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Les Allemands ont toujours tort

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L’ermite Bernard, vieil original et observateur sarcastique de la vie sociale, discute avec son neveu et sa nièce, dans la caverne du midi où il aime se retirer à la fin de l’hiver. La vie sauvage, ca a du bon. Le neveu, Roland Bitieux, étudie la finance, tandis que la nièce, Aurélie Cestlafautede, travaille comme cadre administratif dans la Fonction publique territoriale.

 

Roland Bitieux :

L’Europe ne passera peut-être pas l’année. Ca ne va pas être triste !

Aurélie Cestdelafaute :

Et tu t’en réjouis ! Belle mentalité ! La crise et les difficultés actuelles proviennent de gens comme toi, les nantis de la finance !  

Roland Bitieux :

Je ne suis qu’étudiant. Tous ceux qui bossent dans la finance n’ont pas des salaires astronomiques. Et puis jusqu’à la crise, personne ne se plaignait vraiment de la finance, de ses excès, des risques de formation et d’éclatement dévastateur de bulles spéculatives à force de faire de l’argent avec rien, etc. Dès lors que les banques prêtaient à l’Europe sans rechigner, on n’y trouvait rien à dire. Tu fais partie de ceux qui dénoncent le capitalisme une fois qu’il ne leur profite plus autant ou qu’il révèle son revers de médaille.

Aurélie Cestdelafaute :

Mais qu’est-ce que tu racontes ! En quoi est-ce que je profite du capitalisme ?

Roland Bitieux :

La position de la France en Europe, sa richesse, et même l’Euro, lui ont permis d’emprunter facilement sur les marchés. C’est grâce à ses emprunts répétés que nous vivons au dessus de nos moyens sans le ressentir. L’argent emprunté a financé notre couteux Etat providence, a créé des emplois publics, dont le tien, a facilité l’octroi de cadeaux fiscaux à certaines couches sociales, etc. Bien sûr, les banques se sont très largement payées au passage, en faisant circuler l’argent et en prêtant, s’appuyant pour se faire sur un certain laxisme règlementaire amorcé, d’ailleurs, par tes amis socialistes à partir de 1983. Faute d’alternative ou de réelle volonté de s’y engager, et parce que l’argent facile séduit aussi la gauche, ils se sont alignés sur la tendance néolibérale de l’époque en matière commerciale et financière. Sauf pour l’Etat. Celui-ci n’a cessé de grossir. Le néolibéralisme dans une main et la distribution sans compter d’argent au nom du « social » dans l’autre, voilà ce qu’a réussi la gauche Mitterrandienne. Largement aidée par la droite bien sûr. Finalement, un bien curieux mélange.

L’ermite Bernard :

C’est qu’il devient bon le neveu ! Aurélie, tu devrais l’écouter.

Aurélie Cestdelafautede :

Pffff ! Ecouter quelqu’un qui incarne le comble du cynisme ! Les banques jouent pour ou contre leurs clients, selon ce que cela leur rapporte. Il n’y a aucune morale !

L’ermite Bernard :

Par définition le capitalisme n’a aucune morale. Il ne fait qu’exprimer la voracité des intérêts particuliers. Nous l’avons trouvé plus doux qu’il ne l’était en Occident au siècle dernier car le système a dû s’adapter pour survivre. Le progrès technique et le rôle accru de l’Etat ont permis d’adoucir la condition ouvrière, de favoriser l’enrichissement collectif, etc. Mais le capitalisme est toujours à la recherche d’une main d’œuvre corvéable à volonté pour réduire les coûts en compressant les salaires. La variable d’ajustement c’est le travail ! Or, depuis environ trois décennies, cette main d’œuvre corvéable il l’a trouvée ailleurs avec les paysans et les ouvriers des pays émergents que nos entreprises et les entreprises de ces pays exploitent. En fait, l’exploitation s’est déplacée dans l’espace tout simplement. Elle nous coûte cependant nos emplois dans l’industrie.

Roland Bitieux :

Et voilà le laïus marxiste habituel !

L’ermite Bernard :

Ce n’est pas un laïus, c’est du concret ! Il existe en Chine la plus grande usine du monde. Elle appartient à une entreprise taïwanaise nommée Foxconn, située dans la ville de Shenzhen. Cette usine emploie 400 000 personnes. Vous imaginez ! Elle produit notamment les I phones et les I pad d’Apple. La cadence de travail y est infernale et ce 10 heures par jour, 6 jours sur 7, pour un salaire d’environ 150 euros par mois. Une vague de suicides d’ouvriers a récemment défrayé la chronique. L’un des suicidés n’arrivait pas à effectuer en 7 secondes l’opération de montage répétitive qu’exigeait son poste de travail[1]. La communication ludique pour les petits consommateurs compulsifs que nous sommes a parfois un arrière goût de sueur et de sang, que l’on oublie bien vite…

Aurélie Cestdelafautede :

Bon, et l’Europe dans tout cela ? Les Allemands ne veulent pas des euro-bonds, ils ne veulent pas jouer la carte de la solidarité et sauver l’Europe. Que va-t-il se passer ? Où allons-nous ? 

Roland Bitieux :

Il vaudrait mieux pour eux qu’ils sauvent l’Europe. La monnaie unique leur profite, elle est plus avantageuse que l’ancien Mark, et leur a permis de comprimer ces 10 dernières années les salaires sans que le niveau de vie général n’en souffre, car les prix sont encore relativement bas en Allemagne. Il n’y a pas d’inflation avec une monnaie forte. Et puis ils exportent beaucoup vers leurs voisins européens et pas seulement vers la Chine. 

L’ermite Bernard :

Personnellement, je comprends et j’approuve la position allemande. 

Roland Bitieux et Aurélie Cestdelafautede (en chœur) :

Comment !

L’ermite Bernard :

L’autre jour quand je suis redescendu à la ville, j’ai bu un café chez Momo, le cafetier arabe. Il regardait la télé. Les infos précisément. La question des euro-bonds était évoquée. Il m’a alors demandé en quoi cela consistait ces fameux euro-bonds. Je lui ai répondu ainsi : « il s’agit, en fait, de mutualiser les dettes en demandant à la banque centrale européenne d’emprunter sur les marchés au nom de toute l’Europe. Elle émettra, pour cela, des obligations européennes, autrement dit des euro-bonds. Concrètement, cela signifie de mélanger les dettes des pays très endettés et dont la croissance est faible avec les dettes des pays économes et dynamiques, comme l’Allemagne. Ou, si tu préfères, mon cher Momo, ca revient à exposer l’Allemagne aux dettes de ses boulets de voisins, voire à la faire payer pour eux. Naturellement, les Allemands sont réticents! Ils ont, durant 10 ans, fait des sacrifices. On ne va pas leur reprocher d’être compétitifs et de jouer des coudes. C’est le propre de l’économie de marché. En bref, ils demandent aux autres des efforts et veulent garder, comme chacun, une Europe à leur avantage. » Savez-vous ce que Momo m’a dit ?

Roland Bitieux et Aurélie Cestdelafautede (en chœur) :

Non ?

L’ermite Bernard :

« Ils ont raison. »

Trouver un responsable, l’Allemagne, comme en 1914, c’est facile. Ca évite les remises en question. En vérité, les reproches envers nos voisins germains, même s’il y a aussi du vrai, nous en apprennent beaucoup sur nos élites. On les voit telles qu’elles sont actuellement. Prêtes à mendier, à réclamer aux voisins ceci ou cela plutôt que d’affronter la situation, et ce afin que le pays continue à vivre au dessus de ses moyens. Certains affirment que les euro-bonds sont l’unique solution pour renforcer la crédibilité européenne aux yeux des marchés. Je n’en suis pas si sûr. Peut-être est-ce surtout ce que l’on a envie d’entendre (que l’Allemagne garantisse nos dettes).

De toute façon, il va falloir décider quelque chose. Soit on reste dans l’Europe, si elle survit, et on accepte les efforts et les contraintes, soit on sort de la zone euro et on tente l’aventure en prenant acte des fortes turbulences que cela implique. Dans les deux cas, il y a aura de la sueur et probablement aussi des pleurs. En voilà un choix cornélien pour le futur Chef de l’Etat, n’est-ce pas? Un peu comme en 1983…

L’ermite se leva pour ramasser du bois. Il ne parlerait plus de la soirée. Un ermite cela fonctionne ainsi, il converse un moment, puis se tait pour longtemps.


[1] Merci à Vida pour cette information.