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Journal de Christobal: Ca vous gratouille ou ca vous chatouille ?

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C’était au mois de juin, il m’en souvient, je terminais ma classe de 6ème. Le programme scolaire bouclé, les profs devaient tenir la marmaille adolescente, celle que les hormones et les pulsions assaillent. Nos éducateurs avaient donc décidé d’organiser une grande représentation théâtrale. Fallait bien encourager les élèves à ne pas déserter l’école avant le 28 ou 30 juin. Des petits jusqu’au grands, il était question que tous participent. Chacun avec une fonction bien précise : qui devenait acteur, qui metteur en scène, qui s’occupait des décors, etc. 3 semaines, environ, suffisaient à mettre en place le spectacle. Belle prouesse d’organisation, en vérité, mais plus ou moins enthousiaste. Malgré l’aspect ludique et novateur de l’entreprise, certains avaient déserté, au moins partiellement, les couloirs et les salles de classe transformés pour l’occasion en annexe du cours Florent. Même les menaces d’avertissement du principal semblaient vaines face à l’appel du soleil. Et dans ma ville natale, Dieu sait qu’il tape fort et aguiche jusqu’aux âmes les plus insensibles. Fin juin cependant, le pari avait été tenu. Presque tous les élèves de ce charmant collège pouvaient se sentir fier d’avoir organisé et joué le fameux Docteur Knock. Ma contribution de l’époque s’avérait, faut bien le dire, assez modeste : je n’étais que costumier, ou plutôt « couscous-tumier », comme disait un camarade taquin. Point de gloire sur les planches. Pas grave, la tchatche et la Commedia dell’arte, je l’apprenais plus tard. Au sein d’une autre école. Celle du bitume.

Docteur Knock, du sieur Jules Romains, voilà un nom que je trouvais bizarre. A l’aube des grandes vacances, les oreilles encore vertes, je n’avais, de la pièce, retenu que quelques citations, surtout préoccupé par les jours de loisir imminents. Le fond m’échappait complètement. De même que je ne saisissais guère la subtilité du célèbre « est-ce que ca vous gratouille ou est-ce que ca vous chatouille ? »

Jules Romains compte pourtant, dans la lignée du sieur Molière, et ce malgré certains choix politiques selon moi très discutables, parmi ces hommes dont le regard acéré perce le front de leur époque. Que dis-je, avec sa pièce satirique, Jules Romains a fait, à sa façon, œuvre de lettré visionnaire. Il avait bien saisi, tout comme Molière, les dérives auxquelles l’abus de médecine et l’appât du gain peuvent mener. Depuis 30 ans au moins, en France, nous y sommes jusqu’au cou.

Notre système de santé l’un des meilleurs au monde ? Certes, pour qui veut y croire et surtout ne pas voir… Des anecdotes à ce sujet, à la pelle j’en ai, je pourrais en compter jusqu’à plus soif, pour donner à bien des rapports, des études ou des enquêtes, dont la presse ne fait pas trop la pub, un peu de couleur du vivant. Les chiffres et les écrits « objectifs », ca n’est, en effet, pas vraiment folichon. Et pi là d’où je viens, on aime bien raconter les histoires, un peu à la manière des griots africains, les maîtres de la parole, mais dans un autre genre bien sûr.

Ca avait commencé par une boule entre les omoplates, juste au bas de ma nuque. Rien de grave, un kyste de sébum. Un truc courant. Ca gonfle et ca dégonfle, au gré de ses humeurs inflammatoires. Le kyste n’était pas trop visible en outre. Je l’ai gardé 2 ans. A la fin on s’attache… Pourtant, avec mon sport, ca me posait problème. Toujours un type prêt à m’étrangler ou à me tordre le cou. Ca frotte, ca serre, et à la fin le kyste il s’énerve… Faut pas le chatouiller. Je décidais de m’en débarrasser. C’en était fait de lui. Après tout, l’était venu sur moi sans s’inviter…

Je savais que Paris tendait à inspirer chez de nombreux médecins la tendance au dépassement d’honoraires légal ou illicite. Y a des fortunes dans la capitale, également des gens aisés prêts à payer très cher pour le meilleur et pour le pire dans la préservation de leur petite santé, cela n’a donc rien d’étonnant. Mais ce genre de pratique se retrouve aussi dans les quartiers populaires. De fait, je filais droit vers un centre de soins public, un peu dans le genre dispensaire. Moi ce que je voulais, c’est pas une superstar ou un docteur déterminé à me flatter ou à me chouchouter, non, je désirais une piqûre pour endormir la zone, un coup de bistouri et 2 points de suture. Rien de luxueux. Le tout en cabinet. Ca suffisait largement. Il a fallu 4 mois. Une erreur d’orientation vous fait perdre 2 mois très vite. Ce genre d’institution est, à la manière anglo-saxonne, très souvent surbookée. Malheur au RDV manqué par votre faute ou celle du personnel.

Le jour J une dermatologue me reçoit. On négocie. Ôter ce kyste prendra une demi-heure. Or, c’est l’été, il y a du monde, les RDV ne doivent pas excéder ¼ d’heure. On consulte ici, l’été, monsieur, on « n’opère » pas. Je râle, ca fait 2 fois qu’on m’éconduit, si je pouvais le faire je percerais moi-même ce kyste avec une aiguille chauffée à blanc, mais pas facile car situé dans le dos, etc. La doctoresse cède. Ok. « Attendez, me dit-elle, je vous prendrai entre 2 patients. » Je reviens dans son cabinet un peu plus tard. Avant le coup de canif, on discute à nouveau. J’explique pourquoi je suis ici : les dépassements d’honoraires souvent. L’été du côté des dentistes c’est encore pire. Je me souviens d’un ex collègue de travail flanqué d’un abcès. Une dizaine d’appels infructueux plus tard – pour cause d’absence de praticiens liée aux départs en vacances, « tous » au même moment, ou du fait de tarifs prohibitifs en dehors du remboursement assuré par la couverture médicale – il n’a dû son salut buccal qu’au conseil salutaire de la pharmacienne de quartier. « Ne cherchez plus, je connais un vieux dentiste qui prend le tarif conventionnel et vous recevra ». Ouf, l’avait trouvé la perle rare.

Bref, ma dermato du moment, elle écoute ce que je dis, je ne veux pas de dépassement, je veux du simple, de la médecine authentique comme de la bonne cuisine. Pas de chichi. Alors elle m’explique pourquoi ce n’est pas évident de tomber, dans le privé, sur un spécialiste qui respecte le tarif et accepte de porter dans mon dos ce coup de lame bénin. Il y en a, certes. Mais pas autant qu’on voudrait bien le croire. « C’est un acte rémunéré 30 euros d’après le barème fixé par la sécurité sociale. Ce type d’intervention prend environ une demi-heure. Or, en une demi-heure on peut faire 2 consultations. Cela n’est donc pas très rentable. C’est pourquoi certains dépassent. Et comme il y a beaucoup de médecins sur Paris, ceux qui n’ont pas le sens du service public peuvent se permettre de refuser ce type d’acte. » Merveilleux ! Quand on sait ce que le système de santé coûte au pays ! J’ai aimé la franchise de cette femme. L’a fait du bon boulot aussi. Je les ai enfin eus, mes 2 points de sutures. Ce genre de couture, je connaissais d’ailleurs. Faut du doigté. Un interne africain très doué m’en avait posé 5 sur l’arcade sourcilière gauche, un soir de semaine aux urgences d’un hôpital de banlieue, il y a 5 ans déjà. La cicatrice n’est quasiment pas visible. Et je l’en remercie encore.

Après les dépassements, y a les dessous de table. Surtout, ne pas les oublier ceux-là. Aujourd’hui, les chirurgiens en demandent fréquemment. Ils ne sont pas compris dans le ticket modérateur. Cette habitude n’est en rien systématique – certains chirurgiens n’y cèdent jamais – mais il n’y a que le Conseil de l’Ordre pour clamer qu’elle s’avère exceptionnelle ou qu’il s’agit d’un abus perpétré par quelques galeuses brebis. La vénérable institution souffre, en effet, depuis longtemps déjà, d’une sévère myopie. Je lui conseillerais bien un ophtalmologiste, sans dépassement d’honoraires, mais j’aurais peur de paraître un tantinet déplacé…

La dernière fois que j’ai été confronté à cette logique des dessous de table, ce fut indirectement. Par le biais de ma mère. Son dos tordu, à force de mauvaises habitudes dans le maintien et parce qu’elle passa son temps à briser son échine dans les cuisines et à servir des petits déjeuners aux retraités, nécessitait une intervention lourde de toute urgence. Le bistouri ou la canne à court terme. Pas vraiment de choix cornélien. 2 spécialistes furent consultés. Des RDV pris à l’avance. Etc. Moi, voir plusieurs médecins, j’étais contre. On dit que 2 avis valent mieux qu’un. C’est parfois vrai, c’est parfois faux aussi. Les 2 praticiens prenaient des dessous de table. Pour l’un, il faut le dire, cela variait suivant les patients. Celui qui, finalement, opéra ma mère une seconde fois – la première opération effectuée par l’autre chirurgien ayant échoué – estimait, apparemment, qu’un ex agent de service, autrement dit une ex ouvrière, avait de quoi allonger la monnaie… Il demanda 1000 euros de dessous de table. Quelques bijoux de famille furent vendus pour l’occasion. Sont pas malheureux mes parents, généreux même, mais ils ne disposent pas d’une retraite faramineuse. A l’heure où certains vendent les objets hérités pour racheter de l’or de peur de perdre leurs économies, on ne sait jamais sur quoi la crise de la dette peut déboucher après tout, mes parents soldaient quelques babioles pour financer un second tour sur le billard…

A quoi sert-il alors, ce prodigieux système de soins, qui s’enorgueillit de sa CMU et de son AME, si une partie des patients, pas les plus exigeants et pas les plus nantis non plus, en viennent à faire leurs fonds de tiroir pour financer les soins dont ils ont réellement besoin ? L’assurance maladie est, en France, un système bizarre, une vache à lait pour les uns, pauvres et riches, une mère avare, voire injuste, pour les autres, pauvres et riches également, mais pas souvent les mêmes, bien entendu. Un bateau ivre qui file cahin-caha vers le naufrage. Mieux vaut donc s’en passer quand on peut. Mon père, lui, vieux roublard, il en a fait l’expérience. « Le voisin du dessus fiston, il est prothésiste dentaire. Il m’a refait mon appareil pour 600 euros seulement. Sans passer par le dentiste. » Surpris, je demandai : « Et la sécurité sociale ? » Imperturbable, mon père me rétorqua : « j’ai fait un calcul. Par la voie normale, l’appareil coûte 1200 euros, une partie revient au dentiste. J’y suis de 800 euros de ma poche. La sécu ne couvre pas grand chose, et ma mutuelle non plus. » Dans ces conditions, effectivement, payer directement le voisin et s’arranger avec lui s’avère une option bien meilleure… On trinquera à la santé du système de soins plus tard. En attendant, on s’adapte.

Les combines, les escroqueries à la sécu, comme on dit vulgairement, les abus, bon sang j’en ai vu un paquet ! Un pote bossait dans une PME spécialisée dans la location de matériel médical, un autre fut ambulancier pendant quelques années, un autre enfin exerça, à son grand désarroi, le métier de visiteur médical. Tous dans le sud de la France. Leurs expériences fourmillent de pratiques et de situations éloquentes. Médecins, autres professionnels de la santé, patients, partout des gens profitent sciemment ou même sans le savoir, c’est l’orgie financière du gaspillage organisé, avec l’argent de la collectivité, le grand pillage pour le plus grand bonheur des marchés financiers qui nous prêtent, mais commencent à s’en inquiéter néanmoins. 

S’attaquer à ces dérives, vous n’y pensez pas ! Avec le nombre de médecins à l’Assemblée nationale, la population qui vieillit et la peur des parents pour les enfants en bas âge – on a une bonne natalité – cela revient au suicide politique, assisté celui-ci. Des chevaliers blancs, des courageux et des lucides s’y sont cassés les dents.

Z’ont bien raison les Suédois. Il y a quelques années, leur système prenait l’eau. A présent, ils ont une médecine d’Etat performante. Pas de paiement à l’acte, pas de système semi-privé. Des médecins en moyenne mieux payés, pas harcelés, et qui de leur art ne font plus le commerce. De quoi en finir, en vérité, avec les inégalités de revenus scandaleuses dans cette profession, telles qu’elles existent au pays des Gaulois. Les patients sont mis au pas. Là-bas, point de clients capricieux, élevés au petit lait de la consommation médicale. On ne consulte pas pour rien. On passe d’abord par un système de filtrage. On s’adresse à l’apothicaire ou à un centre de soins spécifique où le docteur n’intervient qu’en fin de chaîne, on téléphone à  un service de consultation à distance, et l’on essaie pendant 3 ou 4 jours les remèdes génériques pour les maux saisonniers. Les Suédois vivent bien. Ils vivent vieux. Ils ne font pas non plus vraiment d’acharnement thérapeutique. L’hôpital n’est, d’ailleurs, pas un endroit pour mourir… Personnellement, j’aimerais mieux ne pas y finir ma vie. Peut-être devrait-on les imiter ? Cela semblerait raisonnable. Certains y ont déjà pensé.

Cependant, à l’option raisonnable,  je n’y crois guère. Pour l’instant, pas de cran suffisant dans la classe politique. Des franges entières de la population sont, de plus, socialement corrompues par la facilité d’un système vache à lait convenant tout à fait à ceux qui se trouvent du côté de la bonne mamelle. Enfin, beaucoup de vieux croient aux médecins comme on croit aux sorciers. Et les vieux, ils votent beaucoup… La situation me rappelle ce que Frédéric Bastiat écrivait il y a plus d’un siècle:  » L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » Sauf que certaines classes s’y retrouvent plus que d’autres… Quand frappera la crise, peut-être fort, qui sait, tout cela prendra fin ou s’émiettera. En France, semble-t-il, il n’y a guère de changement dans la douceur possible.