des institutions et sur des bases différentes. Or, je ne crois pas que ce soit ce que les candidats proposent de nos jours.

Le Petit Prince:

Hum… Bon, moi, il est vraiment temps que je parte pour une autre planète. Plus réjouissante. Au revoir Karl.

Karl Marx:

Je te comprends. La vérité fait souvent peur. Elle a souvent un goût amer. Au revoir Petit Prince.