Journal de Christobal: Les enfants gâtés vont-ils trinquer ?

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Dans les rues glacées de Paris j’avance, encapuchonné. J’aime bien les capuches. On se coupe du monde extérieur en même temps qu’on y reste. Ca tient la tête au chaud pour des idées plus claires. J’aime bien aussi marcher et courir. Je ne marche jamais aussi longtemps et je ne cours jamais aussi bien que quand j’ai beaucoup à penser. La mécanique du haut entraine facilement la mécanique du bas. Laquelle active le sang dans les veines… qui fait tourner la tête. Un circuit fermé en quelque sorte.

Bientôt 2012. Année cruciale. Voilà à quoi je pense. Aux 2-3 ans à venir. Des années historiques probablement. En France, en Europe et dans le monde, puisque désormais tout est lié. Une parenthèse se ferme tandis qu’une autre s’ouvre. Un monde stable laisse la place à un monde imprévisible, pour ne pas dire plus chaotique. La transition dure depuis un moment. Nombreux sont ceux qui en parlaient, nombreux sont-ils également ceux qui préféraient ne rien écouter.

Je file aussi droit qu’une lame, les mains dans mes poches. A chaque respiration glacée une pensée nouvelle me vient. Je me remémore ce que Manu, un « poto », m’a raconté. Connaît un gars Manu qui fleure bon la décadence. Un fils de grand publiciste bourré d’oseille. Depuis 10 ans, il a dilapidé son capital. L’a 1 ou 2 appart’, bien sûr, mais il vivote, bosse ponctuellement dans le graphisme, claque sa monnaie en cannabis, alcool et femmes faciles qu’il dragouille, aussi fanées que des roses trop longtemps laissées dans leur vase. Un « rat des bars », en somme, fils de très bonne famille. Et puis ce sympathique garçon, y perçoit son petit RSA (l’ex RMI). L’en est fier. Même les enfants décadents et dispendieux, voire fainéants, de la bourgeoisie tendent la main vers l’Etat providence made in France. Sa mère, depuis quelques années, a un nouveau compagnon. Un type d’origine étrangère, sympa, paraît-il, mais qui grossit à vue d’œil. Moins il en fait et plus il prend de kilos. La graisse s’amasse en proportion inverse de ses efforts professionnels. Jusqu’il y a 2 ans, il n’était pas si bedonnant. Avec ses 3000 euros par mois environ, pour superviser la maintenance du système de sécurité d’une grande gare, il menait une vie matériellement agréable. C’est pas mal 3000 euros par mois dans une société qui, de plus en plus, se smicardise. Les entreprises publiques « ca eût payé » dites-vous ? Bon, ben ce gars, z’allez pas l’croire, y l’a eu mal au dos ou à l’épaule. 2 ans de congé maladie ! Ca vaut bien ca, une douleur dans le  genre. Du coup, il perd son job en ce moment. Sa vie va changer peut-être. Même les murs de Jéricho tombent… Manu me dit que, quelque part, il mérite ce qui lui arrive.

Là où je taffe en CDD – faut bien sauver sa peau – pour un salaire équivalent à mon allocation chômage d’il y a quelques temps, des gens que l’emploi a rejeté (pour certains c’est le contraire), j’en vois passer beaucoup. On les accueille, on les oriente, parfois ils nous insultent. La routine sociale ordinaire. L’autre jour arrive une danseuse. A trois, ils s’y sont mis les collègues pour la recevoir la reine du tutu. Dur-dur quand l’usager veut être odieux. Elle ne daignait parler à personne. Pas de distributeur de nourriture, pas de boisson, un accueil indigne selon ses critères. Notre démarche : inutile ! Chercher un autre job ? Ses compétences et ce qu’elle envisage ? Elle ne sait pas. Elle ne veut pas en parler, mais elle vient ici pour être indemnisée, cela va s’en dire… « Si tu l’avais vue, elle était d’une impolitesse ! », me dit Ché, un Sénégalais en poste depuis 2 ans. L’est sympa, ce Ché. Un gars la cinquantaine passée, dont la vie professionnelle a été bien remplie. Monde associatif, édition, chef de sa petite entreprise… Les changements de situation, il connaît ! Enfant, il étudia au pays le Coran dans une école religieuse. Il en a gardé un sens de la rigueur et de la méticulosité, plutôt que la ferveur religieuse (même s’il se dit croyant et, dans une certaine mesure, pratiquant). « L’école coranique c’est une école de la perfection et de la mémoire ! Fallait pas se tromper d’un poil quand on récitait des versets, fallait les vivre émotionnellement, comme un acteur, sinon c’était les coups de règle sur les doigts », m’explique-t-il un jour. Normal que la mauvaise volonté de la danseuse l’exaspère…

Tous des enfants gâtés d’un pays vache à lait! Que je m’exclame pour moi-même, en cette froide soirée. Du calme, mon ami, me dit alors une petite voix. Des enfants gâtés il y en a, y compris dans les cités, enfants pauvres mais gâtés dans un pays consumériste, autant injuste que laxiste, et si dispendieux. Mais ce n’est pas le cas de tous. Faudrait pas s’emballer ! La petite voix a raison. La nuance a bien plus de valeur descriptive.

Bien sûr, du laisser-aller et des petits profits ordinaires j’en vois  et j’en entends jusqu’à plus soif. Des exemples, mes amis, plein ma hotte on en trouve. Un jour ma mère outrée me raconta, dans ma ville de naissance qui s’encagnarde, que la voisine de là-bas, celle du coin de l’immeuble, se vantait d’avoir fait des enfants pour ne pas travailler. Les alloc’ y pourvoiront. Un mec aussi, enfin quand il y en a un. Et puis l’éducation la rue s’en chargera en partie… Pourtant, de ces gâtés-là, je ne parlerai pas davantage. Je laisse à la gauche le soin de les excuser, elle sait si bien le faire, cette reine de la perfusion et de l’hypocrisie. Non, en dire un mot je ne veux plus. Actuellement, les enfants ou les membres de la bourgeoisie et, même, de la petite bourgeoisie, jusqu’à récemment surprotégés, m’interpellent bien davantage. En fait, je veux parler des « décadents » dont j’ai un brin évoqué l’histoire plus haut avec quelques exemples. Ceux qui font de la Dolce Vita et du refus de tout effort des principes existentiels. Un pays se comprend par son peuple, mais aussi par ses élites. Les dilettantes jalonnent l’histoire bourgeoise du XIXème. Il suffit de relire les grands écrivains pour s’en convaincre. Leurs descriptions si fines racontent la bourgeoisie d’époque, de quoi vous faire voyager dans l’histoire en imagination. Pour autant, une certaine décadence ne présage rien de bon, même si elle ne s’avère pas nouvelle. Que devient un pays quand une partie de ses élites et de ses classes moyennes choisissent la facilité et se déconnectent de la réalité ? Faut dire, z’ont des exemples à suivre. L’ex directeur du FMI, le sieur Dominique, illustre assez bien les dérives d’une certaine bourgeoisie dirigeante. Un gros bosseur, ce DSK, oui, ainsi que l’exigent les postes avec un tel niveau de responsabilités. Encore qu’il faudrait pouvoir comparer avec ses égaux. Mais surtout on découvre à quel point dans le luxe et la luxure il se vautrait. Un grand « puteur » et consommateur insatiable de chairs féminines. Un « viandard » à la libido dévorante, voire obsessionnelle. Voilà ce que les récentes « affaires » nous révèlent. De là à prendre au sérieux la célèbre citation de Lénine : « Les excès dans la vie sexuelle sont un signe de dégénérescence bourgeoise »…  

Les prochaines années vont probablement agiter nos sociétés comme des bouteilles de soda gazeux. Ca va mousser et pétiller dans tous les sens. Jusqu’à quel point, nul ne le sait. Les enfants gâtés, ceux qui se laissent aller et abusent d’un Etat providence généreux, vont-ils trinquer, mais dans le mauvais sens du terme, celui de subir la situation ? Ce ne serait que justice… sociale. D’ailleurs, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie françaises, chouchoutées par une Europe bringuebalante, qui nourrit le pays autant qu’elle le lamine, va peut-être découvrir que le principe de réalité l’emporte toujours.

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