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Journal de Christobal: Les Indignés s’indignent

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Début novembre 2011 fallait bien que j’aille traîner mes guêtres du côté de l’indignation. Une manif’ était annoncée. Des Indignés occuperaient un lieu symbolique : le parvis de la Défense, le quartier des affaires parisien. Ce mouvement qui essaime un peu partout aux USA et en Europe mérite qu’on y jette un coup d’œil. Dans la vie, faudrait pas s’interdire de regarder ce qui se passe en dehors de son petit cocon. Non, vraiment, la curiosité est mon meilleur défaut. Un péché véniel, auquel je m’abandonne volontiers. Ou plutôt, la mouche du coche de ma tranquillité d’esprit et de ma bonne conscience, car à force d’être curieux on finit toujours par tomber sur quelque chose de déplaisant. Mais bon, un vice est un vice. Pas facile de s’en débarrasser.

Donc me voilà partie, en essayant, si possible, de laisser au boulot mes idées préconçues. J’arrive alors qu’il fait nuit déjà, faut dire que c’est l’autonome, la saison des ténèbres qui commencent à tomber sur le jour assez vite. La manif’ a commencé depuis un bon moment.

Une douzaine de cars de CRS et leurs hommes en bleu attendent, paisiblement, à 20 ou 30 mètres des manifestants. Moi j’en vois, des Indignés et des curieux, entre 300 et 500, mais certainement pas 1000. Une dizaine de tentes naines sont dressées. Leurs occupants comptent rester plusieurs jours. Comme à Wall Street.

Alors que je m’approche, un orateur enthousiaste, muni d’un porte-voix, évoque le chiffre de 1300 personnes : « Je ne suis pas bon en math, mais je vois environ… ». A ces mots je rigole. « L’est pas bon en math vraiment ! ». Dans le sud, d’où je viens, on est moqueur… A côté de moi, une femme renchérit le sourire aux lèvres : « Vraiment à la louche alors ! »

Y a des gens divers. Enfin presque. Le public est mélangé au niveau des âges et des sexes, mais les jeunes issus des classes moyennes, un peu bohèmes, héritiers des années 1960 avec leurs hippies, prédominent. On les reconnaît au style vestimentaire et à la chevelure. Z’ont un côté très fringues et babioles venues du monde entier sur eux. En revanche, y a pas vraiment de familles. Je trouve plutôt des isolés et des groupes. Au fond, la mouvance « altermondialiste » et « gauchiste » est, à vu de nez, surreprésentée. Bien sûr, je croise des curieux, comme moi, des journalistes aussi. En bref, tout cela me rappelle la fin des années 1990 et la contestation du G7.

Je baisse les yeux. Bingo ! V’la ti pas des messages sur un sol aussi bariolé et coloré que certains manifestants occupés à jouer de la musique. Des sortes de prières, des aphorismes, pour un monde meilleur : « L’amour peut tout », « changeons le monde », « il n’y a pas d’avenir sans paysans », « l’Amazonie », etc., et quelques sentences plus politiques comme : « A bas le capital », « libérer la Palestine »

Tout le monde peut écrire librement. C’est la démocratie du stylo ! A côté de moi, un gars se baisse et laisse sa marque sur une banderole : « Pour les enfants de la vie ». Une femme, qui fait plus de 40 ans, un peu hippie, un peu guindée également, glousse de satisfaction en voyant ca.

Je continue ma ballade. Sur le sol encore une inscription. Un truc anti Sarko, une allusion à la Rolex. Classique, me dis-je. Quelques panneaux, banderoles, délivrent des messages plus, comment dire, « politiques » : « La dette publique : une affaire rentable ! A qui profite le système », « consommer ne rend pas plus heureux », etc. Je ramasse un tract. Les organisateurs sont nommés (99%, Uncut, Les pas de noms, Les indignés de la Bastille, Démocratie réelle maintenant). Le texte dénonce le 1% qui décide pour tout le monde, l’oligarchie financière, et affirme qu’un nouveau monde reste possible, qu’il faut le bâtir.

Après la démocratie du stylo, la démocratie du micro. Les gens se succèdent pour dire un mot à un micro relié à un haut parleur tenu par un garçon. La foule est rassemblée sur les marches du parvis, ceux qui parlent au micro surplombent une bonne partie des manifestants. C’est pourtant vrai qu’y a un air d’agora dans tout ça !

Chacun y va de son message. Quand j’arrive dans la manif’, un Marocain parle de la monarchie autoritaire qui gouverne son pays. Je me dis que les révolutions arabes vont faire bouger l’autre côté de la méditerranée. Peut-être d’autres pays du Maghreb et du Machrek seront-ils concernés ? Tout le monde a cela en tête. Je me suis réjoui de ces révoltes. A présent je me pose la question : révolution ou contre-révolution ? L’avenir le dira, nous n’en sommes qu’au début. De toute façon l’histoire est en marche. Elle marche comme un géant, l’histoire, petits ou grands pas, souvent ca fait du dégât, les arbres et pierres s’envolent sur son passage.

Le maitre mot de la soirée : l’espoir ! Un patchwork qu’elle est cette messagerie collective. Chacun amène sa pièce rapportée. On a tous des choses à dire. Moi le premier. Mais les micros j’aime pas ça.

Une jeune fille s’écrie : «  j’ai 21 ans, j’veux pas payer pour les dettes laissées par les générations précédentes et les gouvernements qui se sont succédé! » Pendant ce temps, à coté de moi, une jeune femme parle de la dette française à une femme plus âgée. Le chiffre qu’elle donne sonne faux, je la reprends poliment, on a un bref échange courtois. Mon grain de sel toujours je mets partout…

Au micro, on s’indigne encore et encore. Une femme raconte que dans un immeuble près de chez elle un groupe de personnes, des étrangers (sans doute des clandestins, des squatteurs), ont été expulsés, que c’est terrible… Un jeune homme la suit et dit qu’il est heureux d’être là, « même si certaines personnes voudraient qu’ils ne soient pas là ! ». Je ris, je le raille gentiment auprès de mes voisins : « Qui? On veut des noms! ». A ma gauche, une dame d’un certain âge rit aussi: « oui, c’est un peu léger ». Le discours est plein d’enthousiasme… mais sans vraiment de slogan ou de message clair.

Un sud américain quinquagénaire ou sexagénaire (un Chilien) parle de mouvement qui commence, de révolution à venir, je pense à un égaré de la vieille gauche sud américaine. Et pi ca continue, la thérapie collective, le florilège de la révolte. On dénonce Areva, le pillage des ressources au Nigéria et j’en passe. A un moment, un jeune homme prend le micro et clame : « Je suis veilleur de nuit, je vais veiller, je vais camper au moins jusqu’à lundi (…) nous sommes la lumière du monde (…) je vais rester ici, personne ne me délogera, la terre appartient à tout le monde ! » Quelques instants plus tard l’un des organisateurs déclare: « Si la police intervient pour nous déloger, n’hésitez pas à rentrer dans vos tentes, d’un point de vue juridique c’est considéré comme une propriété privée et on ne peut pas vous en chasser. » Comme quoi la propriété privée ca a du bon…

Une ouvrière, qui se déclare comme telle, la cinquantaine, prend la parole pour plaindre le sort de la jeunesse qui ne trouve pas d’emploi et à qui on demande des diplômes, d’être jeune… et de l’expérience… Pas mal, je trouve. Mais elle finit par un « les licenciements devraient être interdits », on croirait entendre Arlette Laguiller.

Il n’y a pas de manif’ en France sans trouble-fête. Une manif’ sans perturbateur, chez nous, c’est comme un ragout sans sel. Aussi 2 gars des cités sont arrivés. Fallait bien çà. Un « blanc » ou « reubeu », de loin pas facile de savoir, et un « black ». Le clair de peau s’empare du micro et balance une phrase choc, l’avait dû la préparer quelques secondes auparavant : « Françaises, Français, allez tous vous faire enculer ! » L’était fier de son coup. L’un des organisateurs, à ces mots, réagit : « Je rappelle que nous sommes ici pour dialoguer et que ce n’est pas une tribune pour l’injure! »

Je les observe de loin, les lascars. Apparemment, un vieux qui fait partie d’un des groupes organisateurs croit pouvoir les sensibiliser à sa cause politique. Il leur montre des affiches, des tracts, il n’a pas compris qu’ils sont là pour s’amuser et provoquer (à moins qu’il n’essaie de les amadouer). Alors que les Indignés rêvent d’un monde sans argent (comme il est écrit sur un panneau), eux idéalisent généralement le fric, la consommation, la frime, etc.

Ils déambulent avec leur bouteille de soda, « dragouillent » une ou 2 filles, agitent les affichettes que certains Indignés complaisants leur ont données, se font prendre en photo, puis le clair de peau vient taquiner l’orateur du moment qui déblatère un discours sérieux sur le système. « Je peux terminer » dit celui-ci, qui s’éloigne de 2 pas. Mais le « banlieusard » revient à la charge, insiste pour dire un mot, son interlocuteur cède. « Je m’appelle Salvatore… (je ne comprends pas tout, il prend un accent ou il a un accent, il baragouine), ma vie c’est la Cosa Nostra. Françaises, Français, allez tous vous faire enculer! » Son pote black se marre, le jeune gars qui tient le haut parleur coupe le son, un autre finit par lui reprendre le micro, le public siffle et crie « houe, houe », les Indignés s’indignent…

Un truc pareil avec les gros bras de la CGT, comme chez les ouvriers du livre ou dans certains cortèges d’ouvriers métallo, ca ne passerait pas. Les 2 lurons se feraient virer sans ménagement. Là, ils continuent à déambuler et à importuner quelques Indignés. Ils finissent par partir.

Tandis que les uns veulent révolutionner le monde, pour le moment, à coups de bons sentiments, les autres sont venus leur cracher à la gueule en riant. Les « doux rêveurs » face aux « racailles ». La volonté de changement collectif utopique et la volonté de tout casser pour soi-même. A part eux, tous les autres, où sont-ils ? Les absents auraient-ils toujours tort, que je me dis…

J’ai un rancard. Des amis à rejoindre. Je dois filer. Je m’éloigne de ce groupe de manifestants qui paraît bien minuscule sur la vaste esplanade de la défense, face aux froids et gigantesques immeubles où siègent les grandes entreprises et banques. Je croise un CRS grisonnant qui parle au téléphone, probablement avec son responsable : « Bon, on les laisse tranquille alors! »

Près de la bouche de métro les 2 « racailles » ont rejoint leurs potes (quasiment que des blacks), le clair de peau raconte apparemment ses exploits récents. A peine l’escalator me dépose-t-il sur le sol souterrain que la foule m’assaille, les magasins sont remplis, les gens font leurs emplettes, tandis que quelques centaines d’Indignés dénoncent, à la surface, dans un coin de bitume, le consumérisme et le système financier. Plus tard, dans la soirée, ils seront virés manu militari. On a vu les images à la TV. Changer le monde, c’est pas faire du camping…