Archives de Tag: abus

Quand les CDD critiquent les CDI

Par défaut

Me voilà revenu au pays des CDD, toujours comme habitant d’infortune. Je travaille pour la même boite. Une employée de la DRH m’a rappelé, alors que j’achevais mon précédent contrat. « Décidez-vous vite, quelqu’un s’est désisté, je vous recontacte dans une heure ». Ainsi parlait la voix au bout du fil, et je me doutais bien que sa hiérarchie lui mettait la pression pour qu’elle trouve une solution rapidement. Des jours d’ennui, de désolation et d’angoisse m’attendaient dans un futur très proche, avec comme seule obsession de retrouver un nouveau taf. Aussi, je ne pouvais dire non. J’ai donc recommencé à bosser quelques jours après la fin de mon premier contrat.

Nouveau job, nouveau lieu. Un bon point, la nouveauté ça a du bon ! A la signature de mon contrat précaire, je me sentais bien mieux, pour tout dire soulagé. En prime, je bénéficie d’une nouvelle formation théorique de quelques jours ! Que demande le peuple !

La formation, c’est sympa. On apprend comme à l’école, afin de se qualifier davantage, et surtout on mange bien le midi. En outre, y a d’autres avantages. Au-delà de ce qu’un stagiaire peut en tirer sur le fond, c’est pour lui l’occasion de retrouver d’autres stagiaires, généralement des CDD venus d’horizons différents. Or, durant les temps de pause et à la cantoche, on échange des informations sur ce qui se passe ailleurs – les convergences et les divergences de situations et de pratiques apparaissent très vite – et sur les parcours antérieurs des uns et des autres. Parcours qui ont mené à la précarité… En bref, les journées de formation constituent une mine d’or pour la curiosité sociale.

Cette fois-ci, un vent de sédition, encore que le mot soit fort, soufflait sur le groupe de stagiaires CDD dont je faisais partie. Les discours étaient critiques, pas simplement envers le fonctionnement général de la boite, mais envers les titulaires, les CDI. Enfin, je veux dire, envers ceux qui ne travaillent guère, ou bien ceux qui se plaignent et revendiquent pour telle ou telle prérogative comme on pinaille à la fin d’une partie de cartes serrée, au moment de décompter les points (dans mon sud, le jeu de cartes vire, en effet, parfois à la foire d’empoignes verbales et au festival de la contestation).

Les CDD, ils viennent pour une bonne partie du secteur privé, notamment de la partie qui trime, certains ont vécu des licenciements difficiles après des années de stabilité bien tranquilles, d’autres, bien plus jeunes, ont enchainé les p’tits boulots depuis la sortie des études. Tous ne sont pas en difficulté financière d’ailleurs. Le conjoint ou la conjointe occupe, par exemple, un emploi stable et/ou qui paie bien. En revanche, certains rament véritablement. Ils ne sont pas non plus rares ceux dont le salaire offert en CDD équivaut ou s’avère inférieur à ce qu’ils percevaient auparavant comme aide au retour à l’emploi (la fameuse allocation chômage). Plus récemment, les contrats aidés (les fameux CUI, avatars des TUC et des CES, ou autres vieilleries dépassées) ont débarqué. Un comble. Surtout si l’on sait que dans le lot, il n’y a pas que des « accidentés » de la vie (sous qualifiés, psychologiquement fragiles, etc.), mais des séniors jadis installés dans la vie et devenus des chômeurs de longue durée  – on fait partie du club après 12 mois de chômage – des femmes seules élevant leurs enfants et contraintes de travailler à temps partiel. Paraît que dans certaines agences, ces contrats-là passent leur temps à l’accueil ou bien à ouvrir la porte en appuyant sur un interrupteur, pour un salaire plus que minable. De quoi vous stimuler à vous insérer, économiquement parlant…

Les CDD ont, faut bien le dire, de grandes aspirations : qui veut bosser les 4 années qui lui restent pour cumuler des points suffisants et prendre sa retraite – de toute façon les entreprises n’en veulent plus, elles lui font comprendre – qui veut se reconvertir et apprendre un métier, qui veut se planquer, qui veut un salaire récurent, acceptant avec fatalisme la précarité de longue durée, mais y trouvant son compte car le conjoint/la conjointe a « une bonne situation », qui veut s’impliquer dans un emploi qui, quelque part, le motive. Et pi y a des avantages à bosser dans cette boite. Tous me l’ont dit : « le CDI si on nous le propose, on le prend ! », « c’est le rêve ! », « ca me sauverait »… Etrange armée, en vérité, disparate en termes d’âge, de sexe, voire de classes sociales et de situations matérielles. Diversité, diversité, quand tu nous tiens… Malheureusement, cette notion tant vantée et invoquée par nos bien-pensants, on la retrouve plus souvent du côté de la précarité et de l’échec. Peut-être les catégories d’inclus et d’exclus, que certains spécialistes des sciences sociales et certains journalistes utilisent, devraient-elles laisser la place à des distinctions plus subtiles, notamment entre les différentes catégories de précaires et ceux qui occupent un emploi stable, entre les « planqués » et les exploités, tout cela sur fond d’éclatement des situations que les clivages en termes d’âge, de sexe et de classes sociales ne recoupent qu’imparfaitement, voire plus du tout.

Cette armée  de CDD est d’ailleurs une armée sans soldat, car même agacés et révoltés par leur sort, ils ne sont pas encore vraiment organisés pour défendre leur cause, ou bien seulement ponctuellement ou localement. L’individualisme et l’isolement s’avèrent plutôt la règle chez eux.

Des éléments de conscience de classe ou, plus précisément, de condition sociale commune dans la boite, voire à l’échelle de toute la société, commencent à poindre chez une bonne partie d’entre eux cependant. Ainsi, lors de ma récente formation, à la cantoche le midi et durant la pause cigarette (j’y ai participé bien qu’étant non fumeur), les langues se sont déliées. Des langues de vipère. Dieu qu’il était bon de mordre et de cracher le venin de la révolte. C’est dans la jugulaire qu’il faut viser !, que je pensais à ce moment précis. L’attaque n’en sera que plus foudroyante. Les CDD que nous sommes nous disions ainsi outrés de voir les CDI se plaindre, les biens payés grâce à leur ancienneté râler et les profiteurs du système saccager leur travail, celui des autres et l’image de la boite, tandis que la direction générale ou locale et les syndicats laissaient faire. Certes, ce sont les mêmes CDD critiqueurs qui baratinaient le formateur pour finir plus tôt le soir et se renseignaient aussi sur les avantages que la boite pouvait leur offrir – attention mes petits, car la facilité et l’abus de prérogatives nuisent gravement à la santé  morale – mais les raisons de leur critique n’en restaient pas moins pertinentes.

« Quand je vois comme je bosse bien, j’arrive à l’heure, je ne me mets pas en maladie et je respecte mon public, etc., et quand je vois ce que font certains de mes collègues en CDI, je me dis que je pourrais bien prendre leur place », dit l’une d’entre nous.

« Ici les gens font à peu près ce qu’ils veulent, ils ont de bonnes conditions de travail dans l’ensemble, d’accord c’est pas toujours facile, mais j’ai connu pire ailleurs. Ils ne se rendent même plus compte de ce que le marché du travail est devenu et comme on galère, alors qu’ils sont censés bien le connaître », lance une autre.

« J’ai de la chance, je suis tombé dans une bonne agence et avec une bonne équipe, je fais des trucs intéressants, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Y a des endroits où ils abusent avec les CDD. »

« Moi ce qui me frappe c’est l’absentéisme, il faut refaire le planning plusieurs fois par semaine, certains appellent le matin pour dire qu’ils ne viendront pas, d’autres désertent leurs rendez-vous avec le public et les collègues le savent… ».

Etc., etc. Les témoignages allaient bon train sur les abus constatés de ceux qui voulaient se faire exempter d’accueil ou dont l’incurie (volontaire ou non) retombait sur les collègues. « Le pire ce sont ceux au même poste depuis très longtemps et qui ont bénéficié d’un bon statut et de tous les avantages, ils ne veulent faire aucun effort, le public doit être à leur service ! Un copain fonctionnaire me raconte la même chose ! », m’exclamais-je à mon tour. Fallait bien, mes amis, que j’en balance une salée…