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Qui paie ses dettes s’enrichit?

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Conversation improbable entre Ma Yu Lenfantbanane, une jeune franco-chinoise, étudiante dans une école de commerce et serveuse dans le petit restaurant parisien de ses parents durant son temps libre, et Olivier Rebellocrate, étudiant dilettante en lettres et membre actif de la CNT (Confédération nationale du travail), dans un café proche de la place de la Nation, alors qu’une manifestation étudiante s’achève, un jour de printemps 2011.

Olivier Rebellocrate:

Je te dis que les peuples n’accepteront pas la rigueur que les gouvernements européens vont leur imposer. Déjà les jeunesses espagnole et grecque commencent à bouger.

Ma Yu Lenfantbanane:

Ah oui, les indignés!  S’indigner c’est facile. On dirait des vieillards qui s’offusquent. Cette jeunesse ne sait que réclamer ou geindre. Mais elle n’a pas le courage de conquérir. Les « sitting » sont la révolte des paresseux… de l’action! 

Olivier Rebellocrate:

T’es révolutionnaire toi maintenant? T’as toujours été une élève modèle, sérieuse, pas contestataire. Je me souviens de toi au collège. T’es pas la mieux placée pour critiquer.

Ma Yu Lenfantbanane:

J’ai encore de la famille en Chine. Là-bas y a une vraie révolution… capitaliste! Globalement, le niveau de vie augmente. Même les ouvriers commencent à faire valoir leurs droits. C’est autre chose que les protestations de la jeunesse européenne oisive! Vous êtes des enfants gâtés… engendrés par des parents gâtés.

 Olivier Rebellocrate:

Les Chinois tombent dans le piège de la consommation. Tout beau, tout nouveau! On en reparlera plus tard! L’argent rend fou. Y a pas de raison qu’ils échappent à la règle.

Ma Yu Lenfantbanane:

En attendant, comment on fera ici avec la dette publique? L’Europe est condamnée à la rigueur qui dure ou à la cure d’amaigrissement brutale.

 Olivier Rebellocrate:

La dette c’est un faux problème.

Ma Yu Lenfantbanane:

Y a quelques années, c’est tout juste si elle existait pour toi. Aujourd’hui, c’est seulement un faux problème. Laisse-moi rire!

Olivier Rebellocrate:

La dette c’est la faute des banques!

Ma Yu Lenfantbanane:

Parle pour le Royaume-uni, l’Irlande ou bien l’Islande! Mais la France, la Grèce ou bien l’Italie n’ont pas attendu après les banques pour s’endetter plus que de raison. 

Olivier Rebellocrate:

Non, c’est la faute des banques je te dis! Si nous avions gardé le franc, nous n’aurions pas eu besoin d’emprunter sur les marchés ou auprès des banques en sollicitant, le plus souvent, l’épargne des vieux et des riches. Les banques ont fait commerce de notre endettement. Elles prélèvent des commissions quand elles prêtent de l’argent et elles spéculent sur les obligations d’Etat. La dette profite à ceux qui la possèdent et à leurs enfants qui héritent des obligations d’Etat: financiers, bourgeois, etc. On n’a qu’à refuser de payer les intérêts ou bien on n’a qu’à refuser de rembourser l’emprunt.

Ma Yu Lenfantbanane:

Si nous étions restés au franc, la Banque de France aurait dû régulièrement faire un chèque au gouvernement pour combler le déficit récurent depuis 30 ans. Ce qui revient à faire tourner la planche à billets. En bref, on aurait connu une inflation chronique mais sans la croissance économique suffisante pour l’amortir. Bonjour la baisse de niveau de vie. Je te rappelle que les 30 Glorieuses c’est fini depuis un moment!

Tu ne veux pas accepter qu’on ne puisse vivre éternellement au dessus de ses moyens. Et la dette…

Olivier Rebellocrate:

Je t’ai dit que la dette on la paiera pas! Et puis il y a toujours eu un peu d’inflation, même sans la planche à billets!

Ma Yu Lenfantbanane:

Refuser de payer! Tu vas faire cà comment? Avec tes petits bras musclés!

Olivier Rebellocrate:

Non, grâce à la pression populaire! Le bras armé du peuple!

Ma Yu Lenfantbanane:

Pffff! De toutes les façons, ne pas (tout) payer, je crois bien que c’est ce qu’envisagent à demi mot l’Eurogroupe et la Banque centrale européenne. Pour une fois, tous ces libéraux sont d’accord avec toi!

Je me demande, si cela se fait, qui sera le dindon de la farce? Les prêteurs européens ou bien les prêteurs asiatiques et arabes? Tu sais, en plus, ce que cela signifiera?

Olivier Rebellocrate:

La fin de la dette ou son allègement, tout simplement.

Ma Yu Lenfantbanane:

Cela signifiera que l’on ne nous prêtera plus d’argent pendant un bon moment, ou alors peu, ou bien encore à des taux d’intérêt prohibitifs! Plus question d’être une seule fois en déficit et bye-bye ta carrière dans la fonction publique ou ton futur emploi subventionné, tes arrêts « maladie », tes dépenses de santé…

Olivier Rebellocrate:

Hein? Tu racontes n’importe quoi! Refuser de rembourser fait surtout peur aux rentiers qui s’enrichissent grâce à la dette.Tant pis pour eux. Nous on a rien demandé.

Ma Yu Lenfantbanane:

Si! Tu as passé ta vie à demander! A tendre la main vers l’Etat. Comme tous tes amis rebelles, tu veux l’argent public pour toi et une bonne planque. Au fond, toi aussi tu vises une rente. Tu serais prêt à serrer la main des capitalistes que tu honnies s’ils pouvaient t’éviter la cure d’austérité. Mais ils chercheront à sauver leur peau et leurs économies avant les tiennes.

Olivier Rebellocrate:

Mais je… Ne m’associe pas à ces rapaces! Et puis, on pourrait aussi dévaluer massivement l’euro. Plus de croissance par les exportations, moins de dette… 

Ma Yu Lenfantbanane:

Dévaluer massivement l’euro c’est payer les créanciers en monnaie de singe! Cela n’est pas tellement mieux que de ne rien leur donner. Sauf qu’en plus il nous faudrait souffrir d’une forte inflation.

Olivier Rebellocrate:

Et alors? Au moins l’inflation touche tout le monde. Elle ne discrimine pas entre les riches et les pauvres. En plus, cela règlerait assez vite la question de la dette.

Ma Yu Lenfantbanane:

Ca m’étonnerait que la Banque centrale européenne soit de ton avis.

Olivier Rebellocrate:

Je me passe de son avis et de celui des autres pays. On peut très bien, s’ils ne veulent pas dévaluer l’euro, quitter la zone euro!

Ma Yu Lenfantbanane:

Cela implique de revenir à une monnaie plus faible. C’est bon pour les exportations, mais pendant combien de temps? Et d’ailleurs, les exportations suffiront-elles à doper suffisamment notre croissance économique atone basée sur la consommation intérieure et à amortir le poids de nos dépenses excessives? Permets-moi d’en douter. Et puis n’oublie pas que notre dette est libellée en euros…

Olivier Rebellocrate:

Et alors?

Ma Yu Lenfantbanane:

Il nous faudrait la rembourser avec une monnaie plus faible. Si nous revenions à un franc 6 fois moins cher que l’euro, cela multiplierait par 6 notre dette puisque nous devrions échanger des francs contre des euros pour payer. La facture énergétique (pétrole, etc.) et le coût des importations exploseraient aussi.

Olivier Rebellocrate:

Euh… Sauf si on refuse de rembourser. Et puis tous les économistes ne sont pas de cet avis concernant la faiblesse du franc si nous sortions de la zone euro. On  prendra la parité qui nous arrange.

Ma Yu Lenfantbanane:

Décidément.

Olivier Rebellocrate:

Il y a des solutions je te dis! Nous pouvons par exemple nationaliser la dette comme les Japonais. Ils rachètent les obligations de leur Etat avec leur épargne. Donc plus de problème avec les marchés. 

En outre, notre patrimoine national, toutes nos infrastructures, etc., valent  plus que notre dette. L’insolvabilité c’est du pipeau ma vieille!

Ma Yu Lenfantbanane:

Consacrer une partie de mon épargne pour financer la dette alors que je paie déjà des impôts pour en rembourser les intérêts, non merci! Je préfère dépenser mon argent pour mon avenir ou pour consommer, au moins cela sert la croissance. Demande au Japonais ce qu’ils en pensent vraiment.

Olivier Rebellocrate:

Pffff. Consommer encore et toujours! Jusqu’où cela-ira-t-il?

Ma Yu Lenfantbanane:

Quant à notre patrimoine national qui vaut plus que la dette, si tu veux vendre les meubles cela te regarde! Les Grecs ont d’ailleurs commencé…  à vendre Le Pirée à mes cousins chinois.

Olivier Rebellocrate:

Je disais çà pour rire. Pas question de rembourser! On paiera pas pour les banques! Et puis y a qu’à augmenter les impôts, ponctionner les riches, faire sauter les niches fiscales, taxer les revenus de la finance… Y a de l’argent en France!

Ma Yu Lenfantbanane:

Taxer les revenus de la finance, tu rêves! Si les Américains ne donnent pas le « la » pour commencer, qui le fera? Les Européens? Hi, hi, hi… Personne n’est d’accord avec personne dans cette Europe. Chacun a intérêt à tondre son voisin. Tu peux toujours courir pour une politique fiscale commune.

Olivier Rebellocrate:

Mais je…

Ma Yu Lenfantbanane:

Tu permets! Augmenter les impôts c’est croire qu’il suffit de remplir à nouveau les caisses de l’Etat. Mais si les dépenses continuent à progresser rapidement et que la croissance reste faible, comment fait-on? D’ailleurs, qui paiera ces impôts? Les riches? Ceux qui disposent d’avocats fiscalistes spécialisés dans l’évasion fiscale ou bien les autres? Taxer davantage n’est pas une panacée… 

Olivier Rebellocrate:

Mais c’est socialement plus juste.

Ma Yu Lenfantbanane:

Quand comprendras-tu que la dette est, dans le contexte actuel, davantage un problème de dépenses que de recettes!  

Olivier Rebellocrate:

Tu fais semblant de ne pas entendre ce que je dis.

Ma Yu Lenfantbanane:

Tu t’insurges au sujet des impôts et des niches fiscales, mais crois-tu que les dépenses sociales qui occasionnent la dette soient équitables? T’es-tu demandé dans quelle mesure les ouvriers et les employés du privé bénéficient du sytème de retraite et du système de santé?

Comme dit mon père, qui s’est fait tout seul depuis son arrivée de Chine il y a 40 ans: en France, ceux qui profitent le moins de l’Etat providence endetté sont aussi ceux qui devront mettre la main à la poche quand viendra l’heure de rembourser.

Olivier Rebellocrate:

Qu’est-ce que tu racontes?

Ma Yu Lenfantbanane:

Rien. Laisse tomber.

Olivier Rebellocrate:

 Cette situation ne peut pas durer. Tu vois bien que les peuples sont aux abois.

Ma Yu Lenfantbanane:

Lequels? Il y en a que j’entends aboyer, çà c’est sûr!

Olivier Rebellocrate:

Très drôle. De toutes les façons, nous ne serions pas dans une situation pareille sans la mondialisation… et les Chinois.

Ma Yu Lenfantbanane:

Tu es jaloux. Tu proposes quoi? De relocaliser les usines et de revenir à des produits beaucoup plus chers! Qui voudrait les acheter?

Olivier Rebellocrate:

Une autre mondialisation est possible.

Ma Yu Lenfantbanane:

Parle pour toi! Moi çà va très bien. Après mes études, j’ai comme projet de monter une entreprise d’import-export en lien avec la région d’où viennent mes parents. En Chine, il y a de quoi faire! C’est un pays de parvenus et non d’héritiers, au moins on peut partir à la conquête de son avenir.

Olivier Rebellocrate:

Nous y voilà. Tu défends tes intérêts futurs. Egoïste!

Ma Yu Lenfantbanane:

Au moins nous sommes deux.

Olivier Rebellocrate:

Et quand les Chinois verront leurs salaires grimper, que feront-ils? Tout cela ne durera pas!

Ma Yu Lenfantbanane:

Y en a encore pour un moment d’ici à ce que tous les Chinois vivent comme les Européens.  Ils ne resteront pas éternellement l’atelier du monde. Par la suite, il sera toujours possible de délocaliser vers le Sud-Est asiatique ou vers l’Afrique. Heureusement, la planète reste encore un océan de misère! Il y a tant de gens à faire travailler dur pour leur bien…

Olivier Rebellocrate:

Non mais alors là… Pffff… Y a pas à dire, le capitalisme est vraiment la marchandise qui se vend le mieux…

Leur conversation fut alors interrompue par une rixe devant la vitrine du café: deux policiers en civil plaquèrent au sol un jeune homme avec un coktail molotov à la main… pas encore allumé…