Archives de Tag: flux migratoires

Expert… moi non plus!

Par défaut

Conversation animée, un jour de 2011, entre Julie Bonsentiment, très investie dans la vie associative, et Sam Le Septique qui doute de tout, même de lui-même, dans un restaurant français, à Paris, où des Tamouls font la cuisine.

Julie Bonsentiment:

Heureusement qu’ils sont là les immigrés!

Sam Le Septique:

Pour faire de la cuisine française?

Julie Bonsentiment:

Sois sérieux! Tu sais bien ce que je veux dire.

Sam Le Septique:

Non.

Julie Bonsentiment:

Que l’immigration est nécessaire, bénéfique, que ces gens font le sale boulot …que les autres ne veulent pas faire! De plus, la population active va baisser. Ils nous sauvent. Il faut des bras pour l’économie! 

Sam Le Septique:

Et du travail pour les occuper…

Julie Bonsentiment:

N’importe quoi! La croissance démographique amène la croissance économique. Et nous avons besoin d’immigration pour pallier le déclin de notre population.

Sam Le Septique:

Comme toutes les généralités, c’est à la fois vrai et faux… 

Bien que je connaisse des exemples de pays très peuplés qui souffrent d’un chômage de masse,  je ne sais pas s’il en va de même pour les pays sous peuplés.

D’ailleurs, je ne suis pas sûr que le lien de cause à effet entre la démographie et l’économie soit simple.

Et puis…

Julie Bonsentiment:

Quoi?

Sam Le Septique:

Peut-être vit-on mieux si on est moins nombreux dans un pays ayant une croissance très faible et qui ne créé plus assez d’emplois?  Mais peut-être est-ce là aussi un raisonnement trop simpliste?

Julie Bonsentiment:

Je ne te le fais pas dire! De plus, qui prendra en charge le vieillissement de la population?

Sam Le Septique:

Ca ira mieux quand les vieux, actuellement nombreux et aux commandes de la société, commenceront à mourir. Ils ne représenteront plus une charge économique, le pays connaîtra d’autres problèmes démographiques et économiques – la population diminuera sans doute – mais plus celui-là.

Julie Bonsentiment:

Tu es horrible! Je devrais t’appeler Sam le cynique!

Sam Le Septique:

Le père mourra, le fils mourra, le petit fils mourra…

Julie Bonsentiment:

Qu’est-ce que tu racontes?

Sam Le Septique:

Un calligraphe japonais avait écrit cela sur un tableau pour un riche marchand. Celui-ci a failli s’étouffer en lisant ces belles lettres. Il a poussé des cris d’orfraie, mais le peintre l’a rassuré en lui disant: « ceci est une bonne sentence! Si votre fils meure avant vous ce sera terrible. Et si votre petit fils décède, alors vous et votre fils aurez le coeur brisé. En revanche, si la vie ce déroule comme il est écrit, vous l’accepterez. C’est ce que j’appelle la vraie prospérité. »

Julie Bonsentiment:

Ton histoire est jolie, mais n’enlève rien au fait que l’immigration est indispensable et bénéfique. Des experts, sociologues, démographes, économistes, l’affirment!

Sam Le Septique:

Des experts… certifiés conformes sans doute.

Julie Bonsentiment:

Parfaitement. Reconnus.

Sam Le Septique:

Et précisément que disent-ils?

Julie Bonsentiment:

Eh bien, il y a eu un article dans la presse économique sur le sujet récemment. Même les patrons semblent d’accord avec ce qui a été écrit. Pour une fois je m’accorde avec eux, alors que je me situe plutôt à l’extrême gauche.

Sam Le Septique:

Et donc?

Julie Bonsentiment:

Bon je résume. 

Premièrement, la France a peu d’immigrés (personnes nées ailleurs) en rapport à sa population totale. Beaucoup moins, en tout cas, que d’autres pays européens comme l’Italie ou l’Espagne où la proportion est plus élevée. En outre, depuis 1974, le solde migratoire annuel (différence entre ceux qui arrivent et ceux qui partent) est d’environ 100 000 personnes. C’est moins que dans d’autres grands pays industrialisés. Aussi bien en stock qu’en flux, la France ne se situe pas dans le peloton de tête!

Deuxièmement, les immigrés ne coûtent pas tant que çà. Ils ne pèsent pas sur les comptes sociaux, car ils sont peu représentés parmi les plus de 60 ans. De fait, ils bénéficient moins du sytème de retraite et de santé. Et comme, en plus, ils cotisent, ils rapportent de l’argent au pays.

Sam Le Septique:

Mais encore?

Julie Bonsentiment:

Troisièmement, réduire l’immigration ne ferait pas baisser le chômage. Les immigrés occupent des emplois plus pénibles que la moyenne et moins bien payés. Ils ne sont pas positionnés sur les mêmes postes que les chômeurs… euh… français.

Enfin, quatrièmement, l’immigration permettra de compenser le vieillissement de la population et la baisse du nombre d’actifs, comme je te le disais tout à l’heure.

Sam Le Septique:

Ok, à mon tour…

Il est évident que les immigrés ne sont pas ceux qui pèsent le plus sur les comptes sociaux de la nation puisqu’ils sont moins nombreux à profiter des retraites et des dépenses de santé (lesquelles constituent le cœur des dépenses de notre État providence). Cela étant, ils sont plus souvent au chômage, au RSA, etc. Mais delà à déduire qu’ils rapportent plus qu’ils ne coûtent c’est, selon moi, aller vite en besogne ! En effet, il existe des coûts indirects dont on peut, d’ailleurs, discuter la pertinence. Tous les fameux experts ne sont, à mon avis, pas d’accord sur ce point. Malheureusement, certains se font souvent entendre et d’autres moins. De fait, on finit par se faire du débat une idée tronquée.

Personnellement, j’ai du mal à me prononcer. Je pense que l’important n’est pas de savoir si les immigrés rapportent ou coûtent plus économiquement, ce qui s’avère très compliqué à établir, mais s’il est indispensable d’en faire venir actuellement et s’il est possible de définir une politique d’immigration et d’accueil qui ne soit, dans la mesure du possible, ni trop problématique, ni caricaturale, ni inhumaine. Car en politique, il n’y a, souvent, pas vraiment de solution ou de décision satisfaisante ! On fait au mieux à défaut de faire pire…

Julie Bonsentiment:

Oh! Quel pessimisme!

Sam Le Septique:

Je continue.

La France compte actuellement parmi les pays où l’immigration est la plus faible ! Et ce en flux comme en stock ! Là aussi, « mèèfie », comme on dit dans la ville d’où je viens. D’abord, jusqu’à quel point peut-on comparer la France, vieux et sans doute seul vrai pays d’immigration séculaire en Europe, avec la Suède, l’Espagne, etc., qui le sont devenus récemment ?

Ensuite, les chiffres ont leur limite. Tout d’abord en termes de flux entrants et de stock, il manque le surplus quantitatif lié à l’immigration clandestine qui, par définition, est difficile à estimer. En France on naturalise, de plus, beaucoup, donc bon nombre d’étrangers deviennent des Français. D’où ma question : le stock est-il le même si l’on prend en compte les naturalisations et la descendance des immigrés (les fameuses statistiques ethniques) ?

Enfin, flux et stock ne veulent, en soi, rien dire. Ce qui importe c’est de savoir si la population se transforme et dans quelle mesure. Imagine : 100 000 personnes arrivent d’autres pays (immigrés) et 100 000 personnes nées en France ou y vivant depuis longtemps s’en vont (émigrés). Le solde est nul, la proportion n’a pas variée. Mais, dans les faits, tout a changé ! Cette dimension qualitative ne semble pourtant pas préoccuper certains experts, même si les pouvoirs publics s’inquiètent des phénomènes de concentration sur le territoire qui posent de vrais problèmes et ne se résolvent pas d’un coup de baguette magique. On ne disperse pas les hommes comme les marchandises…

Julie Bonsentiment:

Tu as fini?

Sam Le Septique:

Nan! Les emplois occupés par les immigrés ne sont pas ceux des Français… Certes, mais là aussi c’est avec une assertion simpliste que l’on répond à la caricature du FN. Car c’est bien le FN qui fait peur à tous ces experts, non ?

Julie Bonsentiment:

Pffffff!

Sam Le Septique:

D’abord, il y a beaucoup de « non qualifiés » en France (d’où ce débat actuel sur l’efficacité et la pertinence du système éducatif français). Ensuite, selon certains, ces gens ne voudraient pas des emplois que les immigrés occupent. Ok, mais la question est : à quel prix ? Y-aurait-il autant d’emplois sous tension s’ils étaient mieux payés, mieux considérés et avec des horaires moins contraignants ? Ca vaut la peine de s’interroger, non ? Vu ainsi, l’utilité économique des immigrés prend une autre signification. Ils sont utiles, mais à qui ? A la France ou bien à certaines fractions du patronat qui peuvent ainsi conserver ces emplois en l’état ? Lorsque les immigrés font baisser les salaires sur ce type d’emploi, à qui cela profite-t-il ? Aux petits patrons (qu’ils s’agissent de « Thénardier » ou d’artisans écrasés par le poids des charges patronales) ? Aux grandes entreprises qui emploient des sous-traitants dont le prix des prestations repose sur l’exploitation de ces immigrés ? Ou bien aux catégories de travailleurs mieux lotis qui peuvent ainsi exiger plus ? Oui ? Non ? Si c’est vrai, c’est Merveilleux ! Continuons de les faire venir alors, sans nous poser de questions, en toute bonne conscience, et ce surtout si l’on fait partie des travailleurs mieux lotis… Quand la générosité de ceux qui ont de meilleurs emplois s’accorde avec leurs intérêts, comment ne pas s’en émouvoir…

Julie Bonsentiment:

Tu redeviens cynique.

Sam Le Septique:

A monde cynique, individus cyniques…

Julie Bonsentiment:

Excuse facile.

Sam Le Septique:

Oui, c’est vrai. Je termine.

Pendant un moment, on entendait souvent : il faudra absolument des immigrés pour nos retraites, c’est indispensable, etc. Version simplifiée d’une réalité plus nuancée. Maintenant, même la Commission européenne admet que les flux migratoires ne peuvent constituer une solution suffisante et satisfaisante, d’autant que les immigrés vieillissent aussi…

Julie Bonsentiment:

Je l’ai dit! Seulement pour compenser!

Sam Le Septique:

Justement. Cela devrait te rendre septique comme moi. Concernant les besoins en main d’œuvre, du fait de la baisse annoncée de la population active, l’Insee vient encore de revoir ses prédictions, et ce pour la troisième fois ! Alors, après avoir annoncée une baisse de la population active (nécessitant, bien entendu, une immigration compensatrice) dans les années 2010, elle a reculé la date vers les années 2020, puis récemment vers les années 2030 !

Julie Bonsentiment:

Que veux-tu dire ?

Sam Le Septique:

Méfie-toi des experts et de leurs prédictions, surtout quand ils vont dans le sens de ce que tu as envie d’entendre, et demande-toi sur quoi ils se basent et comment ils raisonnent.

En 1999, je m’en souviens très bien, un journaliste économique du Monde écrivait que le départ massif à la retraite des baby-boomers dans les années 2000, et la baisse de la population active qui en découlerait, impliquerait un recours important à l’immigration. Il annonçait que le chômage de masse disparaitrait en 2010… Entre temps, l’immigration s’est poursuivie : soit officiellement 100 000/200 000 entrées par an en moyenne, cà n’est tout de même pas rien, d’autant que bon nombre d’immigrés travaillent, même si on estime qu’il s’agit d’une immigration familiale. Par ailleurs, les baby-boomers ont commencé à partir à la retraite et… le chômage a considérablement diminué… comme tu peux le constater.

Julie Bonsentiment:

Pffffff! C’est malin ce que tu dis.

Sam Le Septique:

Beaucoup d’experts et de commentateurs ont souvent des partis pris ou des présupposés qu’ils ne remettent guère en question.

Au sujet de l’immigration, par exemple, je trouve absurde de partir de l’idée qu’à priori c’est forcément soit bon ou soit mauvais, et ce quels que soient le contexte socio-économique, l’échelle de temps, etc. Comme si l’immigration constituait un genre en soi et comme si on pouvait en mesurer toutes les conséquences!

Julie Bonsentiment:

Tu veux toujours avoir raison.

Heureusement, une serveuse black arriva, avec un plat de couscous (qui figurait à la carte du restaurant français), préparé par les cuisiniers Tamouls, et tous deux se régalèrent. Il y avait mieux à faire qu’à pérorer.