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Journal de Christobal: Quand les migrants parlent des migrants

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Fin de journée. J’ai la tête vidée comme œuf creux. Recevoir du monde au guichet ca finit par faire de vous un automate. Et puis les prises de bec ponctuelles et les explications ressassées, ca fatigue nerveusement. Je décide d’aller faire quelques barres au petit parc. Histoire de m’oxygéner un brin. Un jeune gars sautille, s’accroche parfois aux barres et jette maladroitement ses jambes en l’air pour donner des coups de pieds. En T-shirt qu’il est vêtu le bougre. L’a posé son blouson plus loin. Il fait froid pourtant. Il ne suit aucun programme d’entrainement et ne connaît des arts martiaux que ce qu’il a vu faire par de vrais pratiquants. Il me fait penser à un jeune chiot fougueux qui dépense son énergie par des bonds désordonnés, de brusques ruades et des chorégraphies sans nom. Entre deux phases de congestion musculaire je lui adresse la parole. C’est un Afghan. Un Tadjik d’Afghanistan pour tout dire. Il parle le dari (persan) et se débrouille plutôt bien en français. Il dit avoir 18 ans, mais fait bien plus que son âge, comme tous les migrants afghans que j’ai déjà croisés. Je le questionne sur son parcours, ce qu’il fait à Paris, etc.

Moi, les gens qui viennent de loin, dorment dans la rue ou dans des hôtels miteux, ca m’a toujours intéressé. Il y a, dans une ville comme Paris, en bas de chez soi, tout un monde qu’on ignore souvent. Il suffit pourtant d’être un peu attentif, par-delà nos routines ordinaires, pour découvrir que la vie sociale est comme une poupée en gigogne. Imaginez que vous marchez dans un jardin. Sous vos pieds, il y a un univers infiniment petit qui grouille. Des espèces animales et végétales coexistent, coopèrent et se tuent, tandis que la nature opère. Mais vous n’en savez rien. Enfin, je veux dire, vous êtes conscient que tout cela existe, mais vous n’en voyez jamais rien, à moins de vous arrêter un instant, une loupe à la main. Faut une sacrée curiosité pour ça. Dans la rue, c’est un peu la même chose, et derrière les façades des immeubles également. Ceux qui ont lu La vie, mode d’emploi de Georges Perec savent de quoi je veux parler.

Le jeune Afghan, il discute de sport, il s’efforce de maigrir et souhaite endurcir ses abdos. Il dit aimer le Tae kwon do, un art martial d’origine coréenne. Ce fut, d’ailleurs, le premier art de castagne que je pratiquais adolescent. La boxe suivit plus tard… Il me parle aussi de la demande d’asile. Il vient d’avoir sa majorité. Que faire ? Il sollicite quelques conseils. Est-ce que l’asile ca vaut le coup ? Qu’est-ce que ca apporte ? Etc. Il connaît Bordeaux et à vécu un temps là-bas, depuis son arrivée en France. Mais Paris, c’est nouveau pour lui, apparemment. La discussion ronronne, seulement interrompue par l’exercice. Et puis soudain, ces quelques phrases, lâchées tranquillement :

–        Tu es Français ?

–        Oui. Je suis né ici.

Un ange passe très vite. Faut dire que juste avant un rebeu et un jeune franco-asiatique s’entraînaient en sa présence. Ils se sont, d’ailleurs, dit au revoir. Une politesse de sportifs. Mais il vérifie malgré tout à qui il a affaire. Sait-on jamais. Il s’assure que le p’tit brun avec le teint un peu hâlé en face de lui, c’est-à-dire moi, ne vient pas d’un autre pays (les gènes espagnols et pieds-noirs, ca laisse quelques trâces morphologiques, même si l’on est frenchie).

–        Paris j’aime pas. Y a trop d’étrangers. Des Noirs, des Maghrébins, des Chinois… Y a pas de Français ici. J’aime bien la province pour çà. Y a des Français. Et puis en province la vie est plus tranquille.

A chacun sa carte postale.

–        Et l’asile tu vas le demander ?

–        Oui. Qu’est-ce qui se passe si on n’a pas l’asile ?

–        (Cette question m’étonne). En théorie tu dois quitter la France.

–        Ca sert à rien alors de rester 2 ans en France pour repartir ensuite. Je préfère qu’on me dise non de suite. Ailleurs, c’est plus rapide, t’attends pas comme ça. D’autres Afghans m’ont expliqué.

Il finit par me saluer. Je termine ma séance de sport et je traverse la rue pour m’en jeter un p’tit dans le gosier. Après l’effort, le réconfort. Dans le bistrot un peu rétro où je pose mes fesses, il fait bon vivre. La lumière et les nappes à carreaux font très vieille France. Ca c’est un truc pour les touristes, en plus des gens du quartier, que je pense. Un sympathique attrape-flâneurs ou un miroir aux émissaires des guides de voyage qui distribuent les bons points et font la réputation d’une adresse. Pourtant, le bar se veut discret. En bref, c’est un endroit qui fait son beurre sans être envahi par des êtres venus d’ailleurs photographier tout ce qui bouge.

Je goûte une liqueur de prune. Faut c’qui faut ! Suis pas là pour faire la mauviette, même si cela ne se marie guère avec le sport. Du sang vietnamien, cambodgien et thaïlandais coule dans les veines du serveur né en France. Quant au cuisinier, il est bengali. On taille une bavette, avant qu’il ne cuisine de nouveau pour les clients. On parle de la demande d’asile. Lui aussi tient un discours cauchemardesque pour les antiracistes et les défenseurs d’une France terre d’asile. Son français s’avère très approximatif, mais malgré la liqueur de prune je m’accroche.

« Les Bengalis ils demandent l’asile, mais personne n’a là-bas de problème. Ils viennent juste pour bosser. Faut de l’argent pour arriver jusqu’ici. Ce sont les riches qui viennent et ils travaillent pour rembourser. »

Bigre, il ne fait pas dans la dentelle, le jeune gars, que je me dis.

« Ils restent 5 ans, 10 ans, et puis ils rentrent au pays. L’asile en France ca dure. C’est pour cela qu’ils viennent. Après l’Ofpra, y a la CNDA. Et puis après y a encore un recours possible[1]. Ils continuent pour gagner du temps et pour l’argent de l’allocation[2]. Mais bientôt ca c’est fini! »

Intéressé, je le questionne sur lui-même. Sa femme est française. Il a un enfant ou bien ca va se faire bientôt, je ne sais plus. Arrivé il y a 2-3 ans, il pense s’établir du fait de sa situation maritale. Pour lui, les Bengalis débarquent à Paris parce qu’ils peuvent facilement y rester (« y a pas de contrôle ! ») et parce que l’expérience professionnelle acquise en France leur apporte un certain prestige de retour au pays.

« Sarkozy, il est mal vu ici, mais il a raison pour l’immigration. Quand je vois ce qui se passe et que les Français ils ont du mal à avoir du travail, je me dis : la France elle est folle ! Si ca continue, la France elle va devenir comme l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Y aura plus de travail. Les Français y resteront dehors. »

Dans le fond, je trouve ca rigolo de voir comme les migrants parlent différemment quand on n’a pas l’étiquette d’un travailleur social. Cela m’évoque même quelques souvenirs infantiles. Votre mère vous amène chez le docteur, car de nos jours, et même de mon temps, à savoir il n’y a pas si longtemps, une bonne mère vous emmène forcément chez le docteur pour un oui, pour un non. Mieux vaut mourir d’une overdose de cachets que d’attraper une mauvaise grippe ! Enfin, bref, vous vous retrouvez là, penaud, devant le toubib. Pourtant, il y a un quart d’heure seulement, c’était la dévastation nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki confondues dans votre pauvre ventre souffrant. Mais là, va savoir pourquoi, vous vous sentez beaucoup mieux. Alors, le docteur Knock, il vous ausculte. Forcément, pour ne pas avoir l’air trop con vous faîtes « ouille ! », plus que vous n’avez réellement mal. Il arrive même que l’Hippocrate médecin ne soit pas vraiment dupe. Vous le devinez. Entre comédiens, de toute façon, on finit toujours par s’entendre. Du moment que cela rassure la gentille maman, que faudrait-il de plus ?

Mais revenons à nos migrants. Certes, l’immigration ca ne se résume pas à quelques propos ou points de vue évoqués par quelques isolés et dont on ne connaît pas vraiment, d’ailleurs, les intentions cachées. C’est bien plutôt une variété de situations, dont certaines versent dans la précarité ou la tragédie, et d’opinions qui peuvent changer au fil du temps chez les principaux intéressés. En outre, si certains feraient pâlir, par leurs propos, ceux qui pensent bien – les bonnes gens des temps modernes – d’autres tiennent le discours revendicatif en vogue des ex colonisés qui estiment que la France leur doit tout et s’avère l’unique responsable de leurs malheurs.

Finalement, je me dis que j’en apprends plus sur les questions migratoires dans la rue que de la bouche de certains experts ou professionnels quotidiennement en contact avec les migrants.

Je me lève de mon tabouret. J’ai pas sur moi l’argent pour un autre verre. Un instant auparavant, un sympathique Tamoul est entré avec un visage souriant. Il vend des roses rouges à l’unité. Malheureusement pour lui, il n’y a pas, ce soir, de couples et de dîners romantiques.


[1] Après un rejet de l’appel par la Cour nationale du droit d’asile, il est possible de demander un réexamen du dossier. Il faut cependant apporter des éléments nouveaux. Cela n’est donc pas systématique, ni hyper fréquent, contrairement à la procédure d’appel suite au rejet de la demande d’asile par l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides. La procédure lambda (première décision + appel) dure souvent entre une et deux années. Parfois plus, bien plus… Personnellement, je vois souvent passer à mon guichet des personnes venues réclamer, une fois les recours épuisés, une attestation spécifique pour déposer une demande d’aide médicale d’Etat (réservée notamment aux « sans papiers »). Ceux-là, en situation irrégulière, ne partiront pas.

[2] Allocation temporaire d’attente dont bénéficient les demandeurs d’asile non pris en charge dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, le temps que leur demande d’asile soit traitée (jusqu’au rejet final). A noter que depuis peu le Bengladesh est considéré comme un pays sûr, autrement dit les Bengalis font désormais l’objet d’une procédure de traitement et de rejet accélérée par l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides. Cette nouveauté est censée raccourcir la durée de la demande d’asile et donc de perception de l’ATA.

Journal de Christobal: Les Chinois, les Bengalis, etc., et nous, et nous et nous…

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« C’est bon ? », « Mèçi ! ». Sont drôles les Chinois arrivés de leur bled quand je les reçois et qu’ils me jettent au visage quelques mots en français mal articulés. Là où je taffe en ce moment, j’en vois passer par wagon entier. Venus en France officiellement pour demander l’asile. Dans les faits, la plupart travaillent et/ou rejoignent de la famille. La diaspora a ses réseaux que la raison… et l’Etat n’ignorent pas. Je me contente d’actualiser leur situation et de prendre les justificatifs nécessaires à l’obtention d’une allocation spécifique, d’environ 320 euros par mois, qu’ils percevront le temps que leur demande d’asile soit traitée (y compris en appel). Une sorte de travail à la chaine pour moi. Les demandeurs d’asile défilent à mon comptoir comme de la marchandise, avec des questions et des gestes répétitifs auxquels je réponds de manière très souvent stéréotypée. Voilà ce que je fais toute la journée, en plus de manipulations informatiques codifiées.

Les Chinois, y parlent pas ou très peu. Ils contestent rarement, même quand des collègues impatients les engueulent ou leur donnent des réponses qui ne les satisfont pas. Ils sourient plutôt, bredouillent parfois quelques mots et tendent leurs papiers. Beaucoup ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Faut être vigilant. J’en ai vu s’en aller avant que j’ai pu leur rendre leurs documents ou bien avant que je ne leur remette en main propre l’attestation qu’ils sont venus chercher. Ceux-là ne savent pas vraiment pourquoi ils viennent me voir, sinon pour s’acquitter de mystérieuses formalités administratives permettant le versement d’une allocation et l’obtention d’une couverture médicale (CMU ou AME lorsqu’ils se retrouvent en situation irrégulière sur le sol français). Y en a de toutes les sortes. Jeunes, vieux, hommes, femmes, couples. Des visages lisses comme de la cire et des faces burinées. Des jeunes femmes, dont la tenue aguicheuse et le maquillage laissent à penser qu’on les retrouvera sur les trottoirs de Belleville ou dans quelque salon de massage plus ou moins interlope ; des gens miteux, qui sentent la mauvaise hygiène et les conditions de vie précaires, complètement paumés, limite apeurés et abrutis, venus de coins perdus de l’empire du milieu ; de fraîches jeunes filles et des jeunes hommes propres sur eux ; ou bien encore de probables grands-parents qui se présentent accompagnés… La plupart sont domiciliés auprès de la même association. Fondée par un Chinois paraît-il. La seule à Paris qui fait payer aux migrants, chinois et autres, l’adresse postale et la réception du courrier. La diaspora a le sens des affaires.

La demande d’asile en France, actuellement elle concerne beaucoup les Chinois et les Bengalis, même si les Africains et les Russes s’avèrent également nombreux. Suffit, d’ailleurs, de regarder les chiffres de l’OFPRA pour s’en faire une idée. Les Chinois sont quasi assurés de ne jamais être reconnus réfugié. Pourtant, ils viennent quand même. Les Bengalis aussi. Z’ont beaucoup plus de chance, ces derniers en revanche, d’obtenir le sésame de l’asile politique. Mais, tout comme leurs frères migrants asiatiques, ils sont là pour bosser. Ils sentent parfois fortement le poulet tandoori. Le travail en cuisine ca laisse des traces odorantes, surtout les épices, si on n’a pas eu le temps de prendre une douche. Je le sais, ma mère elle a bossé 25 ans en cuisine à s’y casser l’échine. Je me rappelle encore les odeurs quand elle arrivait à la maison et m’embrassait. Comme la madeleine de Proust, ca favorise les réminiscences. En moins poétique cependant.

Qu’est-ce qu’ils baratinent les Bengalis ! De vrais anxieux, de vrais marchands de tapis. Il faut leur répéter plusieurs fois la même chose. Ils veulent des photocopies pour tout. Ils insistent. Avec eux on peut parler en anglais, en mauvais anglais je veux dire (le mien comme le leur). Souvent quand ils me tendent leur récépissé de titre de séjour, j’y lis les commentaires de la police ou de la gendarmerie : « vendeur à la sauvette, pris le… ». Enfin, pas tous. Ils ne se font pas avoir à chaque fois. Et pi y a la restauration où les contrôles sont moins fréquents. Mais pour les récidivistes, les commentaires peuvent être acerbes : « Penser à le buter ! ». Pas toujours très sympathiques les flics.

Au fond, l’allocation temporaire d’attente (ATA), dont bénéficient les demandeurs d’asile en stand by et non pris en charge dans des centres d’hébergement spécifiques (en fait, les plus nombreux), c’est un peu le RMI, ou plutôt le RSA, du tiers monde et des pays émergents. Un tribut que la France paie à la mondialisation et aussi à la misère étrangère venue tenter sa chance avec un système relativement généreux. Ca lui coûte quelques dizaines de millions d’euros par an (une cinquantaine en 2008 par exemple). Y a pire comme dépense. M’enfin ca n’est pas rien non plus[1]. Bien sûr, des raisons politiques à la fuite vers la France, sans doute il y en a aussi. Pas facile, pour autant, de faire la part des choses. Quand on voit défiler des gens, en provenance de tous les horizons, y compris des USA, d’Israël, du Brésil et même de Norvège, on finit par se poser des questions. Certes, ces cas sont exceptionnels. Reste que l’importance des Chinois et des Bengalis dans la demande d’asile ne se suffit pas d’une explication qui attribue à la dureté des régimes en place et des persécutions individualisées la venue au pays des droits de l’homme. Heureusement, cela fait vivre le monde associatif, ainsi qu’une certaine bureaucratie nationale et européenne. Y a pas que le travail au noir qui en profite. Faut bien des emplois publics ou subventionnés pour les classes moyennes ayant une formation juridique ou généraliste…

Dans notre beau pays, si fier de ses valeurs, l’exploitation de l’homme migrant par l’homme tout court, elle est bien réelle. On la devine sans peine. Là où je bosse, maintenant on reste sur nos gardes. On fait gaffe aux procurations pour les RIB. Trop de trafic, trop de « magouilles » comme disent mes collègues. Quand on cherche, on finit toujours par trouver. En cherchant bien on a trouvé des cas de personnes bénéficiant de multiples procurations, sur Paris et même dans le reste de la France. Un unique compte bancaire pour percevoir l’ATA des autres ! Des « rançonniers » au pays des chansonniers. Enfin, je veux dire des rançonneurs. Sans compter ceux qui louent leur boite aux lettres à leurs compatriotes. L’immigration ca paie toujours, ca rapporte, des petits profits comme des grands. Une partie du commerce chinois et bengali, voire tamoul, implanté en France fonctionne grâce à cette main d’œuvre venue d’ailleurs (vente au détail, à la sauvette, restauration, confection…).  Les patrons issus d’autres communautés sont aussi de la fête! Dans mon quartier, je connais au moins 2 commerçants, un Egyptien et un « Français bien de chez nous », qui emploient un migrant bengali ou tamoul pour 30 euros la journée de 10 heures… Une main d’œuvre subventionnée par l’ATA et le manque à gagner de l’URSSAF. Qui a dit qu’ici on décourage la libre entreprise![2]

« Pourquoi êtes-vous venu en France ? », que je demande un de ces jours à un sympathique Chinois. Il parlait un peu le français, cela me surprenait. Il est vrai que ce brave homme avait vécu plusieurs années en Afrique de l’Ouest. Du coup, la langue de Molière, il avait appris à la bredouiller au contact de la population locale francophone. Ce travailleur itinérant, au visage marqué, me répondit alors, un peu gêné : « Il y a beaucoup de monde en Chine. » Cette phrase claqua à mes oreilles comme un long fouet. Sur le point de crier « Eurêka ! » je fus même, tant elle me chamboula les neurones un bref instant. La Chine, future superpuissance, ne parvenait pas, en dépit d’un taux de croissance de 9% par an, à occuper toute sa main d’oeuvre pauvre. Qu’à cela ne tienne ! La diaspora y pourvoira et le reste du monde également ! L’interdépendance et l’hypocrisie réciproque entre les pays m’apparurent soudainement. J’en voyais les conséquences concrètes. Là, juste devant moi. Incarnées par cet homme dont le labeur avait durci la peau.

Les relations entre l’Occident et la Chine, c’est un peu comme le jeu de la barbichette. Je te tiens, tu me tiens, le premier de nous deux qui rira aura une tapette. Tandis que les Etats-Unis renflouent leur déficit budgétaire avec l’argent des Chinois, ces derniers vendent leurs produits manufacturés bon marché grâce à un yuan sous évalué et un coût de la main d’œuvre défiant toute concurrence… pour les pays riches. L’Europe et la France ne sont pas en reste. On achète aussi  leurs produits à bas prix, ayant renoncé à une partie de notre industrie, on aimerait qu’ils rachètent davantage de notre dette, et on accueille des flux importants de leurs ressortissants, dans une sorte de colonisation à l’envers (comme avec le reste de l’immigration). Ces Chinois de Chine font vivre et enrichissent, ainsi que je l’ai dit, une partie de la diaspora. Faut bien ça, non ? Un échange de bons procédés au sein d’une internationale des exploiteurs petits et grands, cyniques ou ignorants, avec ou sans (bonne) conscience. Nos grandes entreprises délocalisent en Chine et exigent des travailleurs locaux qu’ils triment comme des bêtes de somme pour leur plus grand profit à elles, tandis que la Chine exporte chez nous jusqu’à son surplus de main d’œuvre. Et pi on trouve toujours quelques avantages à cette instrumentalisation mutuelle. C’est lors d’une réunion collective avec le directeur adjoint de l’agence locale dans laquelle je travaille que je l’ai compris. Il évoquait des questions budgétaires. Paraît que toutes les fournitures commandées sont made in China car faut faire des économies. Marrant. Quand j’ai vu la direction régionale de la boite, c’est pas le mot « économie » qui m’est tout de suite venu à l’esprit. De même, quand j’ai appris l’existence d’un 14ème mois de salaire (soit, avec le 13ème mois, deux fois par an un double salaire) et la prise en charge à 100%  du salaire, sans délai de carence, des arrêts maladie – souvent répandus, voire prolongés, d’après ce que je vois et j’entends – grâce une généreuse convention collective, le mot « économie » ne s’est toujours pas imposé à moi. Si certains collègues, forts de leurs 10-15 ans d’ancienneté et d’un bon coefficient, ont obtenu un 14ème mois à près de 5000 euros, j’ose à peine imaginer ce qu’il en est pour les cadres avec de la bouteille et pour les dirigeants. Heureusement, le made in China est là pour rogner sur les dépenses excessives. Du haut de mon CDD mal payé, je respire. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui rira…


[1] Cela concerne la seule ATA. Estimer les dépenses liées directement à l’asile signifie, en effet, de prendre aussi en compte d’autres coûts: celui de l’hébergement dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, celui de l’allocation que les personnes hébergées reçoivent en sus de leur prise en charge (moins élevée que l’ATA cependant), celui du traitement juridico-bureaucratique de l’asile et, enfin, celui de la couverture sociale.

[2] Certains migrants savent cependant se débrouiller; d’autant que les situations personnelles sont variées. Un Africain travaillait, par exemple, pour une entreprise de nettoyage et percevait mensuellement 1200 euros nets par mois. Avec l’ATA son revenu s’élevait ainsi à près de 1500 euros. L’équivalent du salaire médian en France. Quand il réalisa l’ampleur de sa bévue – révéler à un collègue sa situation – il devint agressif et plus jamais ne reparut. Le versement de son ATA fut bloqué.