Pour une fois, les abstentionnistes devraient aller voter… aux primaires du PS !

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Conversation fictive prise sur le blog http://jeanpeneff.eklablog.net/, avec l’accord de l’auteur

Trois interlocuteurs, l’un de droite (Lindifférent), l’un centriste (Lhésitant) et l’un de gauche (Legrincheux) échangent sur le sujet politique du jour…

 Lindifférent :

Toi, abstentionniste notoire, tu vas aller voter aux primaires socialistes ?

 Legrincheux :

Oui. C’est un événement historique peut-être ! Ouvert à tous les sympathisants, avec une procédure qui n’est pas exclusivement dans les mains des fédérations, un nombre de candidats substantiel permettant des contradictions et des divergences, des bureaux de vote accessibles…

Il est probable que les 5 ou 6 candidats socialistes représenteront l’éventail des opinions politiques en France (hormis les deux extrêmes). Le PS va offrir une palette de réformes et de politiques qui vont de l’UMP (représentée par DSK ou Fabius) à une option centriste (Royal, Valls) ou bien social démocrate (Hollande ou Aubry), avec en prime un « révolutionnaire » de gauche plutôt BCBG : Montebourg.  On a le choix.

 Lhésitant :

Quel enthousiasme !

 Legrincheux :

C’est la première élection nationale non professionnelle organisée en dehors de l’État et des syndicats, par des militants, des bénévoles !

 Lhésitant :

Ainsi, d’après toi, ça va changer les conditions électorales futures ?

 Legrincheux :

En tout cas, c’est une ouverture pour la démocratie.  Et la droite ne s’y est pas trompée : elle s’en méfie fortement et elle a raison, car cela peut devenir un désaveu des méthodes dépassées d’appareil de choix de candidats.

Lindifférent :

Qu’aurait de progressiste une élection rendue aux partis en sortant de l’État ? C’est le contraire qui est plus évident.

Legrincheux :

Parce que c’est une brèche momentanément ouverte dans la délégation aveugle aux grands partis. Après 100 ans de codifications, de réglementations, on est parvenu à l’inverse de l’objectif recherché, on est arrivé à l’appropriation de pouvoir par des cliques, à l’instrumentalisation du vote par l’argent et par des appareils constitués en lobbies de l’élection. On doit revenir au vote libre, réfléchi, organisé par les citoyens qui dépasse le cadre étroit du référendum d’initiative populaire. On doit « déprivatiser » le contexte et la préparation de l’élection, la débarrasser des intérêts des communicants, des agents du marketing, des actions de la pub politique, des instituts de sondages, des grandes entreprises de presse.

Tous ceux-là choisissent, en notre nom, parmi les candidats, ceux qui, plus ou moins, leur conviennent, et offrent peu de dangers pour la bonne marche du libéralisme. Ils font monter ou descendre la « popularité » de ces candidats « officiels » grâce aux sondages, au détriment de ceux qu’ils jugent dangereux ou « indignes » (affectés alors du nom de « populistes »).

Lhésitant :

Tu supposes donc que les primaires ne sont pas un but en soi, mais simplement une occasion de briser le tabou de l’argent et l’organisation des votes dans un cadre lourd, bureaucratique. Drôle de pari !

Legrincheux :

Pourquoi au bout d’un siècle, la formalisation des luttes électorales ne devrait-elle pas être révisée ? Une moitié du pays – celle qui s’abstient régulièrement – pense que l’institution républicaine du vote s’est épuisée, figée. L’afflux d’argent installe des enjeux abstraits, artificiels (« plus de ceci », « moins de cela… »), des faux débats télévisuels. Tout est fait pour favoriser les « experts » et les acteurs politiques qui entrent dans l’arène à 25 ans pour ne plus en sortir.

Les média font craindre aux socialistes que la dispute des primaires, l’affrontement d’un éventail de réformes, soient pour eux un gage de défaite. Ceux qui répandent cette idée veulent garder la haute main sur les contenus et le cadre des débats.

Lhésitant :

Tu veux dire que ce que l’élection nationale est devenue c’est de promettre tout et n’importe quoi, de vendre des illusions au travers d’objectifs irréalisables…

Legrincheux :

Oui.

Lhésitant :

C’est vrai qu’il n’y a plus ni équivalence, ni cohérence, entre les engagements pris dans des conditions vagues (résoudre « la crise », améliorer le sort de telle catégorie) et ce que font les élus après-coup.

Lindifférent :

Actuellement, on n’est sûr que d’une chose : celui ou celle qu’on a choisi ne tiendra pas ses promesses !

Lhésitant :

Parce que l’élu est incontrôlable ! La volonté populaire ne peut guère que le sanctionner 5 ans après et ce dernier ne s’exprime pas clairement sur ses choix passés, pour lesquels les excuses ne lui manquent pas.

Legrincheux :

C’est pourquoi on ne devrait accorder que deux mandats successifs à un élu, quel qu’il soit. Ensuite, il redeviendrait un « civil », et ce pour ne pas nouer des liens ambigus avec les clans douteux qui le financent. Les électeurs sont les mandants de leur député ; celui-ci doit respecter les termes de sa délégation et en rendre compte. Il ne doit pas présenter un « projet » qui sera trahi par son imprécision mais des plans d’action stricts aux résultats immédiatement visibles.

 Lhésitant et Lindifférent :

……

Legrincheux :

Vous voulez une référence historique ? Celle qui me vient à l’esprit présuppose un genre de primaires qui, si on l’obtient, ferait de l’été 2011 un événement du genre de celui de l’hiver 1788 ou du printemps 1789 ? Ça aurait de la gueule ! Il se passa alors une sorte de vote primaire en France. Pour élire les grands électeurs qui choisiraient ceux qui les représenteraient aux États généraux de la future Assemblée Constituante, le Tiers État s’organisa pour voter. Les hommes se réunirent dans les clubs, les paroisses, les locaux professionnels pour sélectionner des représentants (non sur leurs bons sentiments ou leur bonne mine, mais sur des réformes précises). 

Lhésitant :

Du genre ?

Legrincheux :

Leur discussion a porté pendant plusieurs jours, pas sur les hommes à élire, mais sur les réformes à mettre en œuvre. Celles qui allaient renverser la royauté, installer la République, les Droits et principes qui durent encore.

Plusieurs catégories d’innovations « révolutionnaires » furent suggérées : réforme totale de la justice ; impôts nouveaux ; remise à plat des dépenses publiques et des conditions de remboursement de la dette ; centralisation étatique ; contrôle des organisations économiques ; mesures d’encadrement des corps professionnels et des parlements régionaux.

Quand, durant l’hiver 1788, tous se furent exprimés et eurent débattu en assemblée souveraine, une grande réforme fut décidée et on choisit alors les hommes par classement des voix obtenus parmi les candidats décidés à soutenir ce programme à Versailles. La réforme d’abord, son contenu, son calendrier, les hommes ensuite ! Tout le contraire d’aujourd’hui !

Vingt millions d’électeurs, actuellement, ceux de la gauche, sont disposés à intervenir démocratiquement en rédigeant les mesures et des règles futures pour contrôler les processus des réformes à venir. On se met d’accord sur une série de lois claires et on passe ensuite au choix des hommes les plus déterminés, les plus loyaux, ceux qui paraissent les plus sincères. Non pas une vague intention, mais un plan détaillé, un calendrier de réalisation et d’objectifs chiffrés à atteindre.

Lhésitant :

Eh ben…

Legrincheux :

Soit on vote pour un parti mou, soit on vote pour des engagements à respecter, une feuille de route ! Sinon on délègue en aveugle, avec des thématiques creuses : « la justice sociale » ; « l’égalité » ; « le bonheur pour tout le monde ».

Lindifférent :

On te rétorquera que nos contemporains ne comprennent rien aux montages complexes des affaires quotidiennes. Que nous préférons, par paresse, nous exprimer sur un mode de vœux approximatifs, de revendications abstraites, sans réfléchir aux conditions de leur réussite. Donc toujours cocus…par des « avocats », des professionnels de la politique, mais toujours contents !

Legrincheux :

Le mandaté, en 1789, est tenu de rendre compte, il écrit depuis Versailles ou Paris à ses concitoyens pour les informer de la situation et des alternatives éventuelles. Une démocratie de proximité. Inspirons-nous en !

Lhésitant :

Il est vrai que les abstentionnistes, quand ils ne sont pas satisfaits des produits exposés à l’étalage, ne vont plus au marché. J’ai entendu dire qu’il faut rendre le vote obligatoire. Et pourquoi pas aussi rendre obligatoire le résultat ? Cela a existé dans les pays totalitaires. 

Lindifférent :

Ok, très bien tout ça. Mais quelles questions pourraient être maintenant débattues dans ces assemblées ?

Legrincheux :

Nous pourrions imaginer, par exemple, un vote parallèle avec des questions concrètes posées les jours d’élections nationales. Dans des bureaux improvisés, dans des salles voisines de bureaux officiels, des bulletins de vote seraient distribués, portant sur des questions aux alternatives simples. A destination de ceux qui votent blanc ou nuls ou à d’autres mécontents de la démocratie officielle.

On pourrait par exemple demander : « Voulez-vous plafonner les dépenses de santé versées par la sécurité sociale à 500 000 euros par malade annuellement et ensuite leur dépassement imputé au patrimoine de ces malades (en général riches) ? »

Ou bien : « Pour sauver les caisses en déficit, êtes-vous d’accord pour ne pas distribuer (provisoirement peut-être, jusqu’à l’équilibre des comptes) des retraites supérieures à 4000 euros mensuels) ? »

Ou encore : « Soutenez-vous le principe d’une réduction des indemnités de chômage à 2000 euros maximum par mois par chômeur ? »

Lhésitant :

Ah, oui, très bien. Cela permettrait de sortir des faux débats destinés à éluder les vraies questions sociales, comme celle des grosses retraites de plus de 6000 euros par mois qui grèvent l’endettement des caisses.

Legrincheux :

Il s’agit simplement d’un programme de réduction de déficits par le plafonnement généralisé des contributions de la solidarité nationale, laquelle ne profiterait plus en priorité aux personnes très aisées…

Lhésitant :

C’est vraiment faisable à ton avis ? Penses-tu que l’exécutif et le législatif y souscriront ?

Legrincheux :

Je te laisse imaginer l’accueil que nos édiles feront à ce genre d’idées. Elles conduisent à une réelle obligation de résultats et incluent des engagements chiffrés et datés et non des intentions vagues ou ambiguës…

En tout cas, le député étant le gérant d’un mandat de confiance accordé conditionnellement, nous pouvons lui adresser, par exemple, un vote de défiance au cours de son mandat, à mi exercice, tout en trouvant des contre-feux aux débordements gauchisants.

Les trois (en chœur) partirent en s’exclamant : « Alors, allons tous voter en chantant La Carmagnole » !

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